
La prévalence de la maladie de Parkinson (MP) augmente régulièrement et devrait encore doubler d’ici 2040. Si certaines causes ont été identifiées, l’étiologie demeure le plus souvent incertaine. Ainsi, des mutations génétiques et les traumatismes crâniens, facteurs connus et identifiables, n'expliquent pas la majorité des cas. Il est envisagé que d'autres facteurs, moins visibles, interviennent et, parmi ceux-ci, un solvant industriel largement utilisé et contaminant environnemental répandu est suspecté de tenir un rôle dans la MP : le trichloréthylène (TCE). Dans un hypothesis paper publié il y a peu dans le Journal of Parkinson’s Disease, Ray Dorsey et coll explorent cette hypothèse et rapportent sept cas d’exposition environnementale ou professionnelle.
Vous avez dit trichloroéthylène ?
Le TCE est un solvant halogéné à six atomes, transparent, incolore, volatil, persistant dans l’environnement, qui peut décaféiner le café, dégraisser les pièces métalliques et nettoyer les vêtements à sec. Synthétisé pour la première fois en 1864, sa production commerciale a débuté dans les années 1920 ; il a été utilisé dans le nettoyage à sec depuis les années 1930 puis a été supplanté par le perchloroéthylène (PCE, un atome chlore supplémentaire) dans les années 1950. Dans des conditions anaérobies, le PCE se transforme en TCE, leur toxicité peut donc être similaire. On trouve du TCE dans de nombreux produits de consommation, notamment le liquide correcteur pour machines à écrire, les décapants pour peinture, les nettoyants pour tapis. Il était utilisé comme anesthésique inhalé jusqu’à son interdiction par la FDA (Food and Drug Administration) en 1977.
Certains effets toxiques du TCE sont bien connus. L’exposition maternelle pendant la grossesse peut être à l’origine d’anomalies du tube neural, de cardiopathies congénitales et d’un faible poids de naissance. De plus, il est considéré comme cancérogène avéré quelle que soit la voie d’exposition et sans seuil d’innocuité par l’OMS et l’EPA (Environnemental Protection Agency), en particulier pour le cancer du rein.
Une relation suspectée de longue date
Le lien entre le TCE et la MP a été évoqué pour la première fois en 1969. Depuis, des études de cas portant sur huit personnes ont établi un lien entre l'exposition professionnelle au TCE et la maladie de Parkinson. En outre, une petite étude épidémiologique chez des jumeaux a révélé que l'exposition au solvant dans le cadre professionnel ou des loisirs était associée à un risque accru de 500 % de développer une MP. Un intervalle de 10 à 40 ans entre l’exposition et le diagnostic était constaté.
La toxicité du TCE et du PCE est probablement médiée par un métabolite commun. Le TCE et le PCE, lipophiles, se répartissent facilement dans le cerveau et semblent provoquer un dysfonctionnement mitochondrial à doses élevées. Les neurones dopaminergiques sont sensibles aux neurotoxiques mitochondriaux. Dans des études animales, le TCE a entrainé une perte sélectives des neurones dopaminergiques. De plus, une inflammation et une accumulation d’α-synucléine, lésions neuropathologiques constatées dans la MP, ont été observées dans la substance noire de rongeurs exposés de façon chronique au TCE. La fonction mitochondriale était encore plus réduite dans le striatum du rat quand l’exposition au TCE était associée à un autre facteur de risque de MP, tel les traumatismes crâniens.
En plus des facteurs environnementaux, des études précliniques suggèrent que les facteurs de risque génétiques peuvent intervenir dans le neurodégénérescence induite par le TCE. Une étude a montré que l’exposition chronique au TCE augmente l’activité de LRRK (Leucine Rich Repeat Kinase 2) dans le striatum et la substance noire de rats, avant la perte de neurones dopaminergique. Or, les variants génétiques de LRRK2 sont liés à la fois à des formes de MP familiales et sporadiques, la plus courante augmentant de façon pathologique l’activité kinase LRRK2. La pénétrance incomplète des facteurs de risque génétiques suggère que des interactions gène-environnement pourraient intervenir.
Utilisation généralisée, contamination généralisée
Le TCE était omniprésent dans les années 1970, on estime à 10 millions les américains qui travaillaient en contact avec ce produit et à 8 % des travailleurs au Royaume-Uni. Bien que l'Union européenne (UE) et deux États américains aient interdit le TCE, il est toujours autorisé pour le dégraissage à la vapeur et le nettoyage à sec par points aux États-Unis et pour des utilisations industrielles autorisées (et réglementées) dans l'UE. Malgré cela, la consommation mondiale de TCE devrait augmenter de 3 % par an et la Chine représente la moitié du marché mondial. La voie d’exposition professionnelle est respiratoire ou cutanée. L'exposition ne se limite pas aux travailleurs. Le TCE pollue l'air extérieur et les eaux souterraines. De plus, la molécule, comme le radon, peut s'évaporer du sol et des eaux souterraines, pénétrer dans les bâtiments et polluer l’air intérieur, souvent sans être détectée.
En dépit d'une contamination généralisée et d'une utilisation industrielle, commerciale et militaire importante, les études cliniques sur le TCE, et plus généralement les solvants chlorés, et la MP sont limitées alors qu’il pourrait s’agir d’un contributeur évitable à la MP. Des recherches sont maintenant nécessaires pour vérifier cette hypothèse, ainsi que les interaction gènes-environnement. Les auteurs appellent enfin, à la protection et à l'assainissement des sites contaminés, et à l'interdiction de ce produit chimique centenaire qui a causé des dommages importants à la santé publique.
Dr Isabelle Méresse