
La question de la durée optimale du traitement par antivitamines K (AVK) après un épisode de thrombose veineuse profonde (TVP) idiopathique est loin d’être résolue. On sait que les récidives surviennent préférentiellement dans les 6 à 12 mois après l’épisode initial et que ce risque diminue ensuite graduellement sans atteindre cependant celui de la population générale. Compte tenu des dangers des accidents hémorragiques au cours des traitements prolongés par anticoagulants, il serait donc intéressant de disposer d’un marqueur biologique pour déterminer chez quels patients les AVK doivent être poursuivies et chez lesquels elles peuvent être interrompues.
C’est à cette question de pratique quotidienne que s’est attaquée l’étude multicentrique italienne PROLONG.
Six cent huit patients ayant présenté une TVP (phlébite des membres inférieurs et/ou embolie pulmonaire) sans facteurs favorisants médico-chirurgicaux temporaires (fracture, alitement prolongé, grossesse, intervention chirurgicale) et sans syndrome des anticorps antiphospholipides, déficit en antithrombine, ni cancer ont été inclus dans ce travail.
Après au moins 3 mois d’AVK, le traitement a été interrompu durant un mois et un dosage qualitatif des D-dimères pratiqué. Lorsque le taux de D-dimères était normal (n= 385), les AVK n’étaient pas repris. Lorsque les D-dimères étaient élevés, les malades étaient randomisés entre une reprise des AVK (n=103) et un arrêt prolongé des anticoagulants (n=120).
Le critère de jugement était la survenue d’une récidive de TVP ou d’un accident hémorragique au cours d’une surveillance ayant duré en moyenne 1,4 ans.
Parmi les sujets ayant des D-dimères normaux un mois après l’interruption des anticoagulants oraux et qui n’ont plus reçu de traitement, le taux de récidive de TVP a été de 6,2 %. Chez les malades ayant des D-dimères élevés assignés à la reprise des AVK, le taux de récidive ou d’accidents hémorragiques a été 2,9 %, tandis que chez les patients ayant des D-dimères élevés assignés à l’absence de traitement, le taux de TVP a été de 15 %.
Ainsi, lorsque les D-dimères sont élevés un mois après l’arrêt des AVK, la reprise du traitement s’impose puisque les risque à moyen terme d’événements défavorables sont multipliés par 4,26 avec un intervalle de confiance à 95 % entre 1,23 et 14,6 (p=0,02).
Si cette étude permet de définir un groupe de sujets à haut risque de récidive de TVP chez qui les AVK doivent être repris elle n’aide pas à déterminer avec certitude chez quels patients elles peuvent être arrêtées sans danger puisque le groupe ayant des D-dimères normaux n’a pas été randomisé.
Malgré ce travail, il persiste donc encore de nombreuses
incertitudes sur la durée optimum du traitement par AVK. On peut
regretter plusieurs partis pris méthodologiques des auteurs :
1) que le taux de D-dimères n’ait été évalué que de façon
qualitative et non de façon quantitative ;
2) qu’il n’ait été réalisé qu’après un mois d’arrêt des AVK ce qui
d’une part a conduit à 5 TVP durant cette période d’arrêt des AVK
et d’autre part ne semble pas très pertinent sur le plan clinique
;
3) qu’il n’y ait qu’une détermination des D-dimères alors qu’il est
possible que leur cinétique puisse contribuer à la décision ;
4) que les sujets ayant des D-dimères normaux n’aient pas été
randomisés ;
5) que l’étude n’ait pas adopté le double aveugle, même si
l’évaluation des événements défavorables a été réalisée en double
insu.
On sait donc un peu mieux aujourd’hui à qui proposer un traitement prolongé par AVK après une TVP, mais on ignore toujours chez qui et quand le traitement peut être arrêté sans risque…
Dr Nicolas Chabert