Paris, le jeudi 23 août 2018 – Combien d’appels passés au SAMU ne trouvent pas de réponse ? Au-delà du slogan qui veut que "chaque seconde compte", quel est le délai observé entre la première sonnerie et le moment où un agent de régulation décroche ? Le magazine Le Point a cherché à répondre à ces questions. Sa première réponse, brute, ne peut que surprendre et agacer : « sur 29,2 millions d’appels passés au 101 centres de réception et de régulation des appels des Samu en 2016, 24,6 millions seulement ont reçu une réponse d’une personne physique ». Cela signifierait que 4,6 millions d’appels ont été ignorés. La réalité est bien sûr un peu plus complexe et le nombre de "vrais" appels laissés totalement sans réponse très difficile à appréhender.
Objectif : 99 % des appels traités
Comme chaque année à la fin du mois d’août, le magazine le Point égratigne les hôpitaux en publiant un très complet palmarès de leur performance. C’est un panorama très commenté et très critiqué : comparaison n’est pas raison notamment dans un domaine aussi complexe que la médecine et les chiffres bruts ne permettent pas d’appréhender la multiplicité des enjeux sont les principales limites évoquées pour garder ses distances avec ce long travail de classement. Cette année, les crispations sont plus marquées encore Le Point ayant ajouté aux spécialités habituellement étudiées une analyse des taux de réponse des différents SAMU. Alors que la France a été bouleversée par la façon dont une jeune femme a été brusquement éconduite par un agent de régulation qui a refusé d’entendre sa détresse, cette enquête propose de se pencher non plus sur les défauts d’orientation mais sur les appels laissés sans réponse. Dans les deux cas, il s’agit d’identifier les dysfonctionnements de services qui se sont fixé comme objectif de traiter 99 % des appels.
A peine plus d’un appel sur trois traités en moins d’une minute à Paris (selon le Point)
Le Point s’est appuyé sur les données de la statistique annuelle des établissements de santé (SAE). Ces données ne sont pas infaillibles. Le Samu de Perpignan signale ainsi aujourd’hui que des dysfonctionnements importants de son logiciel de gestion des appels ont conduit à une sous-estimation significative du nombre d’appels traités. Par ailleurs, de nombreux services ne transmettent que des informations parcellaires. Les éléments collectés permettent néanmoins de mettre en évidence des disparités frappantes en fonction des établissements. Aujourd’hui, seuls deux SAMU (sur 101) répondent à tous les appels en moins d’une minute : Verdun et Orléans. Ils sont en outre quinze (dont Verdun et Orléans) à systématiquement décrocher, tandis que vingt au total respectent l’objectif de 99 % (mais parfois en plus d’une minute). La moyenne nationale concernant le nombre d’appels traités est de 84 %. Du côté des mauvais élèves, deux SAMU répondent à moins d’un appel sur deux : Pointe à Pitre (42,7 % d’appels décrochés) et Paris (49,8 %). Dans ce dernier, seuls 36,14 % des appels sont traités en moins d’une minute.
Des chiffres contestés
Faut-il considérer que sur les 2,6 millions d’appels reçus chaque année par les quatre SAMU de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, la moitié demeure sans réponse ? Certainement pas. D’abord parce que beaucoup des patients qui n’ont pas pu joindre le SAMU rappellent et trouvent finalement une réponse (ou contactent une autre plateforme, tels les Pompiers ou SOS Médecins…). Ensuite parce qu’un grand nombre d’appels, comme l’a fait remarquer François Braun, patron de Samu urgences de France sur RTL ce matin et dans plusieurs journaux sont des erreurs : mauvaise manipulation du téléphone (tels les "appels de poche"), erreurs… Cette marge importante n’a cependant pas été ignorée par Le Point. Il signale ainsi que si l’on exclut tous les appels de moins de quinze secondes, on compte encore 253 000 appels qui n’ont pas trouvé de réponse en 2016 auprès des quatre SAMU de l’AP-HP (Necker, Raymond-Poincaré, Avicenne, Henri Mondor), 21 977 à Strasbourg (le SAMU contacté par Naomi Musenga) ou 54 820 à Pontoise. Pour l’AP-HP, le critère des « quinze secondes » n’est sans doute pas parfaitement pertinent. Dans un communiqué publié ce matin, elle note : « La connaissance de la réalité du nombre d’appels qui auraient dû être traités et qui ne l’ont pas été est difficile à appréhender : il existe des appels par erreur, des appels raccrochés spontanément, des personnes qui rappellent après un premier appel et des personnes qui peuvent faire deux numéros d’urgence (15 et 18 par exemple). Il a en outre été repéré en région parisienne un nombre d’erreurs fréquents avec les appels provenant de standards pour lesquels un "0" est requis et qui raccrochent après avoir composé le "15" en ayant pensé composer le "01 5...". Mais il n’existe pas aujourd’hui de moyen technique pour qualifier la nature et les raisons d’un appel perdu. C’est pourquoi il n’est pas exact de compter comme appel non décroché un appel qui s’est interrompu dans un délai inférieur à 15 secondes, élément qui explique une partie des discordances avec les statistiques prises en compte par le Point. En effet, alors que le point fait état pour le SAMU de Paris de 49,8% d’appels décrochés, le SAMU de Paris estime que ce taux est plutôt de 76% d’appels décrochés et de 86,8% pour les 4 SAMU de l’AP-HP ».
Au-delà de ces querelles de chiffres, plus pertinents que le nombre d’appels "perdus", le temps de réponse est riche d’enseignement. Dans seize SAMU seulement, on dépasse les 90 % d’appels traités en moins d’une minute. Un récent rapport du Sénat épinglait : « Il arriverait dans certaines agglomérations que le temps d’attente atteigne sept à huit minutes, ce qui est bien évidemment inacceptable en contexte d’urgences ».
Perte de chance ?
Impossible de déterminer la perte de chance que représente pour les patients cette longue attente, voire cet abandon. « Quant aux éventuelles conséquences délétères pour les patients auxquels il n’est pas répondu, je ne peux pas considérer que cela n’arrive pas » concède interrogé par Le Point le docteur Patrick Goldstein, chef du SAMU de Lille. François Braun se veut plus pragmatique voire optimiste : « Ce que l'on peut dire c'est qu'on n'a pas, dans les remontées de plaintes, de doléances des patients. Une enquête a été menée en 2013 sur les personnes se présentant dans les services d'urgence. Toutes les personnes aux urgences ont été interrogées. Aucune n'a dit qu'elle était venue aux urgences parce que le Samu n'avait pas répondu. Elles sont venues parce qu'elles ne trouvaient pas de médecin, pour plein de raisons » assure le patron de Samu Urgences de France sur France TV Info. L’AP-HP indique de la même manière : « Dans les plaintes adressées par des patients ou par des proches, l’AP-HP n’a pas connaissance de plainte pour une urgence vitale qui n’aurait pas été décrochée et pour laquelle les délais de prise en compte de l’appel auraient créé une perte de chance ». Il n’est pas impossible que les chiffres du Point conduisent à l’émergence de "témoignages" contredisant cette appréciation positive de la situation.
Charge de travail des ARM : de fortes disparités
De même que l’on ne peut être parfaitement certain que les défauts de traitement des appels sont sans conséquence, on peut s’étonner du silence des autorités sur ce sujet, alors que le ministère de la Santé est le premier destinataire de la SAE. Sans doute l’affaire Musenga et cette enquête du Point devraient mettre fin à ce mutisme. Les marges d’amélioration, dont beaucoup peuvent être identifiées en observant le fonctionnement des SAMU les plus performants, sont de fait nombreuses. Elles concernent notamment l’équilibrage de la charge de travail qui pèse sur les agents de régulation médicale (ARM). Là encore les disparités sont frappantes. Dans certains SAMU, la moyenne de nombre d’appels traités par heure par ARM est très basse (2,8 à Guéret !), quand elle explose dans d’autres (34,87 à Cayenne). Si beaucoup a été dit sur les difficultés de recrutement (qui pourraient être en partie liées à la faiblesse des rémunérations) et sur les défauts de formation des ARM, on constate qu’il n’existe pas de corrélation parfaite entre la charge de travail et les taux de réponse. Néanmoins, majoritairement, dans les SAMU où le taux d’appels décrochés en moins d’une minute est supérieur à 85 %, le nombre moyen d’appels par ARM par heure est inférieur à 10. Dans les SAMU où le taux de réponse en moins d’une minute est inférieur à 70 %, le nombre moyen d’appels traités par ARM peut être inférieur à 10, mais ces SAMU compensent par un taux brut d’appels décrochés supérieur à 80 %. Dans les SAMU qui conjuguent taux d’appels décrochés inférieur à 75 % et taux d’appels décrochés en moins d’une minute inférieur à 65 %, les ARM traitent toujours plus de dix appels par heure en moyenne.
Quand les Pompiers n’arrivent pas à joindre le 15
Outre le nombre d’ARM et leur formation, la soumission des SAMU
à des normes qualité et à une certification est défendue par
beaucoup. Par ailleurs, la nécessité d’un numéro unique est une
nouvelle fois martelée par de nombreux interlocuteurs dans les
colonnes du Point dont les représentants des Pompiers qui signalent
qu’ils sont eux aussi régulièrement confrontés au défaut de réponse
du SAMU. Une précision qui témoigne de la survivance de la fameuse
guerre entre les blancs et les rouges, elle aussi probablement pas
étrangère aux dysfonctionnements de la régulation des
urgences.
En tout état de cause, ces différentes données ne pourront pas être
éludées dans le cadre du grand plan de réforme du système de soins
dont le dévoilement est attendu avec impatience.
Aurélie Haroche