
Afin de préciser ces différents points, une cohorte d’environ
18 000 femmes a été constituée, à qui on a demandé de porter un
accéléromètre pendant 7 jours. Deux questions ont été débattues
:
- pour un nombre de pas quotidien donné, y a-t-il
un lien entre « intensité » de la marche et mortalité
?
Les participantes étaient les femmes de la Women’s Heath
Study qui avait eu pour but initial de tester le
bénéfice/risque préventif de la prise d’aspirine et de vitamine E
auprès de 39 876 femmes d’au moins 45 ans, entre 1992 et 2004.
Entre 2011 et 2015, une enquête complémentaire a porté sur
l’activité physique ; 18 289 étaient éligibles, dont 17 708 ont
porté durant 7 jours consécutifs (sauf la nuit et lors des contacts
avec l’eau) un accéléromètre de type ActiGraph GT3x+. Au final,
seules 16 741 (96 %), qui avaient gardé l’accéléromètre pendant
plus de 10 heures par jour et pendant au moins 4 jours, ont été
incluses dans l’analyse. Celle-ci a comporté la mesure du nombre de
pas quotidiens, couplée à plusieurs mesures d’intensité concernant
la marche : cadence maximale des pas en une minute (soit plus grand
nombre de pas effectués en une minute un jour donné), cadence sur 5
minutes, temps passé à plus de 40 pas par minute…, reflétant ainsi
les diverses modalités de la marche, de lente à rapide. Au final,
cette dernière a été classée en marche nulle (nombre de pas à
zéro), incidentale (nombre de pas de 1 à 39 par minute),
intentionnelle (plus de 40 pas/minute) et rapide (plus de 100
pas/minute). D’autres données ont aussi été recueillies, telles que
les caractéristiques socio démographiques, les habitudes en matière
santé, les antécédents médicaux personnels et familiaux, le poids,
la taille, les consommations tabagique et alcoolique, le régime
alimentaire, la prise d’hormones après la ménopause…
Le paramètre essentiel mesuré a été la mortalité globale
jusqu’au 31 Décembre 2017. Plusieurs analyses de sensibilité ont
été menées afin de minimiser les biais possibles : exclusion de la
première année de suivi, des femmes présentant une pathologie
cardio vasculaire, néoplasique ou diabétique, de celles ayant
rapporté un état de santé qu’elles jugeaient bon ou excellent,
enfin de celles dont l’indice de masse corporelle était inférieur à
18,5 kg/m2. L’âge moyen (DS) était de 72,0
(5,7) ans (allant de 62 à 101 ans). La durée moyenne du port du
dispositif d’enregistrement a été de 14,9 (1,2) heures/jour. Le
nombre moyen de pas a été de 5 499 par jour, avec une médiane de 5
094 pas quotidiens. Les cadences maximales moyennes en 1 et 30
minutes ont été respectivement de 92 et 58 pas. Sur 5 minutes, la
cadence moyenne maximale était de 63 pas/minute. En moyenne, 51,4 %
des participantes ont très peu marché durant l’étude ; 45,5 % ont
eu une marche de type « incidentale ». Seules, 3,1 % du
collectif ont eu une marche rapide, au-delà de 40 pas/minute.
Une chute de la mortalité de 15 % avec 1 000 pas de plus par jour, peu importe la vitesse
Lors du suivi de 4,3 ans en moyenne, il y a eu 504 décès. Le
nombre médian de pas par jour (du quartile le plus bas au plus
élevé) était de 2 718, 4 363, 5 905 et 8 442. Les hazards ratio de
mortalité correspondants sont 1 (référence), 0,59 (intervalle de
confiance à 95 % IC 0,47-0,75), 0,54 (IC, 0,41-0,72), et 0,42
(IC, 0,30-0,60). Le taux absolu de réduction de la mortalité entre
les meilleures marcheuses (quartile le plus élevé) et les moins
bonnes est de 9,3 décès pour 1 000 personnes-années. Pour chaque
millier de pas journaliers supplémentaires, le HR (Hazard Ratio) a
chuté de 15 %. La prise en compte de l’indice de masse corporelle,
de la pression artérielle, d’un diabète potentiel ne modifie pas
les résultats globaux. Il est à remarquer que le HR diminue de
façon significative quand le nombre de pas augmente de 3 000 à 3
999/ jour, avec, par la suite réduction supplémentaire jusqu’ à,
approximativement 7 500 pas par jour. Les analyses de sensibilité
amènent à des conclusions identiques. Concernant l’intensité de la
marche, les valeurs les plus hautes étaient, globalement, associées
à une baisse du taux de mortalité, cette association perdant
toutefois sa significativité après ajustement avec le nombre de pas
effectués par jour.
En résumé, chez des femmes âgées en moyenne de 72 ans, un
nombre de pas journaliers d’environ 4 400 est associé à une
réduction de 41 % du taux de mortalité, comparativement à un nombre
de pas moyen de 2 700 par jour. La courbe dose-réponse est en forme
de L, avec une diminution progressive jusqu’ à un maximum de 7 500
pas par jour, puis, au-delà, une égalisation. Dans la population
étudiée, c’est le nombre de pas, plus que la vitesse de la marche,
qui a été le facteur primordial jouant sur la mortalité.
Plusieurs méta analyses d’études observationnelles avaient
déjà établi l’existence d’une relation inverse entre marche et
mortalité. Peu d’études longitudinales avaient été cependant
réalisées, dont l’essai NAVIGATOR qui avait démontré une diminution
du risque cardiovasculaire d’environ 10 % pour 2 000 pas
additionnels effectués par jour. D’autres travaux avaient étudié la
relation possible entre nombre de pas quotidiens et marqueurs
cardiométaboliques, révélant une amélioration, grâce à la marche,
de la tolérance au glucose, de la dyslipidémie et une évolution
favorable de l’adiposité et de la sensibilité à l’insuline.
Un bénéfice jusqu’à 7 500 pas quotidiens
Plus que la durée hebdomadaire d’activité physique
recommandée, en règle de 150 minutes ou plus par semaine, la prise
en compte du nombre de pas quotidiens se révélerait être aussi
judicieuse, d’autant que facilement mesurable par des dispositifs
portables. La mesure, en elle-même, pourrait être une source de
motivation complémentaire.
La force majeure de ce travail réside dans l’importance de la
cohorte d’étude, de l’enregistrement effectué en continu plusieurs
jours de suite, par accéléromètre. Elle tient, également, à
l’inclusion de nombreux facteurs confondants potentiels et à la
réalisation de plusieurs analyses de sensibilité. A l’inverse, on
doit se rappeler qu’il s’agit d’une étude observationnelle, que le
régime alimentaire n’était pas dument précisé, qu’avaient été
exclues les femmes handicapées ou dépressives. De plus, les
participantes étaient surtout blanches et de bon niveau
socio-économique. En dernier lieu, seule la mortalité globale a été
étudiée.
Dr Pierre Margent