
Les troubles psychiatriques sont souvent étudiés individuellement. Cependant, jusqu'à la moitié des patients qui répondent aux critères d'un trouble psychiatrique répondent également aux critères d'un autre trouble, rendant alors le(s) diagnostic(s) et le(s) traitement(s) plus ardus. Comparativement aux patients qui ne présentent qu'un seul trouble, ceux atteints de deux troubles ou plus ont de moins bons résultats thérapeutiques, un déficit fonctionnel plus important et un plus grand risque de décès prématuré. Les données génomiques, neurobiologiques et épidémiologiques suggèrent que la comorbidité psychiatrique reflète une architecture de risque partagée. Par exemple, tout trouble psychiatrique augmente significativement le risque absolu de développer des troubles psychiatriques ultérieurs. Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que nombre de psychothérapies et médicaments réduisent les symptômes de diverses pathologies.
Une vaste étude rétrospective de neuroimagerie
La neuroimagerie fournit des informations sur les bases neurobiologiques des pathologies psychiatriques, les travaux récents s’intéressant plus à l’implication de réseaux cérébraux qu’à celle de régions cérébrales isolées. Dans cette étude, une équipe de Boston a utilisé des données morphométriques et de lésions cérébrales couplées à un schéma du connectome cérébral humain (carte complète des connexions cérébrales) pour déterminer un réseau cérébral commun aux maladies psychiatriques.
Pour cela, ils se sont appuyés sur 4 ensembles indépendants de données : (1) une méta-analyse d’estimation de la probabilité d’activation (ALE)* basée sur les voxels du cerveau entier comparant des patients souffrant de 6 troubles psychiatriques (schizophrénie, trouble bipolaire, dépression, addiction, trouble obsessionnel-compulsif, anxiété) à des témoins (n=15 892 individus) ; dans chacune des 193 étude les coordonnées des régions cérébrales où les patients présentaient plus d’atrophie que les témoins étaient disponibles ; (2) 72 études de neuroimagerie rapportant les coordonnées des régions les plus atrophiées dans le cadre de pathologies neurodégénératives ; (3) une étude de suivi prospectif sur plusieurs décennies d’anciens combattants (Vietnam Head Injury Study) permettant l’analyse des données psychiatriques et d’imagerie de 194 vétérans ayant subi un traumatisme crânien pénétrant ; (4) les coordonnées des structures cérébrales ablatées en neurochirurgie pour le traitement de la dépression et d’autres troubles psychiatriques (capsulotomie antérieure, cingulotomie antérieure, tractotomie sous-caudale, leucotomie limbique).
Mise en évidence d’un réseau cérébral transdiagnostique
La méthode traditionnelle de méta-analyse des coordonnées chez les patients psychiatriques ALE a identifié une diminution de la substance grise dans l’insula et le cortex cingulaire antérieur principalement mais aucun des clusters n’était spécifique aux pathologies psychiatriques versus neurodégénératives. La cartographie du réseau de coordonnées à partir du connectome existant, a identifié des résultats plus robustes : l'atrophie cérébrale dans les six troubles psychiatriques cartographiés était connectée à un réseau commun positivement connecté avec le cortex cingulaire antérieur et l'insula, et négativement connecté avec le cortex temporal inférieur droit, occipital latéral et surtout pariétal postérieur.
Ce réseau dit « transdiagnostique » était robuste, spécifique aux coordonnées d'atrophie dans les troubles psychiatriques par rapport aux troubles neurodégénératifs des 72 études. Chez 194 vétérans ayant subi un traumatisme crânien pénétrant, l'atteinte de ce réseau était corrélée au nombre de diagnostics psychiatriques post-lésionnels (p=0,003), ce qui n’était pas le cas de la cartographie ALE (p=0,1). Enfin, les quatre cibles publiées d'ablation neurochirurgicale pour les maladies psychiatriques étaient également alignées sur ce réseau.
Le réseau mis en évidence avec ses connexions positives et négatives, pourrait impliquer l’attention sélective et le traitement multisensoriel, impliqués dans le contrôle cognitif. Si les anomalies convergent vers ce réseau, il n’est pas possible de déterminer comment il participe à la maladie psychiatrique. Les auteurs suggèrent que l’atrophie de la substance grise ne serait pas la cause mais la conséquence, ou un mécanisme de compensation, de la maladie psychiatrique. Au total, ce réseau cérébral convergent pour les six pathologies psychiatriques étudiées pourrait expliquer en partie les taux élevés de comorbidité psychiatrique et pourrait mettre en évidence les cibles de neuromodulation pour les patients souffrant de plus d'un trouble psychiatrique.
* : l’estimation de la probabilité d’activation (ALE) est largement utilisée pour les méta-analyses basées sur les coordonnées de données de neuroimagerie ; elle détermine la convergence des foyers d’activation rapportés à partir des différentes expériences ou d’anomalies dans diverses situations cliniques.
Dr Isabelle Méresse