
Paris, le lundi 20 mars 2023 – En plein débat sur la réforme des retraites, plus de la moitié des infirmières et sage-femmes estiment ne pas pouvoir tenir jusqu’à la retraite.
Ce lundi après-midi, tous les regards seront tournés vers l’Assemblée Nationale où deux motions de censures contre le gouvernement seront examinées par les députés. Des motions qui ont été déposées à la suite de la décision très controversée de la Première Ministre Elisabeth Borne d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire passer la réforme des retraites. Si les motions de censure sont rejetées, ce qui est probable, la très impopulaire réforme sera considérée comme adoptée et devrait donc entrer en vigueur, sauf nouveau coup de théâtre (retrait du texte, référendum, censure constitutionnelle…).
On l’a déjà souligné dans les colonnes du JIM, cette réforme, qui vise essentiellement à reporter l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, concerne assez peu les médecins qui, pour la plupart, partent à la retraite plus tardivement. Peu de syndicats de médecins, à l’exception notable du SNPHARE, ont donc appelé à participer à la forte mobilisation sociale contre la réforme des retraites qui touche le pays depuis maintenant deux mois.
A l’inverse, les organisations défendant les intérêts des infirmières, sage-femme et aide-soignante ne cachent pas leur inquiétude depuis que la réforme a été mise sur la table, estimant qu’elle ne prend pas assez en compte la pénibilité de leurs métiers. Plusieurs syndicats ont donc appelé leurs sympathisants à participer aux diverses manifestations des dernières semaines.
Les syndicats d’infirmiers vent debout contre la réforme et le 49.3
La situation de ces professionnels de santé relativement à la retraite est complexe. Classées en catégorie active, les aides-soignantes peuvent en théorie partir à la retraite à 57 ans (59 ans avec la réforme), mais doivent cependant cotiser 41 ans (43 ans avec la réforme) pour bénéficier d’une retraite à taux plein, ce qui rend un départ à 59 ans assez illusoire. Une sage-femme est classée en catégorie active ou sédentaire (retraite à 62 ans, 64 ans avec la réforme) selon qu’elle est en contact avec des patients ou qu’elle coordonne une équipe. Quand aux infirmières, elles sont classées comme sédentaire depuis la réforme de 2010…mais certaines infirmières ayant commencé leur carrière avant la réforme sont toujours en catégorie active.
Plusieurs syndicats d’infirmiers n’ont pas caché leur mécontentement face à la décision du gouvernement d’utiliser l’article 49.3 pour faire passer en force la réforme des retraites. « On ne va pas prolonger pour deux ans de galère, on se sent trahis » s’indigne Thierry Amouroux, président du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), qui rappelle que le déclenchement du 49.3 intervient le jour anniversaire du confinement, au cours duquel les infirmières se sont retrouvées en première ligne de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.
L’utilisation du 49.3 est un « signe de mépris » de la part d’un « gouvernement sourd et aveugle » estime pour sa part le syndicat Convergence infirmière. « La pénibilité du métier doit absolument être actée dans la loi, afin que nous puissions partir en retraite dès 60 ans, il est aberrant qu’un allongement de la durée du travail puisse être imposé à une profession comme la nôtre, le malaise est profond, la colère est grande » poursuit le syndicat dans son communiqué.
55 % des infirmières et des sage-femmes se sentent incapables de tenir jusqu’à la retraite
Les protestations des syndicats d’infirmières font écho aux conclusions d’une récente étude de la Dares publiée le 9 mars dernier sur la pénibilité au travail. L’étude montre que les infirmières et les sage-femmes font partie de ceux qui s’estiment le moins capables de continuer leur travail jusqu’à la retraite : 55 % d’entre elles s’en estiment incapables, contre 37 % des salariés en moyenne. Par comparaison, 47 % des aides-soignantes et seulement 27 % des médecins s’estiment incapables de tenir jusqu’à l’âge de la retraite.
Selon les experts de la Dares, les métiers du soins et notamment celui d’infirmière réunissent tous les éléments qui font qu’un métier est difficile à supporter dans la durée : contact avec le public, contraintes physiques, exigences émotionnelles fortes, travail intense, insécurité socio-économique… Ces mêmes experts concluent également que les différents dispositifs de prévention mise en place pour lutter contre la pénibilité de certains métiers (comme la médecine du travail) ont « des effets modérés sur le caractère soutenable du travail ».
Mauvaise nouvelle pour l’hôpital public : l’étude montre que quitter le salariat pour devenir indépendant diminue de 30 points la part des travailleurs estimant leur métier insoutenable. « En tout état de cause, une organisation du travail qui favorise l’autonomie, la participation des salariés et limite l’intensité du travail tend à rendre celui-ci plus soutenable » concluent les experts de la Dares. On retrouve ici un enjeu clé du débat sur le travail et la retraite, souvent occulté par le gouvernement et les syndicats : la nécessité de rendre le travail de nouveau agréable, notamment à l’hôpital public.
Grégoire Griffard