Vaccin : un professeur de médecine devrait-il dire ça ?

Paris, le samedi 12 décembre 2020 – Une semaine décisive pour la vaccination contre la Covid-19 vient de s’écouler avec le lancement au Royaume-Uni de la campagne d’immunisation par le vaccin des laboratoires Pfizer/Biontech qui utilise la technique souvent qualifiée de « révolutionnaire » de l’ARNm. Dans le sillage de cette première et alors que plusieurs pays devraient dès la semaine prochaine imiter le Royaume-Uni, des données plus complètes ont été présentées par la FDA tout d’abord puis, ce qui est plus important encore dans le New England Journal of Medicine. Ces résultats que nous avons largement commentés apportent des éléments encourageants sur l’efficacité et le profil de tolérance du vaccin.

Une voix discordante

Avec cette étape cruciale, l’acuité de l’enjeu central qu’est l’adhésion des populations est plus forte que jamais (notamment en France où les résultats d’enquêtes montrent systématiquement qu’elle est l’un des pays où la défiance est la plus marquée et plus forte que jamais). Or, la semaine a été marquée par un discours dissonant (et en tout cas nuancé) du professeur Eric Caumes (spécialiste de médecine infectieuse, La Pitié-Salpêtrière). Auprès de plusieurs médias (et avant que ce jeudi soir le New England Journal of Medicine ne publie l’étude clinique des laboratoires Pfizer/Biontech) il a exprimé ses réserves. Regrettant un excès de précipitation, déplorant le retard (finalement vite rattrapé) de publication dans une revue à comité de lecture et observant avec une certaine circonspection les deux réactions anaphylactiques survenues dès le premier jour en Grande-Bretagne, Eric Caumes a ainsi considéré que l’utilisation immédiate du vaccin Pfizer/Biontech devait probablement tenir compte du bénéfice/risque pour chaque sujet, quant à leur probabilité de présenter une forme grave de Covid (c’est-à-dire en creux à hésiter chez les sujets jeunes à faible risque de complications).  

Sur l’air de « Je ne suis pas raciste, mais… »

Le rôle joué par la parole des experts sur un grand nombre de sujets médicaux a souvent été analysé. Les déclarations d’un praticien réputé semblant s’écarter quelque peu de la « doxa » ravissent toujours les complotistes et autres anti-vaccins qui n’hésitent pas à les utiliser comme des arguments d’autorité, quitte à les déformer. Dès lors une très grande prudence devrait systématiquement être observée par ces experts afin d’éviter toute mauvaise interprétation. Le plaisir de se voir offrir une tribune ne doit pas prendre le pas sur ces obligations de réserve et de pédagogie si l’on veut éviter un effet contre-productif dommageable. Sans doute, en la matière, se contenter de rappeler, comme l’a fait le professeur Eric Caumes que l’on est « favorable aux vaccins » est totalement insuffisant. D’abord, parce que de telles assertions se retrouvent dans les discours de praticiens dont l’hostilité vis-à-vis des vaccins ne sont plus un mystère. En outre, comme l’a fait remarquer un commentateur politique, cette précaution oratoire fait évoquer le très hypocrite « Je ne suis pas raciste, mais… », qui souvent n’augure guère rien de positif. En la matière, il semble que le professeur Caumes (qui aurait pourtant pu être sensible à ces questions de transmission compte tenu de son expérience personnelle concernant la controverse sur la maladie de Lyme) ne soit pas parvenu à totalement éviter que son discours ne soit pas très vite diffusé par ceux qui depuis le début de l’épidémie veulent croire (ou faire croire) que la situation sanitaire n’est qu’un prétexte pour permettre aux laboratoires pharmaceutiques de largement distribuer de nouveaux vaccins. Les doutes en fait raisonnables du professeur Caumes ont également pu servir de point de départ à ceux qui d’une manière générale invitent au doute systématique vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques.

Covidiot

Dans ce contexte de crainte que la moindre manifestation d’une incertitude soit détournée et utilisée de façon dangereuse alors que l’adhésion est déjà très fragile (et tandis que très vite le professeur Eric Caumes est redevenu en une semaine la coqueluche de médias toujours prompts à attiser ce type de controverses), les réactions outrées aux propos du praticien se sont multipliées. Outre le ministre de la Santé, Olivier Véran qui n’a pas mâché ses mots (en reprochant aux passages au professeur Caumes ses différentes opinions divergentes sur l’épidémie) et qui est vrai a été confronté au cours de son passage sur LCI à une militante pro Raoult sans fard, la communauté de médecins très active sur Twitter a été vive. « Le 8 décembre va probablement devenir jour férié dans le calendrier des antivax » a ainsi Tweeté ironiquement le professeur Yonathan Freund (qui depuis s’est retiré du réseau social). Plus violement encore, le Dr Christian Lehman, qu’on a connu moins catégorique sur certains vaccins (concernant par exemple la vaccination anti HPV) a lancé : « J'ai un peu honte quand je vois ce qu'Eric Caumes est prêt à faire pour tuer le game et remporter le Pangolin d'Or du Covidiot médical toxique de 2020 ». De la même manière, les médecins ou biologistes qui tout au long de ces derniers mois ont patiemment ou moins patiemment répété aux afficionados de l’hydroxychloroquine l’importance des publications scientifiques se montraient bien moins inquiets tout à coup que jusqu’à jeudi tout au moins, une telle preuve manqua au dossier de Pfizer-Biontech, comme le remarquait Eric Caumes. Cette vindicte s’est manifestée quelques jours à peine après que les mêmes (ou beaucoup parmi eux dont le professeur Freund) se soient félicités du discours du professeur Fischer, marqué par la tempérance et martelant la nécessité d’une transparence absolue.

Choisis ton camp

La fracture du débat autour des vaccins n’est pas neuve : les pro-vaccins sont très rapidement taxés d’être des vaccinolâtres (et le JIM a souvent été rangé dans cette catégorie), tandis que ceux qui se risquent à émettre des réserves sont immédiatement catalogués comme anti-vaccins. Sans doute l’épidémie de Covid-19 a-t-elle un peu déplacé les lignes idéologiques : ceux qui se montrent depuis le début les plus soucieux de rappeler la très grande gravité de la crise en implorant confinement et autres fermetures d’école, voient dans tout discours différent la marque d’un négationnisme dangereux. Dès lors, émettre l’idée que compte tenu du faible risque de forme grave de Covid-19 et plus encore de décès pour une grande majorité de la population, un attentisme vaccinal n’est pas inenvisageable pour certaines populations est perçu comme un discours hypocrite et dangereux, non seulement vis-à-vis de la défiance vaccinale mais également de la minimisation des risques liés à la Covid.

Effets secondaires

Mais si on dépasse les invectives principalement animées par des considérations idéologiques et par la volonté de manifester que l’on appartient à tel ou tel camp, l’analyse des propos du professeur Caumes résiste-t-elle à la critique ? Sur son observation d’un nombre très élevé d’effets secondaires qui a beaucoup été reprise, l’argument a été assez rapidement évacué. « 1 personne sur 3 a des céphalées,1/3 est fatiguée, 1/10 a mal aux muscles, 1/10 a des diarrhées. Et ça c'est le placebo. Conclusion : les délires antivaxx ont créé de toute pièces un des effets nocebo les plus importants de l'histoire (NB et Caumes ne sait pas lire une étude) » remarque lapidaire un neurologue répondant au pseudonyme de Qffwffq sur Twitter. Cependant, concernant les deux réactions anaphylactiques relevées dès le premier jour de la campagne en Grande-Bretagne, le docteur Claudina Michal-Teitelbaum observe : « Dans le discours global sur les vaccins, ce type d'effets indésirables est réputé  très rare, voire exceptionnel. (…) Ce que dit une revue récente, de 2017, sur le sujet: les réactions (…) anaphylactiques immédiates après vaccination seraient exceptionnelles, 1,31 (95 % CI, 0,90-1,84) par million de doses de vaccin. https://ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/P. On peut déjà dire quelque chose: avoir deux effets indésirables graves de type réaction anphylactique dès la première journée de vaccination sur quelques centaines ou milliers de doses n'a rien de banal » constate-t-elle.

Bénéfice/risque

La confirmation que la crispation est assez étrangère aux propos mêmes mais relève probablement plus certainement d’un procès d’intention contre Eric Caumes (dont les revirements sur l’épidémie ont été épinglés, notamment par le ministre de la Santé) et au-delà contre tout discours qui pourrait donner l’air d’une réticence vis-à-vis des vaccins s’observe quand on s’intéresse à la question du bénéfice risque. Le professeur de maladies infectieuses de la Pitié-Salpêtrière a ainsi défendu sur ce point que s’il recommande clairement la vaccination aux plus âgés, il invite à la prudence pour les personnes sans comorbidités. On peut s’interroger sur la différence de fond avec la formule d’Olivier Véran sur LCI : « La balance bénéfice sur risque est très positive pour des gens à risque de faire des formes graves ». L’écart est très certainement sur les points de forme ; notamment quand Eric Caumes ajoute dans le Parisien : « Aujourd’hui le monde se précipite, on est dans une dérive commerciale ». Bien sûr, on le sait la désignation des méfaits des aspects commerciaux des vaccins est un argument de taille des antivaxx. Faut-il pour cette raison renoncer à émettre toute opinion personnelle mais raisonnée sur ce sujet ? Peut-on réellement penser qu’Eric Caumes qui la même semaine a signé dans Le Monde une tribune demandant l’autorisation de très coûteuses immunothérapies dans la Covid-19 soit guidé par une haine des laboratoires pharmaceutiques quand il exprime des réserves sur le vaccin ? N’est-ce pas juste sa conviction sincère de médecin qu’il émet ; avec plus ou moins de prudence ? « Le scepticisme ne consiste pas à rejeter mais à douter, à suspendre son jugement ; à ne pas confondre les soupçons que suscite un personnage (ou ceux qu’il agite en désignant ses détracteurs) et le doute sur la validité de ses propos » nous rappelle un récent éditorial de l’Association française de l’information scientifique.

Où l’on reparle pour la millième fois de la transmission de l’information médicale

Derrière ces discussions sur ce qu’un PU-PH  devrait ou ne devrait pas dire au grand public, c’est la question cruciale de la façon dont on lutte contre la délétère défiance et réticence vaccinale qui se joue. Faut-il croire que l’expression du doute est dangereuse alors que sans cesse sont vantés les mérites de la transparence ? Faut-il réserver la parole des experts à des publics sélectionnés pour éviter des emballements dommageables ou au contraire rappeler que la pluralité est indispensable pour l’exercice du libre choix et du choix éclairé ? La nuance et le doute doivent-ils être bannis pour parer à tout effet contre-productif ? Enfin que penser de l’influence de ces querelles sur l’opinion ? Il n’est en effet pas impossible que la violence des attaques subies contre le professeur Caumes ait servi d’arguments supplémentaires aux complotistes antivaccins : observant la pugnacité des représentants médicaux les plus favorables aux vaccins, ils auront été confortés dans leur idée que le professeur Caumes aura dit quelque chose de réellement clivant ; même si ce n’est pas réellement le cas.

Ce débat sur ce qu’un professeur de médecine peut dire ou ne pas dire sur un plateau de télévision n’a pas épargné également la rédaction du JIM.

Certains, pragmatiques, y estiment que si les interrogations du Pr Caumes étaient adaptées à un congrès ou à une revue médicale elles ne l’étaient pas à un large public peu habitué à la vigueur des débats scientifiques et enclin à enfourcher les peurs les plus irrationnelles.

D’autres, adeptes de la transparence absolue, rappellent au contraire que si la vérité est due aux malades, elle l’est encore plus aux biens portants et que rien des doutes et des hésitations ne doit être caché aux premiers concernés, surtout sur une telle question qui concerne l’humanité tout entière. Et qu’en l’occurrence être un peu réticent sur l’utilisation planétaire d’un vaccin à ARNm d’un nouveau type mis au point il y a quelques semaines relève d’un principe de précaution bien compris.  

Cette poussée de fièvre aura une nouvelle fois mis en évidence la très grande complexité de la transmission de l’information médicale et scientifique… et son caractère passionnant.

 

On relira

Le fil Twitter de Christian Lehmann

Celui de Qffwffq

Celui de Claudina Michal-Teitelbaum 

L’éditorial de l’AFIS

Aurélie Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

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Vos réactions (32)

  • Rappelons nous un certain Galilée

    Le 12 décembre 2020

    Un grand merci au Pr. Caumes pour avoir publiquement posé la légitime question de l'innocuité du vaccin à ARN messager. Heureusement que certains osent braver la panurgie actuelle et ne pas accepter sans réfléchir les assertions de "ceux qui savent".
    Rappelons nous un certain Galilée qui en 1633...

    Dr Jean-Pierre Mulet

  • L’attrait de la lumière des plateaux de télévision

    Le 12 décembre 2020

    Pensons à tous nos amis professionnels de santé lourdement touchés et parfois partis: s’ils avaient eu le choix de 2 injections à 3 semaines d’intervalle pour les préserver... sans parler de l’abominable hécatombe des Ehpad...
    L’attrait de la lumière des plateaux de télévision...

    Dr Daniel Heiligenstein

  • Exprimer en conscience ses doutes à ses concitoyens

    Le 12 décembre 2020

    Que, les incertitudes planant sur l'innocuité du vaccin à cause de la brièveté des études avant sa diffusion à large à large échelle, et l'innovation que révèle le principe de sa conception, aient conduit un confrère à exprimer en conscience ses doutes à ses concitoyens me parait d'autant plus méritoire qu'il se savait attendu par une cohorte de béni oui oui prêts à le fustiger. Inoculer cette substance larga manu à une population jeune dont on sait qu'elle ne risque pas grand chose de la maladie, alors même que l'on ignore ses effets potentiels à long terme, parait effectivement un pari que des autorités, par ailleurs jusqu'ici trop ou pas assez réactives face aux traitements médicamenteux proposés contre la maladie, devraient hésiter à soutenir.

    Dr Jemil Trad

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