
Les cancers de la prostate (CP) sont la seconde cause de mortalité d’origine néoplasique chez les hommes aux USA. La plupart d’entre eux sont dépistés à un stade relativement indolent. Leur détection précoce et le traitement des formes graves a permis de diminuer le taux de mortalité mais au prix d’un coût financier considérable et du risque de surtraitement de tumeurs peu agressives. Il existe certes une classification des CP en fonction de leur gravité mais, dans les faits, il apparaît que les cancers sont souvent traités, quel que soit leur risque évolutif.
La surveillance active (AS) des CP a pour but d’empêcher ou de retarder la survenue de complications évolutives et d’éviter les effets secondaires iatrogènes tout en gardant la possibilité de démarrer un traitement dès la constatation de signes de progression. Cette attitude est préconisée dans la plupart des recommandations cliniques de nombreuses sociétés savantes mais reste, à ce jour, diversement appliquée selon les zones géographiques et le contexte médical.
M.R. Coopenberg et collaborateurs ont étudié les tendances et les variations au long cours de de l’AS dans les CP à faible risque, à partir des données du Registre National de Qualité de l’American Urological Association (AQUA). Ce dernier, démarré en 2013 dans le but d’améliorer la qualité des soins en urologie, fait intervenir 1 945 urologues de 349 établissements de soins différents, répartis dans 48 des états US. Il a inclus plus de 8,5 millions de patients, dont 298 081 traités pour CP entre le 1er Janvier 2014 et le 1er Juin 2021. Dans ce collectif, les formes à bas risque étaient définies par un taux de PSA < 10 ng/mL, un score de Gleason bas et un stade clinique T1/T2. Les différentes thérapeutiques utilisées avaient pu consister en une prostatectomie radicale, une radiothérapie externe, une brachythérapie, une monothérapie par privation androgénique ou encore une AS. Celle-ci, de fait, était définie par l’absence de tout traitement actif, avec, la différenciant de la simple absence de soins, au moins un dosage de PSA pratiqué la première année, > 1,0 ng/mL.
Le principal paramètre analysé par M. R. Coopenberg a été le recours à l’AS dans les CP à bas risque, pour l’ensemble des malades mais aussi séparément les Blancs et les Noirs. Il a, dans son travail, tenu compte de différents facteurs dont l’année et le décile lors du diagnostic, l’origine ethnique, le taux de PSA initial, le nombre de cas traités par établissement et par praticien, etc.
Un traitement actif pour les trois quarts des patients qui auraient dû bénéficier d’une simple surveillance
A partir du registre AQUA ont été retrouvés 298 801 patients souffrant d’un CP, dont 27 289 classés à bas risque, leur proportion restant stable tout au long des années de l’étude. Au sein de ce sous-groupe, la grande majorité des patients (76,31 %) a eu un traitement actif et non une AS ; 40,1 % étaient des Blancs face à 8,9 % de Noirs. Leur âge médian, lors du diagnostic, était de 65 ans (IIQ : 59-70) ans. Dans l’ensemble, les patients qui avaient bénéficié de l’ AS étaient plus âgés, avaient eu un diagnostic de CP posé plus récemment et étaient plus souvent en stade T1 qu’ en stade T2.
En limitant l’analyse aux structures incluant plus de 50 patients à bas risque, il ressort que le taux de recours à l’AS a doublé avec les années, passant de 26,5 % en 2014 à 59,6 % en 2021. On ne peut relever aucune différence entre les Noirs (39,4 %) et les Blancs (39,8 %), les tendances évolutives étant aussi analogues. Toutefois, il est noté une grande différence selon les établissements de soins, avec un taux de AS allant de 4,0 à 78,0 % et encore plus selon les praticiens urologues, variant de 0 à 100 %. En analyse multivariée, l’année du diagnostic a été le facteur associé à l’AS le plus fréquent, l’âge, le sexe, la race et le niveau initial du PSA jouant aussi un rôle. Enfin, la densité plus ou moins forte de praticiens en urologie dans une même zone géographique a également eu une influence, un nombre élevé étant associé à un moindre nombre d’AS, bien que cette association n’ait pas de valeur statistique (Odds Ratio OR : 0,92 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,81- 1,03). Or, l’efficacité de l’AS avait été démontrée depuis de nombreuses années mais l’adoption de cette pratique par les urologues US a été longue, restant inférieure à 10 % jusqu’ en 2010. Elle est certes en hausse, mais toujours en deçà de 50 % alors que son taux optimal est estimé vers 80 %. Le taux de surtraitement est donc encore notable, avec des variations considérables selon les établissements et les praticiens. Il existe aussi un certain effet compétitif des praticiens exerçant dans une même zone géographique, tendant à majorer encore le risque de traitement excessif alors même que la pratique, en routine, de l’AS dans les CP à bas risque est un élément fondamental pour avoir un rapport bénéfices/risques favorable dans ce type de tumeur.
Cette étude a, toutefois, quelques limites. Les données ont été tirées de registres informatiques et ont été souvent incomplètes, s’agissant notamment de l’origine ethnique et des déterminants sociaux des individus. La décision thérapeutique a été souvent mal précisée. Enfin, dans ce travail, la définition retenue pour l’AS a été très libérale, sans nécessité de contrôle histologique systématique par biopsie prostatique.
En conclusion, de cette étude de cohorte de niveau national, il ressort que le taux d’AS s’est accru ces dernières années dans la prise en charge des CP à bas risque mais reste encore sous optimal et très variable selon les établissements de soins et les praticiens. Or, le nombre d’AS est, en urologie, un indicateur reconnu de qualité des soins, en vue d’améliorer le rapport bénéfices / risques dans la détection précoce des CP.
Dr Pierre Margent