
La mise à disposition d’une formulation différente du Levothyrox (commercialisé par Merck) depuis le printemps 2017 a été l’objet des remous que l'on sait. Destinée à améliorer la stabilité du principe actif du médicament, la nouvelle composition a été suspectée de provoquer de nombreux effets indésirables. La vérification de la bio équivalence entre l’ancienne et la nouvelle formule et l’analyse de quelques lots n’ont pas permis aux autorités sanitaires d’identifier de causes liées à la composition du médicament pour expliquer les nombreuses complications déclarées.
Deux pistes ont donc été retenues.
Enfin, les autorités sanitaires et la grande majorité des médecins suivant des patients traités par Levothyrox ont pu observer qu’en dépit de l’avalanche de témoignages dans les médias et les réseaux sociaux, la majorité des patients a parfaitement bien toléré le passage à la nouvelle formule.
Analyses parallèles
Ces explications ne satisfont pas l’ensemble des associations de patients, dont certaines assurent que les effets rapportés n’ont pas tous été transitoires. Elles dénient par ailleurs la pertinence de l’explication reposant sur l’effet nocebo, dont elles considèrent qu’elle est une négation de la véritable souffrance des malades, voire une certaine forme de mépris. Néanmoins, ces organisations reconnaissent elles-mêmes pour l’heure qu’il n’existe pas de données « rationnelles » permettant de comprendre les effets secondaires décrits par les patients. Aussi, des analyses parallèles ont été tentées.L’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) est en première ligne dans ce dossier. Il y a quelques semaines, elle présentait ainsi les résultats d’une analyse signalant la possible trace de métaux lourds et de nanoparticules dans la nouvelle formule du Levothyrox : ces conclusions n’étaient cependant pas suffisamment probantes pour permettre d'en tirer des enseignements significatifs.
Un pic suspect
L’AFMT remarque par ailleurs comme élément inquiétant (selon elle) que les pics de Levothyroxine retrouvés dans la nouvelle formule sont inférieurs à ceux de l’ancienne formule et aux spécifications (mais cette infériorité pourrait aller de pair avec une meilleure stabilité).
Des questions multiples
Ces résultats très parcellaires ont été transmis au juge d’instruction chargé de l’affaire. Comme le reconnaît elle-même l’AFMT, ils ne sauraient suffire à tirer des conclusions définitives. Cependant, elle considère qu’ils justifient la réalisation de nouvelles investigations par les autorités sanitaires.En réalité, de nombreuses questions se posent liées notamment au flou total sur les conditions de réalisation de l’étude (nom du laboratoire, conditions et protocole de "l'expertise", nom et qualification du chimiste l'ayant réalisé, nombre de comprimés testés, type de chromatogramme réalisé). Par ailleurs, il sera essentiel de déterminer la nature du second pic identifié (s’il est confirmé) : s’agit-il réellement de dextrothyroxine et sur quels arguments se base l'association pour avancer cette hypothèse ? S’il s’agit réellement de dextrothyroxine, sa présence aurait-t-elle pu entraîner les effets secondaires signalés par les patients (l’analyse de pharmacovigilance de l’ANSM ne rapportait pas d’atteintes hépatiques ou cardiaques plus fréquentes qu’attendu) ? Enfin comment expliquer que la présence alléguée de cette forme racémique de thyroxine ait pu échapper au contrôle du laboratoire et de l'ANSM ?
Dernière minute :
Dans des communiqués diffusés cet après-midi, le laboratoire et l’ANSM rejettent très clairement les conclusions présentées par l’AFMT. Remarquant que l’absence totale de détails ne permet pas de « se prononcer sur la validité » des résultats exposés, l’ANSM insiste par ailleurs sur le fait qu’elle « a mené depuis septembre 2017 des analyses pour vérifier la qualité de la nouvelle formule de Levothyrox qui ont confirmé sa conformité ». Elle a notamment pu écarter tout risque lié à la présence à l’état de traces de métaux lourds (inévitable et constatée dans de nombreux produits). Elle a également confirmé « l’absence de butylhydroxytoluène ». De son côté, Merck attaque plus frontalement l’AFMT, regrettant qu’elle soit « une fois de plus » à l’origine d’une « déclaration infondée scientifiquement ». « Nous démentons de façon formelle la présence de Dextrothyroxine dans les comprimés de Lévothyrox , qu’il s’agisse de l’ancienne ou de la nouvelle formule » ajoute encore Balérie Letho pharmacienne responsable du groupe.
Ainsi, à la lueur de ces démentis sans nuance, peut-on pressentir que ce nouveau rebondissement nourrira davantage la polémique que la réflexion médicale et scientifique.
Aurélie Haroche