
Le 28 février 2016, une patiente est admise dans le service de chirurgie digestive de l’hôpital Saint-André, rattaché au CHU de Bordeaux, pour subir une ablation de la vésicule biliaire.
Plusieurs transfusions
Cette dernière, témoin de Jéhovah, avait informé de son refus
de recevoir des transfusions sanguines et avait demandé à pouvoir
bénéficier de techniques alternatives en cas de complications. Lors
de l’intervention réalisée le 29 février, une perforation
accidentelle de l'artère iliaque droite a causé une hémorragie qui
n'a pas pu être compensée par le mécanisme d'autotransfusion mis en
place conformément à la volonté de la patiente.
Le pronostic vital étant engagé avec une perte de sang évaluée
à quatre litres et une majoration du collapsus et de l'hypotension,
des transfusions de sept concentrés de globules rouges et de deux
unités de plasma frais congelé ont été réalisées. Dans les suites
immédiates de l'intervention, deux autres unités de plasma frais
congelé ont été administrées au sein du service de
réanimation.
Le 2 mars, la patiente souffrait d’une nouvelle baisse de son
taux d'hémoglobine (jusqu'à 5 g/dl à 18 heures) et l'anémie s'est
compliquée d'une souffrance myocardique et d'une dégradation de la
fonction respiratoire avec l'installation d'une hypoxie sévère
engageant le pronostic vital à court terme.
Malgré le refus réitéré de la patiente, une transfusion
sanguine a été réalisée sur la décision collégiale de deux
médecins, à l'insu de l'intéressée qui a été endormie et ne l'a
appris qu'un an plus tard, lorsque son dossier médical lui a été
communiqué à sa demande.
Au total, trois transfusions ont été effectuées mais dans des
contextes bien différents.
L’urgence vitale, le critère permettant de passer outre
Le refus de transfusion sanguine par des patients témoins de
Jéhovah est un sujet qui a alimenté un abondant contentieux devant
les juridictions administratives.
Si l’article 16 du Code Civil pose le principe de
l’inviolabilité du corps humain, l’article 16-3 prévoit, par
exception, qu’« Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du
corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à
titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui
».
Dans la droite ligne de ces dispositions, les articles
L.1110-2 et suivants du Code de Santé Publique fixent les
conditions dans lesquelles un patient peut refuser de recevoir un
traitement y compris pour des raisons qui dépassent le cadre des
soins. En principe, le médecin a pour obligation de respecter la
volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de
ses choix et de leur gravité.
Mais par exception, la jurisprudence estime que lorsque le
patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, que l’urgence vitale
l’impose, et que les directives anticipées formulées sont «
manifestement non conformes à la situation médicale », le médecin
peut passer outre la décision du patient à l'issue d'une procédure
collégiale définie par voie réglementaire et la décision, qui doit
être motivée, est inscrite dans le dossier médical. Cette position
a été définie dans un arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat du 26
octobre 2001 et récemment rappelée dans un arrêt du 20 mai
2022.
Sur ce fondement, la Cour administrative d’appel de Bordeaux
est venue confirmer les juges de première instance qui avaient
estimé que le centre hospitalier n’avait commis aucune faute en
procédant à des transfusions face à l’urgence vitale.
Une patiente volontairement endormie pour la troisième transfusion
Mais s’agissant de la troisième transfusion, les juges en
première instance comme en appel ont considéré que le centre
hospitaliser avait bien commis une faute en raison des manœuvres
employées par les praticiens pour contourner le refus de soins de
la patiente. En effet, les médecins ont tenté de convaincre la
patiente de la nécessité de réaliser une transfusion, cette
dernière étant alors parfaitement consciente.
Or, face à l’opposition répétée de la malade, les médecins ont
procédé à sa sédation. Pour la Cour, cette méthode suffit à engager
la responsabilité de l’hôpital « sans qu'il soit besoin de
rechercher si cette intervention était justifiée par une urgence
vitale ».
Quel préjudice ?
Dans cette circonstance bien particulière, le CHU a été
condamné à verser la somme de 4 000 euros au titre du préjudice
moral mais aussi de « troubles dans les conditions de
l’existence ». Une somme qui a été augmentée en appel, le
Tribunal administratif ayant en première instance accordé la somme
de 1.000 euros.
Charles Haroche