Trop d’IPP pour les nourrissons

Les troubles fonctionnels gastro-intestinaux sont fréquents chez les nourrissons. De nombreux parents amènent leur enfant en consultation pour des régurgitations, vomissements, pleurs ou pour une colique supposée. De surcroît, 75 % de ces nourrissons pourraient avoir une combinaison de ces symptômes. Par analogie à l’adulte, ils sont attribués à un reflux gastro-œsophagien. Des inhibiteurs de la pompe à protons sont fréquemment prescrits en dépit de l’absence de corrélation entre les pleurs et le reflux acide démontré par pH-métrie.

Des pédiatres gastro-entérologues dans un éditorial s’élèvent contre les prescriptions abusives en nombre croissant. Dans la même revue, des auteurs irlandais ont montré à partir des données de remboursement des médicaments dans leur pays qu’en 2018, 450 enfants de moins d’un an sur 10 000 avaient reçu une prescription anti-reflux (antagonistes H2, IPP, alginate) contre 137/10 000 en 2009. La même tendance est observée partout dans le monde. Une enquête française prospective de 2018 auprès des pédiatres a montré que 78 % de 2 757 enfants de moins de 6 mois souffraient d’au moins un trouble fonctionnel, 63 % de deux, 15 % de 3 ou plus. Aussi, des IPP sont prescrits aux plus jeunes nourrissons ; une enquête néozélandaise a révélé que près de 9 % des enfants en avaient reçu à un mois, en dépit des recommandations d’utilisation uniquement en cas d’œsophagite érosive ou de reflux démontré par pH-métrie et impédance métrie.

Des effets secondaires possibles

La prescription d’IPP cherche à répondre à la demande de secours des parents devant les pleurs. Cependant, des effets secondaires des IPP sont mis en évidence dans les revues récentes : colite microscopique, perturbations en une semaine du microbiome susceptible de modifier le développement de l’immunité et de faciliter une allergie. L’usage chronique peut induire un déficit en fer et vitamine B12 et entraver l’absorption du calcium et magnésium. De surcroît, les IPP ne diminuent pas le reflux mais le modifie en reflux non acide qui pourrait avoir les mêmes effets négatifs. Le reflux non acide montré par impédance métrie pourrait causer plus de détresse et pleurs du nourrisson. La relation dose/effet des IPP n’est pas bien connue chez les petits en raison de l’immaturité métabolique du cytochrome P450.

Peu d’alternatives en dehors des mesures diététiques

Les antagonistes du récepteur H2 sont moins efficaces pour bloquer l’acidité et d’utilisation difficile après le retrait du marché du sirop en raison des dangers de l’excipient. Les prokinétiques n’ont pas montré d’efficacité dans le traitement du reflux ; leur toxicité cardiaque potentielle a entraîné le retrait du marché de certains. Les alginates semblent avoir une efficacité en cures de 2 semaines. Les sociétés de gastro-entérologie pédiatrique recommandent en première ligne l’apaisement et les mesures diététiques (fractionnement des repas, laits épaissis) car les troubles fonctionnels ont une durée limitée.

En conclusion, le reflux gastro-œsophagien et les coliques sont habituellement évoqués pour expliquer les troubles fonctionnels digestifs. Les inhibiteurs acides sont trop prescrits chez les nourrissons. Les reflux non extériorisés sont rares. La majorité des reflux ne sont pas acides et peuvent causer plus de détresse. Les mesures hygiéno-diététiques sont indiquées en première ligne.

Pr Jean-Jacques Baudon

Référence
Levy EI et coll. : Prescription of acid inhibitors in infants: an addiction hard to break. Eur J Pediatr. 2020;179:1957-1961

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Vos réactions (3)

  • Association de malfaiteurs

    Le 04 décembre 2020

    Oui, les IPP sont de dangereux produits dont on abreuve les nourrissons sans discernement, tout comme on leur donne des AINS sans la moindre justification. Les adultes ne sont pas moins victime de ces mauvais traitements. Le pire est la collusion AINS+IPP qui développe allègrement leurs ventes mutuelles aux détriment des patients et de la Sécu !

    Dr Pierre Rimbaud

  • Une part psychosomatique et physiologique essentielle

    Le 05 décembre 2020

    Le problème du surtraitement des nourrissons pour leurs troubles digestifs est bien réel, et sans doute, dû à une insuffisante compréhension des mécanismes qui engendrent ces"troubles".
    On est, dans la majorité des cas, à la limite du pathologique.

    La pression conjuguée des parents, faiblement informés de ce qui est normal chez leur enfant, et de laboratoires effectuant une promotion excessive de leurs "potions magiques", sans parler des techniques de mise en évidence du reflux et de l’œsophagite (fibroscopie, Phmétrie),dont l'indication est très souvent posée à la légère, et génératrice d'actes en série désagréables pour l'enfant : tout cela "dramatise" un phénomène dont la part psychosomatique et physiologique est essentielle, mais sous-estimée voire occultée.

    Je sais de quoi je parle, comme pédiatre (retraité)formé à la fibroscopie et la Phmétrie...

    Il faudrait informer davantage les futurs parents, et de préférence AVANT qu'ils soient confrontés aux multiples petits tracas engendrés par le statut de père et mère...
    Il y aurait moins besoin de" potion magique!

    Dr Xavier Baizeau

  • C'est aussi le travail des sages-femmes

    Le 08 décembre 2020

    Pour répondre au Dr Xavier Baizeau les parents sont informés depuis de longues années "aux multiples petits tracas engendrés par le statut de père et mère". Pendant les cours de préparation à l'accouchement et lors des visites à domicile après les sorties de maternité. Les sages-femmes sont présentes auprès des parents.
    Mais l'information ne suffit pas et les parents se trouvent, maintenant, vite désemparés quand un bébé pleure et qu'ils ne peuvent le consoler.
    En les accompagnant il faut aussi lutter contre les a priori de la famille, des parents eux-mêmes, des réseaux sociaux et forums et aussi contre certaines injonctions du milieu médical données à la sortie de la maternité. Bref, je dirais hélas que devenir parent aujourd'hui devient un vrai casse-tête.

    On prône partout le bébé parfait et les parents parfaits. Et c'est certains que ces parents là, devenus très inquiets, vont rechercher à tout prix" la potion magique.
    Si information il doit y avoir, il faut qu'elle se fasse à grande échelle et pas juste au niveau des spécialistes.

    Brigitte Tixier, sage-femme.

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