Syndrome du bébé secoué : les recommandations favorisent-elles les sur diagnostics ?

Paris, le jeudi 5 décembre 2019 - La maltraitance à l’égard des enfants demeure, en dépit d’une communication de plus en plus fréquente, un sujet tabou et il demeure difficile pour beaucoup d’appréhender la violence que représente le fait de frapper un enfant et qui plus est son propre enfant. Ce déni n’épargne pas le monde médical. « Les mécanismes psychiques de défense face à la violence sont nombreux, y compris chez les professionnels », rappelait dans une tribune publiée au début de l’année dans Le Monde, le docteur Martine Balençon, présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale. Elle relevait encore que le « diagnostic des violences faites aux enfants victimes se heurte (…) à de nombreux obstacles » dont « la difficulté à voir et concevoir que ces violences concernent 10 % des enfants dans les pays industrialisés ».

Des recommandations pour guider les professionnels

Le fait de remettre en cause la pertinence scientifique de recommandations concernant le syndrome du bébé secoué (SBS) également appelé Traumatisme crânien non accidentel par secouement (TCNA) pourrait-il être considéré comme une nouvelle manifestation de ce « déni » ou de ces « mécanismes psychiques de défense » ? Ou faut-il se rappeler que la légitimité de l’amélioration de la prévention des maltraitances contre les enfants ne saurait cependant excuser des diagnostics trop systématiques et des allégations scientifiques sans fondement ? Telles sont quelques-unes des questions soulevées par une controverse qui existe dans plusieurs pays occidentaux et qui prend également de l’ampleur en France. Pour répondre aux difficultés des professionnels de santé potentiellement concernées par le SBS et accroître son repérage et sa prise en charge, la Haute autorité de santé (HAS) a émis en 2011 des recommandations sur le TCNA en partenariat avec la Société française de médecine physique et de réadaptation (SOFMER). Ces préconisations précisent que le TCNA par secouement est certain en présence de la triade : hématomes sous-duraux, hémorragies rétiniennes, lésions cérébrales (si les rares diagnostics différentiels ont été écartés). Ce texte consacre par ailleurs une place importante au volet juridique en se concentrant sur la question du signalement.

Des erreurs inévitables aux conséquences dramatiques

En se référant à ces recommandations qui se basent sur la littérature scientifique abondante sur le sujet et sur la pratique clinique, des SBS sont régulièrement diagnostiqués. Cependant, des erreurs sont inévitables. Il s’agit notamment de diagnostics différentiels trop rapidement écartés (alors même que le reste de l’examen de l’enfant ne révélait pas de blessures ou que l’interrogatoire des proches pouvait laisser supposer un doute). Ces situations sont à l’origine de bouleversements profonds et parfois irréversibles pour les familles : placements, incarcérations d’un ou des deux parents, séparations qui entraînent inévitablement des perturbations, même quand l’innocence des proches est finalement avérée.

Pour certaines des familles qui ont été concernées par de telles erreurs, la rédaction des recommandations de la HAS pourrait être mise en cause. Maître Grégoire Etrillard qui représente une cinquantaine de familles et l’association Adika qui en fédère trois cent ont ainsi annoncé au début de la semaine avoir saisi la HAS afin qu’elle abroge ses travaux. Faute de réponse de cette dernière, ils ont l’intention de renvoyer l’affaire devant la justice administrative. Les griefs des clients de Grégoire Etrillard et de l’association Adika sont nombreux. Ils dénoncent tout d’abord le manque de fiabilité scientifique des recommandations. Elles « s’appuient sur une large bibliographie, mais celle-ci est assez malhonnête, car elle occulte quasiment toute la littérature scientifique qui ne vas pas dans le sens des rédacteurs », remarque le pédiatre Jean-Claude Msleati, cité par le Monde. De la même manière, Grégoire Etrillard avance que les recommandations « se montrent affirmatives sur de nombreux sujets non démontrés ou controversés, ne présentant ainsi pas les gages d’impartialité attendus d’une telle publication sur le plan scientifique ». Allant plus loin, dans une tribune publiée cette année dans Le Monde, Grégoire Etrillard avait évoqué « un raisonnement circulaire dramatique » relevant notamment : « La recommandation de la HAS se fonde sur une collation d’articles scientifiques en grande partie validés par des condamnations en justice. Puisqu’il est évidemment impossible de secouer volontairement des enfants pour vérifier la véracité de la théorie, les scientifiques ne peuvent en effet se fonder que sur des données "objectives" : les statistiques de condamnations pénales ». Cette perception est partagée par certains spécialistes. « Le problème est que la plupart [des diagnostics] s’appuient sur un raisonnement circulaire : la triade permet de poser un diagnostic, qui lui-même confirme les symptômes » remarque ainsi le professeur de médecine légale à l'Université de Umeå (Suède) Anders Eriksson, cité par Le Monde.

Des diagnostics différentiels sous-estimés ?

Outre les limites des données scientifiques, Grégoire Etrillard et l’association regrettent la faiblesse de la place accordée aux diagnostics différentiels (même si comme l’a reconnu lui-même l’avocat dans le monde, le SBS ne peut être théoriquement évoqué que si les diagnostics différentiels ont pu être écartés). Dans les faits, les recommandations listent les autres pistes à suspecter (troubles de l’hémostase congénitaux ou acquis, malformations vasculaires cérébrales, certaines maladies métaboliques très rares, ostéogenèse imparfaite…). Cependant, d’autres sont effectivement oubliées comme le syndrome d’Ehlers-Danlos ou des maladies génétiques affectant le collagène.

Confusion des genres

Sur la forme, la critique se concentre sur le fait qu’aucun auteur des recommandations ne soit neuro-pédiatre (ce qui ne les empêche pas en tant qu’auteurs des recommandations d’être souvent cités comme experts dans des affaires judiciaires, créant un conflit d’intérêt quand les recommandations de la HAS sont au centre de l’argumentation médicale). D’une manière générale, Guillaume Etrillard déplore une confusion des genres : « Présentées comme étant adressées aux praticiens dans le cadre de leur démarche de soins, elles sont en réalité une injonction de signalement et un manuel d’expert à destination du monde judiciaire ».

Controverses autour de la controverse

La HAS dispose désormais de deux mois pour répondre à cette contestation. Les experts ne peuvent ignorer que cette controverse dépasse la France. Dans d’autres pays également, les spécialistes ont pu être invités à reconsidérer la définition du SBS et les polémiques font rage. Ainsi, un rapport suédois d’une agence officielle équivalente à notre HAS est souvent cité pour appuyer l’argumentation de ceux qui remettent en cause les critères de diagnostic retenus actuellement pour le SBS. Mais ce rapport est loin de faire l’unanimité, certains jugent par exemple que les spécialistes suédois n’ont pas tenu compte de certaines avancées, en particulier en imagerie. En France, ils sont nombreux à défendre la "rigueur" des recommandations de la HAS, tel le docteur Martine Balençon, même si la Haute autorité a pu être épinglée à d’autres occasions.

Enfin, en l’absence de données nationales officielles, le fait que certaines équipes hospitalières assurent constater une diminution de l’incidence du SBS (tendance qui pourrait être le fruit de campagnes de sensibilisation) ne plaide pas en faveur d’une épidémie de faux diagnostics que certains mettent parfois en avant.

Affaire médico-légale complexe à suivre.

Aurélie Haroche

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