
Paris, le samedi 25 février 2023 – Les erreurs de communication se payent parfois cher. Pourtant, au départ, cela avait tout l’air du slogan idéal : simple et percutant, l’organisation Médecins pour demain demandait une revalorisation du tarif de la consultation à 50 euros. Pourtant, le message de ce groupement et au-delà de l’ensemble des syndicats représentants les médecins libéraux, est très loin de se résumer à cette seule revendication tarifaire. Depuis des mois, les médecins généralistes et spécialistes, tentent, à travers des manifestations, des manifestes ou simplement des posts sur les réseaux sociaux d’alerter sur le blues qui étreint un nombre croissant de praticiens de ville.
Cocktail explosif
Enquêtes après enquêtes, la forte prévalence du burn out chez les médecins libéraux est confirmée. Il ne manque, il est vrai, aucun ingrédient pour que la souffrance soit de plus en plus profonde et de plus répandue. D’abord, la charge de travail qui ne cesse de s’alourdir, liée non seulement aux tâches administratives souvent ubuesques, mais plus encore à l’augmentation du nombre de patients, en raison de ces nombreux départs à le retraite non remplacés. En travaillant plus, les médecins gagnent plus, même si les charges demeurent très élevées et contribuent un peu plus à nourrir un sentiment de perte de sens. Surtout, en travaillant plus, les médecins voient encore davantage se détériorer la qualité des soins qu’ils peuvent offrir à leurs patients, faisant primer la quantité sur la qualité. Sans parler du déséquilibre toujours plus flagrant entre leur vie au cabinet et leur vie familiale et personnelle.
Vous vouliez de l’argent, en voilà !
L’augmentation des tarifs de la consultation, en supprimant toutes notions de forfait et autres ROSP, doit permettre de répondre aux multiples mécanismes vicieux auxquels sont confrontés les médecins. Il s’agit d’éprouver moins durement le poids des charges, de se libérer des tâches administratives aussi usantes que chronophages et surtout de pouvoir mieux maîtriser le temps que l’on consacre aux patients, contribuant à une meilleure satisfaction vis-à-vis de son travail… en espérant que ces tarifs plus attractifs favoriseront également l’installation permettant ainsi de remédier en partie à la problématique des déserts médicaux (même si les problèmes de démographie médicale demeureront). Mais cette logique a été rapidement gommée pour ne retenir que les considérations pécuniaires mise en avant par le slogan, comme si elles étaient au cœur du mouvement. Ainsi, une grande partie de la communication des pouvoirs publics pour présenter ce qu’ils proposent aux médecins se concentre seulement sur l’aspect financier. Pour vanter l’augmentation de 1,50 euros du tarif du C pour les médecins généralistes qui refuseraient de s’engager dans le Contrat d’engagement territorial (CET), François Braun résume ainsi « c’est un beau 13ème mois pour les médecins ».
Travailler moins tout en gagnant au moins autant
Cette dialectique gouvernementale est insupportable pour les syndicats de médecins, qui rappellent que compte tenu de l’absence de revalorisation depuis 2017, cette hausse reste inférieure à l’inflation. Mais ce sont surtout les contours du Contrat d’engagement territorial (CET) devenu lors de la dernière réunion avec l’Assurance maladie « L’engagement territorial » (ET) qui hérissent les praticiens. Beaucoup sur Twitter ont ainsi résumé son esprit : travailler plus pour gagner plus, alors que les médecins, pour beaucoup, aspirent surtout à travailler moins tout en gagnant au moins autant.
Le changement, c’est pas maintenant
Nous l’avons déjà évoqué, le CET qui permettra aux médecins généralistes (secteur 1) de coter 30 euros et aux spécialistes (secteur 1) 35 euros suppose notamment une augmentation de sa file active de 50 patients ou sa patientèle médecin traitant de 40 patients et une participation à la permanence des soins (avec une ouverture des cabinets 24 samedis par an) ou la réalisation de cinq actes de soins non programmés par mois. Sur la forme, tout d’abord, beaucoup sur les réseaux sociaux n’ont de cesse de fustiger une véritable « usine à gaz ». « « Un dispositif simple » : je comprends mieux le concept de simplification administrative du coup. Dans leur dimension, simple = usine à gaz », ironise ainsi un praticien en réponse à la présentation faite du dispositif par le syndicat Jeunes Médecins. De nombreuses aberrations ont par ailleurs été épinglées. Ainsi, Richard Talbot, de la Fédération des médecins de France (FMF) qui a proposé un compte rendu au jour le jour souvent sarcastique des discussions remarque à propos de l’entrée en vigueur du dispositif le 1er octobre 2024 : « C’est tout de même curieux : l’urgence absolue est d’améliorer l’accès aux soins, mais les mesures pour le faire n’arrivent pas avant 19 mois ! drôle de façon de motiver les médecins libéraux ». Autre bizarrerie : « il faut atteindre le 70e percentile pour la file active (1900 patients différents par an) ou la patientèle ADULTE (plus de 1200 patients, donc ceux qui ont une grosse activité pédiatrique travailleront gratuitement) », note encore Richard Talbot. Que dire par ailleurs des objectifs visant les spécialistes, comme le note sur Twitter le docteur Jérôme Barriere : « On s’aperçoit que toutes les spécialistes semblent concernées. Mais j’avoue ne pas comprendre le sens de demander à des médecins nucléaires (+80) ou des radiothérapeutes (+30) d’augmenter leur file active ? », écrit-il dans une question à Thomas Fatôme et à la directrice déléguée de l’Assurance maladie, Marguerite Cazeneuve.
Une formation incomplète
Il n’en fallait pas plus pour que certains fustigent non pas seulement l’absence d’écoute (ce qui est habituel dans ce type de négociations) mais le décalage total des hauts décideurs avec la réalité. Le docteur Dominique Dupagne ironise ainsi à propos de Marguerite Cazeneuve qui a choisi ces derniers jours de participer elle-même au débat sur Twitter : « Marguerite Cazeneuve est brillante, à l’aise dans le dialogue en ligne, et je la crois sincère dans son souhait de bien faire. Il lui manque juste une chose, comme à tous ses collègues : un stage de trois mois dans un cabinet de médecine générale pour compléter sa formation (HEC, Mc Kinsey, P&G…) ».
Une (autre) réforme injuste pour les femmes…
Cette rupture entre les médecins et la direction de l’Assurance maladie qui se dessinent ici, sur fond notamment d’éléments de langage des seconds, évoque immanquablement ce qui se joue à un niveau plus global avec la réforme des retraites. Or, comme en ce qui concerne cette dernière, les médecins ont épinglé un programme qui semble ignorer les spécificités des modes d’exercice des femmes médecins (qui sont aujourd’hui majoritaires chez les généralistes) ; ce qui tranche avec le discours général affiché. En effet, l’idée du CET est totalement incompatible avec toute idée de travail partiel ou d’un équilibre plus stable entre vie professionnelle et vie privée auquel aspirent tous les médecins (et pas seulement les femmes). « En l’état, de la lecture que j’en fais, 90 % des médecins jeunes parents (et en l’occurrence surtout des femmes) seront exclus de facto du CET (30 samedis par an et/ou 5j/semaine avec des gros horaires = injouable) » remarque le docteur Thibaut Jacques. Face à ces arguments émis par plusieurs praticiens sur Twitter, Marguerite Cazeneuve a rétorqué : « Beaucoup de parents travaillent cinq jours par semaine (…). Les femmes ne sont pas préposées à la garde d’enfants ». Bien sûr, cette remarque qui n’échappe pas à une réelle logique féministe n’a pas suffi pour apaiser les esprits, d’autant plus que la directrice adjointe a ajouté : « Vous comprenez qu’en temps de pénurie médicale, où le parcours de soin et le médecin traitant sont en risque, cela (le temps partiel, ndlr) ne peut pas être le mode d’exercice que l’on décide de soutenir prioritairement ».
Stakhanovisme délétère
Pour beaucoup de commentateurs, par une telle réponse, Marguerite Cazeneuve et l’Assurance maladie n’ont fait que confirmer leur refus de prendre en compte les aspirations des médecins d’une meilleure qualité de vie. Aussi, beaucoup ont rappelé qu’un « temps partiel » pour un médecin libéral équivalait souvent à 35 heures ou encore que l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle faisait partie des clés d’une installation réussie (et la crainte de ne pouvoir le maintenir un frein à l’installation). Aussi, les réponses ont fusé : « En cette période de pénurie médicale, vous n’avez normalement pas le luxe de « soutenir prioritairement » tel ou tel mode d’exercice. Vous vous devez de soutenir la profession dans son ensemble, d’autant plus qu’elle n'est en aucun cas responsable de ladite pénurie », cingle un médecin généraliste derrière le compte Twitter MAF. Jean-Paul Hamon, président d’honneur de la FMF, ajoute : « Dans le contexte de pénurie médicale : on fait en sorte que la convention ne fasse pas fuir les jeunes et décourage les anciens ». De son côté, Jérome Marty, qui s’exprimait début février dans une tribune sur la médecine libérale remarque que c’est la « négation de la valeur de la prestation médicale » qui a « enfermé la médecine dans un stakhanovisme délétère pour la santé des médecins, des patients et l’optimisation des ressources. Notre proposition d’atteindre 50€ au cours de la période conventionnelle s’accompagne d’une transformation de la nature de la consultation qui sera centrée sur la prévention, sur une approche holistique du patient et sur une optimisation des données grâce au numérique. Ceci n’est possible que si nous sortons de ce stakhanovisme, doublons notre temps de consultation sans mettre en danger notre viabilité économique ».
Le suivi, c’est comme Capri, c’est fini !
Moins travailler, pour soigner mieux. Un tel programme ne semble pas du tout celui visé par l’Assurance maladie. En effet, outre cette injonction à travailler plus, le CET semble donner la primauté à la prise en charge de l’aigu et non au suivi des patients atteints de maladie chronique. Le compte Twitter Asclépios qui est tenu par un médecin cardiologue décrypte : « Si tu regardes finement ce que la nouvelle convention propose : elle booste les médecins qui font du soin non programmé. C’est-à-dire des consultations courtes pour des motifs simples opérés dans les 24-48 heures, aux dépends des suivis de maladies chroniques. (…) La multiplication des contraintes structurelles et des missions pour des gens juste surbookés les force à réorienter une partie de leur activité vers des secteurs moins encadrés ». Sur son blog, Michaël, médecin généraliste, va encore plus loin où pour démontrer l’hypocrisie et les effets contre-productifs du CET expliquent comment il sera facile de « tricher ». « L’astuce de Mimi : pour la case 1 (augmentation de l’offre médicale, ndlr) virez votre (télé-) secrétaire, coupez votre téléphone et arrêtez de donner des RDV de suivi à vos patients en suivi chronique ! Le suivi, c’est comme Capri : c’est fini ! Désormais, vous devez consacrer la moitié de votre planning à faire des soins « urgents »…
Faites du SAS aussi (inscription en 5 minutes à titre
personnel) : c’est de l’idéologie ridicule de gens qui ne
comprennent rien aux soins primaires, mais on s’en fout, c’est
mieux payé et ça augmente votre file active… au pire, ça vous fait
2h de pause par semaine pour faire votre administratif.
Dans le schéma idéal, toute prise de RDV se fait via Doctolib (ou
autre), et vous ouvrez tous vos créneaux pour tout le monde : vous
verrez les patients des médecins voisins et aurez une file active
importante. Certes, ça va altérer l’accès aux soins, ça va niquer
toute éducation à la santé que vos confrères tenteront d’instaurer,
et ça va altérer le suivi des patients les moins aptes à utiliser
internet mais eh, c’est aussi ça la sélection naturelle ! Et bien
sûr, si ça ne suffit pas, faites de la téléconsultation sans
rendez-vous au lieu de voir vos patients chroniques (s’ils vous
quittent car vous n’êtes plus assez disponible, cela libérera du
temps pour faire des soins urgents qui augmentent votre file active
!). Pour la case 3, si vous n’avez pas de CPTS, inscrivez-vous pour
le SAS ici ; et si vraiment vous n’avez pas d’autre solution pour
le reste, eh bien faites une téléconsultation de 10 minutes 30
samedis dans l’année (un acte gratuit banal que vous auriez fait
gratos dans la semaine, vous le programmez le samedi à 9h et
voilà). Si vous êtes motivé, voyez éventuellement s’il est possible
d’adhérer à une CPTS voisine – je ne sais pas s’il y a une
obligation d’être dans le même secteur pour adhérer à
l’association… en soi, vous pouvez vous passionner pour le parcours
de soins des diabétiques à 50 km de chez vous, chacun ses
lubies… » ironise-t-il ne cachant pas en conclusion ce qu’il
pense du CET et de son efficacité pour améliorer la qualité des
soins et les conditions de travail des médecins : « Le CET va donc
potentiellement créer une différence de salaire de l’ordre de 25-30
000€ entre les signataires et les non-signataires. A vous
maintenant de choisir votre clan entre ceux qui pensent que c’est
de la merde, et ceux qui le savent ».
Pour ceux qui voudraient en savoir plus, on peut relire :
Richard Talbot : https://www.fmfpro.org/les-negociations-conventionnelles-en-toute-transparence/
Dominique Dupagne : https://twitter.com/DDupagne?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor
Thibaut Jacques : https://twitter.com/ThibautJacques
Marguerite Cazeneuve : https://twitter.com/MCazeneuve
MAF : https://twitter.com/Maf_Maf_Maf
Jean-Paul Hamon : https://twitter.com/hamonjeanpaul
Jérôme Marty : https://www.ufml-syndicat.org/reconstruire-notre-medecine-liberale-pour-le-bien-commun-tribune-de-jerome-marty/
Asclépios : https://twitter.com/Asclepios
Le blog de Michaël : https://www.mimiryudo.com/blog/2023/02/comment-tricher-avec-le-contrat-dengagement-territorial/
Aurélie Haroche