Un ancien responsable de l’ANSM tire les leçons de l’affaire Lévothyrox

Paris, le mercredi 28 septembre 2022 – Afin d’améliorer la stabilité du médicament, la formulation du Lévothyrox a été modifiée en 2017, à la demande de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Cependant, s’agissant d’un médicament à marge thérapeutique étroite, cette évolution a provoqué chez un petit nombre de patients des déséquilibres hormonaux transitoires.

Si moins de 1,5 % des malades ont été concernés, compte tenu des deux millions de Français traités par Lévothyrox le nombre de personnes touchées a été relativement élevé. Surtout l’insuffisance de la communication a favorisé la suspicion, voire des théories du complot, tandis que certaines outrances n’ont pas pu être évitées.

Cet emballement regrettable a contribué à faire de la modification de la formulation du Lévothyrox une « affaire sanitaire » quand dans d’autres pays, une communication maîtrisée auprès des médecins afin qu’ils renforcent le suivi de leurs patients les plus à risque a permis une transition en douceur.

L’affaire Lévothyrox : d’abord un défaut de communication


Cinq ans après et alors que certaines conséquences judiciaires de cette affaire ne sont pas encore toutes connues, le Pr Philippe Lechat, ex-directeur de l’évaluation des médicaments à l’Agence du médicament, s’est exprimé dans les colonnes du Parisien sur la gestion de cette crise. A l’issue d’une expertise collective, il fut le signataire de la lettre envoyée à Merck demandant une modification de la composition du médicament, afin d’en améliorer la stabilité.

Aujourd’hui, il considère que cette évolution était nécessaire et souhaitable pour la qualité des soins dispensés aux patients et estime que les laboratoires Merck n’ont pas commis de faute en la matière. Il retient a contrario concernant l’ANSM deux failles, si ce n’est des erreurs. D’abord, un défaut de communication certain.

Pourtant, l’ANSM ne pouvait ignorer qu’une substitution du Levothyrox supposait une grande vigilance : sa qualité de médicament à marge thérapeutique étroite lui avait permis d’être exempté de la règle soumettant la dispense de frais (en cas de tiers payant) à l’acceptation de la substitution du princeps par le générique.

« Une information plus marquée aurait probablement évité cette affaire Levothyrox, car les professionnels auraient pu procéder aux nécessaires ajustements posologiques. L’ANSM était convaincue des critères de la bioéquivalence moyenne, et n’a pas réalisé qu’un certain nombre de patients allaient sortir des clous. On a fait, sans le vouloir, une expérimentation à grande échelle » reconnaît sans nuance le Pr Philippe Lechat.

Revoir les méthodes d’évaluation des génériques


L’insuffisance des études classiques de bioéquivalence pour garantir la bonne tolérance d’un médicament à marge thérapeutique étroite génériqué est l’autre grand enseignement retenu par le Pr Lechat. A l’origine d’une étude sur le sujet publiée cet été dans l’European Journal of drug metabolism and pharmacokinetics, il remarque : « la méthode actuelle de mise sur le marché des génériques (ce qu’est la nouvelle formule du Levothyrox) ne garantit pas la bioéquivalence à l’échelle individuelle. Je m’explique : l’effet thérapeutique d’une substance active est lié à son exposition dans le sang. Mais entre une version initiale et un générique, on accepte une différence de 20 %, en moyenne. C’est là que le bât blesse. Mathématiquement, « moyenne », cela veut dire qu’un tiers, voire 50 % des malades vont sortir de cet intervalle de confiance. Ce fut le cas avec le Levothyrox. Une partie des patients ont vu leur traitement se déséquilibrer ».

Une telle conclusion avait déjà été établie en 2017 par plusieurs équipes. La communication sur ces résultats était cependant complexe : il était important d’éviter d’ébranler la confiance (déjà fragile) des patients dans les médicaments génériques. Néanmoins, « l’affaire du Lévothyrox » pourrait contribuer à utiliser d’autres méthodes « garantissant l’absence d’impact thérapeutique lors du remplacement d’un médicament de référence par un générique » juge Philippe Lechat.

En tout état de cause en ce qui concerne les traitements les plus sensibles.

A.H.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (4)

  • Levothyrox et bioequivalance

    Le 29 septembre 2022

    C'est une manière élégante de nous montrer l'impuissance des médecins face à l'industrie pharmaceutique, et au monde politique et financier qui nous dirige...

    Dr J Husquin

  • Quelle affaire Lévothyrox?

    Le 30 septembre 2022

    Ah oui vous parlez de la surprescription de ce médicament découverte à cette occasion par nos autorités ! 3 millions de patients sous lévothyrox dont 9/10 pourraient se passer d'après une étude du New England Journal of Médicine. N Engl J Med 2017; 376:2534-2544.
    Rappelons en outre que cette "affaire" n'a été observée qu'en France, le changement de formulation en Suisse et en Belgique s'étant passé sans accroc !
    Il semblerait que certains médecins fort peu scrupuleux l'utilisent comme médicament contre le surpoids (en effet cela marche) malgré des risques disproportionnés, cela rappelle fortement le tristement célèbre Médiator. Pourquoi croyez vous que les préparations magistrales thyroïdiennes ont été interdites?

    F-X Le Foulon, Pharmacien

  • La com à bon dos

    Le 02 octobre 2022

    Considérer que 30 000 personnes touchées, est une erreur de communication, est un peu surprenant, comme conclusion. A aucun moment n'est fait allusion au fait que les médicaments utilisés en France sont aussi des produits mondialisés, et que ceci pouvait être à l'origine de soucis, parfois, à une étape, de la fabrication de matières premières jusqu'au médicament ; sans parler des ruptures d'approvisionnement qui est un autre sujet, en conséquence.

    Dr C Trape

  • Surprescription vraiment ?

    Le 03 octobre 2022

    En réaction à celle de M. Foulon. L'article que vous citez ne parle que des personnes de plus de 65 ans, asymptomatiques, dans une étude multicentrique.
    Il est exact que certaines personnes âgées peuvent être substituées à tort, parce qu'on a découvert un taux anormal de TSH. En hospitalisation, on apprend à distinguer tous ceux qui ont eu un examen récent avec injection d'iode, qui fausse complètement les résultats.
    Cela fait de nombreuses années qu'il y a une quantité énorme de personnes substituées et qui se portent très mal quand elles ne le sont pas, car elles en ont vraiment besoin. Mais cela n'a jamais été étudié. Probablement parce que les molécules ne coûtent pas cher et que personne ne voit d'intérêt à faire de la recherche sur ce sujet. Il est là le vrai scandale de Santé Publique.

    Dr Marie-Ange Grondin

Réagir à cet article

Les réactions sont réservées aux professionnels de santé inscrits et identifiés sur le site.
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.


Lorsque cela est nécessaire et possible, les réactions doivent être référencées (notamment si les données ou les affirmations présentées ne proviennent pas de l’expérience de l’auteur).

JIM se réserve le droit de ne pas mettre en ligne une réaction, en particulier si il juge qu’elle présente un caractère injurieux, diffamatoire ou discriminatoire ou qu’elle peut porter atteinte à l’image du site.