
La consommation de boissons sucrées, que le sucre soit naturel ou artificiel, suscite une foule d’études épidémiologiques, pour la plupart alarmantes. Les deux types de breuvages ont en effet été associés aux facteurs de risque cardiométaboliques d’une manière ou d’une autre. De ce fait, ils sont incriminés, à tort ou à raison, dans la survenue de la maladie cérébrovasculaire ou des démences. De fait, les boissons sucrées ou hypersucrées, à base de glucose ou d’autres sucres absorbés par la muqueuse intestinale constituent autant de réservoirs de calories qui favorisent surcharges pondérales, obésité, diabète de type 2 ou encore syndrome métabolique. Une seule canette de soda, ce sont plus de 25 à 50 g de glucides ingérés le plus souvent instantanément, ce qui correspond au seuil quotidien à ne pas dépasser, si l’on veut se mettre à l’abri des menaces précédemment envisagées.
L’exemple des sodas ou des jus de fruits enrichis en sucres (et boissons apparentées) est donc édifiant et il n’est pas étonnant que, dans certains pays où l’obésité fait des ravages, leur consommation soit fortement découragée par les autorités sanitaires dont les messages sont en harmonie avec ceux de l’OMS sur ce point. L’American Heart Association et l’American Stroke Association, pour leur part, considèrent que le régime idéal d’un point de vue cardiovasculaire, devrait inclure moins de 450 kcal/semaine provenant de ces boissons. De ce fait, il a été conseillé un temps de consommer préférentiellement des breuvages à base d’édulcorants de synthèse dans le but louable de diminuer la charge glucidique, puisque ces derniers ne franchissent pas la barrière intestinale.
La situation est confuse
Leur consommation augmente d’ailleurs fortement aux Etats-Unis, notamment chez les enfants, sous l’impulsion prudente et nuancée de l’American Heart Association et de l’American Diabetes Association. La prudence en effet est de mise, car le bénéfice de ces solutions de rechange est loin d’être clairement établi. Plusieurs études d’observation ont pu suggérer une association positive entre l’exposition à ces boissons aux édulcorants et le risque de diabète de type 2 ou de syndrome métabolique. La Nurses’ Health Study et la Health Professionals Follow-Up Study ont même rapporté que le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) hémorragique était augmenté chez les consommateurs de soda pauvre en calories. Cependant, d’autres études longitudinales n’ont pas confirmé ces associations, de sorte que la situation est particulièrement confuse.
Une nouvelle étude de cohorte, publiée dans Stroke, vient apporter sa pierre à cet édifice qui laisse rêveur. Il s’agit en l’occurrence de la célèbre Framingham Heart Study Offspring Cohort qui n’est plus à présenter. L’objectif découle des considérations précédentes : rechercher une association entre la consommation de boissons sucrées, à base de sucres naturels ou d’édulcorants (de synthèse ou autres) et le risque d’AVC et de démence. La population étudiée se compose de : (1) 2 888 sujets d’âge > 45 ans (âge moyen, 62 ± 9 ans ; 45 % d’hommes) pour ce qui est des AVC ; (2) 1 484 sujets d’âge > 60 ans (69 ± 6 ans ; 46 % d’hommes) pour ce qui est des démences. Dans tous les cas, la consommation des breuvages précédents a été régulièrement évaluée à l’aide de questionnaires spécifiques, remplis à trois reprises et couvrant respectivement les périodes 1991-1995, 1995-1998 et 1998-2001. L’exposition la plus récente a été quantifiée et prise en compte, au même titre que l’exposition cumulée estimée à partir de la moyenne des trois périodes précédentes. La surveillance visant à détecter les évènements-cibles a commencé après 2001 et a duré dix ans, au cours desquels ont été dénombrés 97 cas d’AVC (en majorité ischémiques, n = 82) et 81 cas de démence (en majorité imputables à une maladie d’Alzheimer, n = 63).
Une association…qui n’est pas un lien de causalité
L’analyse multivariée a intégré le plus possible d’ajustements en fonction des facteurs de confusion potentiels : âge, sexe, éducation, apport calorique global, aspects qualitatifs du régime, activité physique et tabagisme. Il apparaît ainsi que seules les boissons à base d’édulcorants sont associées à un risque élevé d’AVC et de démence, quel que soit leur type, maladie d’Alzheimer incluse, que l’exposition à celles-ci soit récente ou cumulée. Par rapport à un groupe de référence (aucune prise de telles boissons à la semaine), le hazard ratio (HR) en rapport avec leur consommation est estimé à 2,96 (intervalle de confiance à 95 %, IC, 1,26-2,97) pour ce qui est des AVC ischémiques et de 2,89 (IC, 1,18-7,07) pour ce qui est de la démence d’Alzheimer. Rien de tel pour les boissons à base de glucose ou glucides apparentés.
Les boissons aux édulcorants sont donc associées à un risque notoire d’AVC et de démence. La messe n’est pas pour autant dite, car cette association est bien éloignée d’un lien de causalité, comme toujours dans les études d’observation. Admettons que ces résultats alimentent le débat actuel qui est loin d’être clos. Les biais de sélection sont trop nombreux pour autoriser toute conclusion hâtive et une causalité inverse pourrait bien entrer en ligne de compte, les consommateurs des boissons supposées coupables étant ceux qui ont un profil de risque cardiovasculaire élevé, un surpoids, une insulinorésistance ou encore un syndrome métabolique. Ce serait la raison pour laquelle ils auraient décidé de diminuer leurs apports glucidiques en utilisant les édulcorants. Marqueur du risque et non facteur causal… D’autres études épidémiologiques sont encore nécessaires pour faire la lumière sur cette ténébreuse affaire, en sachant qu’il n’est pas possible de blanchir les édulcorants de tout soupçon.
A ce point du débat, il ne semble pas prudent d’encourager leur consommation effrénée au travers des sodas et autres boissons apparentées en lieu et place des bons vieux glucides qui, dans cette étude, sont au demeurant innocentés, une fois n’est pas coutume. La modération est à l’ordre du jour, en attendant des résultats plus concluants en termes de causalité.
Dr Philippe Tellier