
On parle beaucoup ces derniers jours, y compris dans la presse
généraliste, des pénuries (ou plutôt des « tensions
d’approvisionnement ») qui touchent l’amoxicilline et d’autres
médicaments utilisés en routine en médecine de ville comme le
paracétamol ou la fosfomycine. Moins évoquées et pourtant tout
aussi redoutables sont les difficultés que rencontrent les hôpitaux
pour se procurer de l’isoprénaline. Ce médicament, proche de
l’épinéphrine, est indiqué dans plusieurs urgences cardiaques :
syndrome de Stokes-Adams, bradycardies extrêmes, torsades de
pointes…
Une certaine inquiétude a donc gagné urgentistes et
réanimateurs lorsque le laboratoire Pfizer a annoncé la fin de la
commercialisation de l’Isuprel (nom commercial de l’isoprénaline) à
partir du 4 novembre « suite à l’interruption de fourniture par
un tiers d’un ingrédient pharmaceutique actif ». Surtout qu’ils
n’en ont été prévenus par l’Agence nationale de sécurité du
médicament (ANSM) que le 25 octobre, soit à peine une semaine avant
la date butoir et sans qu’aucune alternative thérapeutique ne soit
identifiée.
Un contingentement trop drastique
Le Syndicat national des praticiens hospitaliers
anesthésistes-réanimateurs (Snphare) a ainsi alerté sur une
possible « impasse thérapeutique en situation d’urgence
cardiologique » tandis que le très médiatique urgentiste Dr
Patrick Pelloux a dénoncé sur Twitter « un scandale et une mise
en danger des malades souffrant de troubles du rythme ».
Le laboratoire Pfizer n’avait au départ pour seule réponse aux
complaintes des médecins que de leur préconiser de limiter
l’utilisation de l’isoprénaline aux urgences absolues, afin
d’épuiser les stocks restants le plus lentement possible. Une
solution a finalement été trouvée in extremis le 4 novembre, jour
de la fin de la commercialisation de l’Isuprel, Pfizer ayant
indiqué aux professionnels de santé qu’un autre médicament à base
d’isoprénaline, le Tillomed, était disponible chez le grossiste
pharmaceutique Movianto.
Cette alternative ne satisfait pas complétement les
anesthésistes-réanimateurs, qui dénoncent des conditions de
contingentement extrêmement drastiques « dignes de la première
vague Covid » déplore le Snphare. Il n’y a « aucune garantie
que les volumes et les délais de livraison soient adéquats »
constate le Dr Eric Le Bihan, président du Snphare.
L’anesthésiste-réanimateur regrette également le peu de soutien de
l’ANSM qui s’est contenté de donner aux hôpitaux les coordonnées du
distributeur Movianto, qui doivent donc « se débrouiller pour
changer de source d’approvisionnement, réussir à joindre Movianto
pour obtenir des doses ». Le Pr Le Bihan craint « des pertes
de chances voire des décès pour certains patients ».
Les pharmaciens rappelés à l’ordre sur le répertoire national de vérification
Suite à ce « drame » de l’isoprénaline, le Snphare a
demandé au ministre de la Santé François Braun l’ouverture d’une
« mission enquête » sur l’accès aux produits de santé en
général, portant notamment sur les médicaments d’urgence, les
traitements chroniques et les dispositifs médicaux. Les médecins
sont exaspérés de devoir « jongler au jour le jour avec les
pénuries en adaptant les ordonnances en permanence » qui leur
fait perdre du temps « au détriment d’autres activités
pharmaceutiques et cliniques d’intérêt pour les patients »
constate le Snphare.
Pour ne rien arranger à la situation pharmaceutique en France,
de nombreux pharmaciens s’exposent prochainement à des sanctions
administratives, a prévenu ce lundi François Braun lors d’une
réunion avec les membres du conseil de l’Ordre des pharmaciens. En
cause, une directive européenne en vigueur depuis 2019, qui prévoit
que tous les pharmaciens doivent s’identifier auprès d’un
répertoire national de vérification (lui-même relié à un fichier
européen) afin de lutter contre la contrefaçon de
médicaments.
Or, seulement 56 % des officines françaises ont rempli cette
obligation selon la Fédération des Syndicats pharmaceutiques de
France (FSPF). Si un taux de 80 % n’est pas atteint d’ici la fin de
l’année, « la France s’expose à de lourdes sanctions de la part
de la Commission européenne, de l’ordre de plusieurs centaines de
millions d’euros » a annoncé le ministre. Par conséquent, il a
averti que le gouvernement prendrait « très prochainement des
sanctions contre les pharmaciens qui ne répondraient pas à leurs
obligations ».
Nicolas Barbet