
Pierre Rimbaud, que nos lecteurs connaissent peut-être pour ses nombreuses réactions à nos articles, est un ancien enseignant de médecine générale et responsable de formation continue. Conseil en méthodologie de la recherche biomédicale et entrepreneur en biotechnologie, il est impliqué dans une demi-douzaine de sociétés centrées sur les applications de la microbiomique.
Il n'y a pas si longtemps n'existaient ni les chaines d'info en continu, ni l'internet des réseaux sociaux, ni même les instruments nécessaires aux États pour connaître l'épidémiologie mondiale en temps réel. A cette époque pourtant récente, les épidémies entraînaient une mortalité abondante et régulière, totalement méconnue et même négligée, qui éliminait de la population des vieillards, des malades fragiles, des sujets génétiquement mal équipés... et tout le monde trouvait ça normal, certes attristant mais naturel. On acceptait la mort qui frappait semblait-il au hasard. Il faut bien faire une fin, disait-on, et quand les victimes étaient des enfants... on en faisait d'autres.
Puis est apparue la possibilité d’empêcher la mort avec d’importants et spectaculaires moyens médicaux. Est bientôt survenu un fait totalement nouveau : l’encombrement de ces merveilleux services de réanimation nouvellement développés, par l’obligation d’y conduire un nombre croissant de malades, y compris ceux qui il y a peu seraient simplement morts chez eux entourés des leurs. Les conséquences sociales de cette révolution sanitaire sont évidemment considérables et ne vont que s’accentuer dorénavant. On a connu des phénomènes de ce type dans de nombreuses spécialités médicales, comme par exemple la dialyse médicale qui sauve la vie d’innombrables insuffisants rénaux, dont il faut évidemment se féliciter mais reconnaître le coût exorbitant au profit de malades essentiellement très âgés et polypathologiques.
Il faut surtout reconnaitre que cette transition anthropologique majeure, qu’il n’est nullement question de qualifier bonne ou mauvaise, retentit naturellement sur tout l’équilibre social. Ce n’est pas la pandémie de coronavirus qui est un événement nouveau : c’est la civilisation sanitaire éclose en à peine trois ou quatre décennies, dont la covid19 (maladie qui serait passée presque inaperçue il y a un siècle), n’est qu’un formidable révélateur.
De nos jours, la médecine ne consiste pas à favoriser la santé, mais à lutter contre la mort. On entretient des armées de personnes âgées dépendantes et de malades chroniques, dont la charge financière incombe aux jeunes générations, condamnées à se ruiner en coûteuses retraites par répartition (dont eux-mêmes ne pourront sans doute jamais bénéficier) et en cotisations d’assurance-maladie au profit d’une population improductive indéfiniment croissante.
Il faudra bien que nous nous y adaptions de gré ou de force, et la covid19 n’y est pour rien ; puisse-t-elle au moins nous réveiller pour adapter nos politiques aux exigences du futur plutôt qu’aux récriminations du présent.
Dr Pierre Rimbaud