
Le déficit en alpha 1 antitrypsine (A1AT) est une maladie autosomique co-dominante rare où l’atteinte hépatique est liée à l’accumulation de l’A1AT mutée polymérisée dans le réticulum endoplasmique des hépatocytes (granulations PAS +) à l’origine d’un stress oxydatif et d’altérations mitochondriales, d’inflammation, de fibrose et in fine de cirrhose avec hypertension portale qui peut se compliquer d’un hépatocarcinome. Sa prévalence dans la population générale d'Europe de l'Ouest est d'environ 1/2 500. Elle doit être évoquée devant toute maladie chronique du foie inexpliquée, compliquée ou non, isolée ou parfois associée à des signes respiratoires après 40 ans (asthme, BPCO, emphysème précoce). Si le traitement de l’atteinte pulmonaire est basé sur des perfusions itératives d’A1AT purifiée, seule la transplantation hépatique est efficace dans les cirrhoses évoluées responsables de 10 % de décès. Un essai ouvert de phase 2 a étudié, dans 4 centres anglo-germaniques l'innocuité et l'efficacité du fazirsiran, un agent ARN interférent, chez des patients atteints d'une maladie hépatique associée à un déficit en A1AT.
Moins de protéine mutée dans le foie et le sérum
Seize adultes avec le génotype Pi ZZ ont reçu du fazirsiran à une dose de 200 mg (cohortes 1 [4 patients] et 2 [8 patients]) ou 100 mg (cohorte 1b [4 patients]) par voie sous-cutanée le jour 1 et semaine 4 puis toutes les 12 semaines. Le critère d'évaluation principal était le changement entre la ligne de base et la semaine 24 (cohortes 1 et 1b) ou la semaine 48 (cohorte 2) des concentrations hépatiques de Z-A1AT. Pour tous les patients l’accumulation de cette protéine mutée a diminué dans le foie (réduction médiane 83 % à la semaine 24 ou 48). Le nadir dans le sérum était une réduction d'environ 90 %, et le traitement était également associé à une diminution de la charge des granules histologiques PAS + de 7,4 au départ, à 2,3 à la semaine 24 ou 48. Toutes les cohortes présentaient une baisse des concentrations de transaminases et gamma-GT. Une régression de la fibrose a été observée chez 7 des 15 patients et une progression de la fibrose chez 2 des 15 patients après 24 ou 48 semaines. Quatre événements indésirables graves (myocardite virale, diverticulite, dyspnée et névrite vestibulaire après vaccination Covid-19) ont été résolutifs. Sur une période de 1,5 an, il n'y a eu aucun décès, arrêt de traitement par le fazirsiran ou interruption de dose. Les événements indésirables les plus fréquents qui sont apparus ou se sont aggravés après la première administration de fazirsiran étaient les arthralgies et l'augmentation mineure et transitoire des concentrations sanguines de créatinine kinase dans 4 cas.
L’existence d’une régulation de l’expression des gènes a suscité de nombreux espoirs pour de nouvelles stratégies thérapeutiques. Ainsi en est-il avec les petits ARN interférents (ARNi) capables de moduler l’expression d’un grand nombre de gènes. Cependant, malgré leur potentiel, les ARNi sont peu stables dans les fluides biologiques et doivent souvent être chimiquement modifiés ou vectorisés pour pouvoir pénétrer au sein des cellules cibles et atteindre le cytoplasme afin d’induire l’inhibition génique souhaitée. Le déficit en A1AT est caractérisé par une diminution des taux sériques de cette protéine (< 1,1 g/l en l’absence un syndrome inflammatoire), liés à la présence de mutations du gène SERPINA1 chez les patients avec un phénotypage PiZZ homozygote. Le fazirsiran est un ARNi thérapeutique expérimental qui contient un petit duplex d'ARNi synthétique, double brin, qui se lie à un récepteur hépatocytaire pour faciliter son absorption intracellulaire. Il provoque la dégradation de l'ARN messager A1AT et Z-A1AT et réduit ainsi la synthèse des polymères mutés dans les hépatocytes avec fibrose de FO à F4 (la cirrhose clinique constituée a été exclue de l’étude). Les résultats positifs de cette petite étude ouverte ne peuvent néanmoins pas être extrapolés aux phénotype PiZ hétérozygote (Pim) qui touche 2-3 % de la population française et Pisz encore plus rare (0,2 %). L’absence de parallélisme entre la diminution de la Z-A1AT mutée et l’amélioration de la fibrose a été observée par 3 anatomopathologistes : elle est associée à une faible diminution (-12 %) de l’élasticité au Fibroscan, ce qui, peut-être est lié à un échantillon réduit avec un suivi insuffisant de 24 et 48 semaines de traitement.
Fluctuation des paramètres respiratoires
Dans cet essai ouvert de petite taille, une diminution progressive du VEMS moyen a été observée jusqu'à la semaine 52, bien que le VEMS médian et la DLCO moyenne soient restés stables sans aggravation de l’emphysème préexistant et sans claire relation de cause à effet avec le traitement (absence de centralisation des tests, fluctuations classiques des paramètres respiratoires).
Dans la pratique, le pronostic de cette affection est souvent dépendant de facteurs de risque, sexe masculin, obésité (NAFLD) ou autres comorbidités (alcool, VHC). Le traitement repose actuellement sur la prise en charge de ces cofacteurs de risque et sur la transplantation pour les formes évoluées. Les premiers résultats de ce nouvel ARNi, issu de la recherche californienne, sont porteurs d’espoir dans une maladie génétique où intervient la variabilité des mécanismes d’élimination des polymères anormaux et des réponses cellulaires au stress. La route sera cependant encore longue pour confirmer l’avancée thérapeutique du fazirsiran dans une véritable phase 3 versus placebo incluant des enfants porteurs d’une maladie avancée avant transplantation hépatique et excluant les stéatopathies nutritionnelles de plus en plus intriquées aux conséquences fibrosantes du déficit en A1AT.
En conclusion, le fazirsiran permet, dans un petit essai ouvert, une forte réduction des concentrations de la Z-A1AT anormale dans le sérum et le foie, associée à des améliorations biologiques concomitantes des enzymes hépatiques. Le profil sécuritaire de cette nouvelle classe thérapeutique est bon à court terme et les fluctuations de la fonction respiratoire restent intrigantes. L’amélioration histologique de la fibrose n’est cependant pas constante et une plus large et longue étude s’avère indispensable pour confirmer l’utilisation de ce nouvel ARNi dans les différents stades de cette maladie orpheline.
Dr Sylvain Beorchia