Un CHU condamné pour être passé outre le refus d’une transfusion sanguine chez un témoin de Jéhovah

Paris, le samedi 29 octobre 2022 - Que faire lorsqu’un traitement ou un acte de soin heurte les prescriptions religieuses d’un patient ? C’est la question épineuse à laquelle la Cour administrative d’appel de Bordeaux a dû répondre, à propos d’une situation bien connue du droit médical et des libertés publiques.
Le 28 février 2016, une patiente est admise dans le service de chirurgie digestive de l’hôpital Saint-André, rattaché au CHU de Bordeaux, pour subir une ablation de la vésicule biliaire.

Plusieurs transfusions


Cette dernière, témoin de Jéhovah, avait informé de son refus de recevoir des transfusions sanguines et avait demandé à pouvoir bénéficier de techniques alternatives en cas de complications. Lors de l’intervention réalisée le 29 février, une perforation accidentelle de l'artère iliaque droite a causé une hémorragie qui n'a pas pu être compensée par le mécanisme d'autotransfusion mis en place conformément à la volonté de la patiente.

Le pronostic vital étant engagé avec une perte de sang évaluée à quatre litres et une majoration du collapsus et de l'hypotension, des transfusions de sept concentrés de globules rouges et de deux unités de plasma frais congelé ont été réalisées. Dans les suites immédiates de l'intervention, deux autres unités de plasma frais congelé ont été administrées au sein du service de réanimation.

Le 2 mars, la patiente souffrait d’une nouvelle baisse de son taux d'hémoglobine (jusqu'à 5 g/dl à 18 heures) et l'anémie s'est compliquée d'une souffrance myocardique et d'une dégradation de la fonction respiratoire avec l'installation d'une hypoxie sévère engageant le pronostic vital à court terme.

Malgré le refus réitéré de la patiente, une transfusion sanguine a été réalisée sur la décision collégiale de deux médecins, à l'insu de l'intéressée qui a été endormie et ne l'a appris qu'un an plus tard, lorsque son dossier médical lui a été communiqué à sa demande.

Au total, trois transfusions ont été effectuées mais dans des contextes bien différents.

L’urgence vitale, le critère permettant de passer outre


Le refus de transfusion sanguine par des patients témoins de Jéhovah est un sujet qui a alimenté un abondant contentieux devant les juridictions administratives.

Si l’article 16 du Code Civil pose le principe de l’inviolabilité du corps humain, l’article 16-3 prévoit, par exception, qu’« Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui ».

Dans la droite ligne de ces dispositions, les articles L.1110-2 et suivants du Code de Santé Publique fixent les conditions dans lesquelles un patient peut refuser de recevoir un traitement y compris pour des raisons qui dépassent le cadre des soins. En principe, le médecin a pour obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité.  

Mais par exception, la jurisprudence estime que lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, que l’urgence vitale l’impose, et que les directives anticipées formulées sont « manifestement non conformes à la situation médicale », le médecin peut passer outre la décision du patient à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et la décision, qui doit être motivée, est inscrite dans le dossier médical. Cette position a été définie dans un arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat du 26 octobre 2001 et récemment rappelée dans un arrêt du 20 mai 2022.

Sur ce fondement, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue confirmer les juges de première instance qui avaient estimé que le centre hospitalier n’avait commis aucune faute en procédant à des transfusions face à l’urgence vitale.

Une patiente volontairement endormie pour la troisième transfusion


Mais s’agissant de la troisième transfusion, les juges en première instance comme en appel ont considéré que le centre hospitaliser avait bien commis une faute en raison des manœuvres employées par les praticiens pour contourner le refus de soins de la patiente. En effet, les médecins ont tenté de convaincre la patiente de la nécessité de réaliser une transfusion, cette dernière étant alors parfaitement consciente.

Or, face à l’opposition répétée de la malade, les médecins ont procédé à sa sédation. Pour la Cour, cette méthode suffit à engager la responsabilité de l’hôpital « sans qu'il soit besoin de rechercher si cette intervention était justifiée par une urgence vitale ».

Quel préjudice ?


Dans cette circonstance bien particulière, le CHU a été condamné à verser la somme de 4 000 euros au titre du préjudice moral mais aussi de « troubles dans les conditions de l’existence ».  Une somme qui a été augmentée en appel, le Tribunal administratif ayant en première instance accordé la somme de 1.000 euros.

Charles Haroche

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Vos réactions (22)

  • Un régal de juriste

    Le 29 octobre 2022

    On atteint là les limites de la législation. Les juges défendent la sacro-sainte loi au mépris de la vie humaine. Qu'aurait décidé ce juge (en toute responsabilité) si on l'avait consulté avant la dernière perfusion ?

    Dr P Castaing

  • Salut à toi, Dame Bêtise...

    Le 29 octobre 2022

    Il aurait mieux valu laisser cette c... femme mourir en accord avec ses croyances. Les médecins du CHU ont d'autres chats à fouetter et la justice aussi.

    Dr A Krivitzky

  • Bof

    Le 29 octobre 2022

    La question est pourquoi une plaie de l’artère iliaque qui est très à distance de la vésicule biliaire ?

    Dr W Melnick

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