
Circulez, il n’y a rien à dire
Et en France ? Pas à l’ordre du jour, répond-t-on de toute part, en ajoutant que l’on se montrera particulièrement attentif aux données disponibles et qu’il n’est pas question de presser l’EMA. Dès lors, les complotistes en tous genres qui lancent depuis déjà des semaines des mots d’ordre sur les réseaux sociaux appelant à « ne pas toucher aux enfants » sont priés de recouvrer, si c’est possible, la raison. Air connu, se désolent certains observateurs. Tout se passe comme si une nouvelle fois, le débat était confisqué d’avance : en parler auparavant relèverait de la fantasmagorie, mais lorsque la décision sera prise, pour répondre à une forme d’urgence à la suite d’un conseil de défense il serait interdit sous peine d’être taxé d’incivisme (ou pire de complotisme ou de négationisme) de la critiquer. C’est ce que résume la rédactrice en chef de Marianne, Natacha Polony dans son éditorial de la semaine : « Bien évidemment, quiconque pose des questions est soupçonné de complotisme. « Il n’en est pas question pour l’instant », balaye-t-on du côté des autorités sanitaires. Du coup, s’en préoccuper maintenant serait presque malsain. On est prié d’attendre que la décision apparaisse tout à coup nécessaire et urgente devant la remontée alarmante des cas de Covid dans un mois, deux mois, ou au printemps, peu importe. De même que débattre de l’opportunité d’un passe sanitaire était outrecuidant avant qu’Emmanuel Macron ne l’annonce avec fracas le 12 juillet » remarque-t-elle.Et si pour une fois, on parlait avant d’imposer ?
Pourtant, face aux enjeux, à la complexité de la question, il ne semble pas déplacé d’espérer un véritable débat préalable. «Pouvons-nous espérer qu’une fois, une seule fois, un débat sera anticipé, soumis aux citoyens et à leurs représentants, en toute transparence, sans agiter les peurs, en s’assurant d’une adhésion éclairée ? Ce serait nécessaire pour défendre cette vieillerie qu’on appelle démocratie » s’interroge Natacha Polony. Le professeur d’éthique médicale Emmanuel Hirsch lui fait écho dans les colonnes du Journal du Dimanche en invitant lui aussi à méditer les leçons du passé (proche) : « Entre la prévalence accordée aux enjeux supérieurs de santé publique au regard de choix personnels, l'évaluation des risques acceptables dans une stratégie vaccinale, les modalités de priorisation, la prise en compte des vulnérabilités socioculturelles du point de vue de l'équité, l'incitation à la vaccination plutôt que son obligation, la gouvernance et l'organisation des dispositifs, les modalités de communication et d'information, le discernement éthique aurait pu davantage intervenir pour éclairer les arbitrages et contribuer à leur acceptabilité sans devoir recourir à des stratagèmes controversés comme ce fut le cas dans la mise en place du passe sanitaire. Tenons compte de cette expérience ambivalente pour aborder en responsabilité, dans la transparence et la concertation une autre phase de la stratégie vaccinale » expose-t-il avant de conclure déjà fataliste : « Il aurait été sage, dans les circonstances présentes, de créer une concertation sérieuse avec les parents d'une part et les enfants d'autre part, afin d'anticiper, de repérer les enjeux et les tensions que les instances publiques devraient prendre en compte dans l'organisation de la stratégie vaccinale des enfants, spécifique au contexte du Covid-19 ».Et si le gouvernement était de nouveau contaminé par la peur de froisser les opposants?
Comment interpréter cet apparent refus d’un débat préalable par les autorités sanitaires qui systématiquement bottent en touche en assurant que la question n’est pas à l’ordre du jour ? Certains voudront donc y voir l’application une nouvelle fois d’une stratégie visant à empêcher la contestation. Mais d’autres s’interrogent : n’est-on pas en train de revivre le scénario du début de la campagne de vaccination, quand la crainte de l’ampleur de l’influence des anti-vaccins avait dicté au gouvernement une attitude plus que prudente ? « La crainte, légitime, que la perspective de vacciner les enfants alimente fortement l’opposition anti-vax est dans toutes les têtes. Mais, a contrario, ce serait sans doute à tort qu’une telle anticipation alimenterait les décisions publiques : c’est là l’une des leçons les plus nettes des débuts de la campagne vaccinale au début de l’année 2021, manifestée par une adhésion vaccinale, dès avant l’introduction du passe sanitaire, que les données d’intention à l’automne 2020 ne permettaient pas d’espérer » observe ainsi pour le think tank Terra Nova, Mélanie Heard, docteur en sciences politiques.Les formes graves trop rares chez l’enfant pour constituer un critère d’évaluation de l’efficacité des vaccins ?
Des effets secondaires trop exceptionnels pour être détectés au cours d’un essai clinique ?
Cependant, l’autre défaut d’un échantillon trop restreint est la plus grande difficulté à mesurer le risque d’effets secondaires et notamment de myocardites/péricardites. « Le vaccin ne provoquerait que des gentilles myocardites, contrairement à l’infection qui elle provoque de méchantes myocardites » ironise sur Twitter le docteur Claudina Michal-Teitelbaum en analysant les résumés des conclusions des Centres de contrôle des maladies (CDC) dont elle considère les membres convaincus par avance par la nécessité de la vaccination pédiatrique. Mais là encore Mélanie Heard nuance la caricature : « Ce risque a bien sûr été spécifiquement discuté lors des délibérations à la FDA comme à l’ACIP. Premier point de consensus méthodologique : l’extrême rareté de cet effet secondaire rend de toutes façons impossible la constitution d’un échantillon de taille suffisante pour faire progresser les connaissances dans le cadre d’un essai clinique. Seules les données à venir « en vie réelle » permettront d’en savoir davantage. Il faut donc raisonner par analogies. Matt Oster, cardiologue pédiatrique du CDC, a rappelé à l’ACIP que la plupart des cas de myocardite après la vaccination sont bénins et de courte durée. Au vu des connaissances actuelles sur les myocardites classiques et leurs facteurs de risque infectieux, le risque de myocardite chez les 5-11 ans est susceptible d’être plus faible que chez les adolescents et jeunes hommes, a déclaré Oster, concluant que l’infection par le Covid est plus susceptible de déclencher une myocardite que le vaccin : «avoir le Covid est beaucoup plus risqué pour le cœur qu’être vacciné, quels que soient l’âge et le sexe », a-t-il affirmé ».On vaccine bien contre la rougeole…
Les petits Français ne sont pas des Américains comme les autres
Pour autant, en France, on signale également que la situation sanitaire de nos enfants et celle des petits américains serait très différente, en raison de l’impact de l’obésité et du diabète outre-Atlantique. Une idée que là encore nuance Mélanie Heard en rappelant les chiffres du réseau ObEpi : « En France, la dernière enquête déclarative ObEpi fin 2020 suggère que 18 % des enfants de 2 à 7 ans et 6 % des enfants de 8 à 18 ans sont concernés par l’obésité (IMC>30 kg/m2) [8]. (…) L’l’impact du facteur socio-économique est désormais largement démontré, avec dans l’enquête ObEpi 75 % des 8-17 ans en surcharge pondérale qui sont «issus de catégories populaires, soit 9 points de plus que dans la population générale ». Aux Etats-Unis, la prévalence de l’obésité chez les enfants est une préoccupation majeure, puisqu’elle concerne selon le CDC 13,4 % des 2-5 ans, 20,3 % des 6-11, et 21,2 % des 12-19 ans. Le CDC souligne l’impact de l’origine ethnique, de même que le fort gradient social qui affecte ces prévalences. (…) Dans les positions de l’ACIP américaine, comme d’ailleurs par exemple dans la position de l’Académie européenne de pédiatrie en faveur de la vaccination des enfants, on ne voit pas d’arguments explicites indexant la pertinence de la vaccination à la prévalence de l’obésité infantile. Que recouvre le raisonnement qui consiste à dire que la prévalence moindre d’un facteur de risque, parce qu’il explique une moindre prévalence des formes graves pédiatriques, atténue l’urgence de la prévention ? A poursuivre un tel raisonnement, il semble qu’il faille assez vite s’accorder sur la difficulté de fixer un seuil en-deçà duquel la prévalence de ce facteur de risque rendrait la précaution non-urgente ».Le spectre très hypothétique de la Covid longue
Dubitatifs quant à la pertinence d’un éventuel sur risque pour les petits Américains, les défenseurs de la vaccination des enfants, tiennent pour leur part à mettre en avant le poids de la Covid longue, en dépit des zones d’ombre qui continuent à exister à propos de cette dernière. Ces incertitudes sont bien mises en avant par une étude française publiée dans le JAMA Internal Medicine qui remarque que la conviction d’avoir été infecté par SARS-CoV-2 apparaît bien plus certainement associée aux symptômes de la Covid longue que le fait d’avoir été réellement infecté…(nous reviendrons plus longuement sur ce travail dans nos prochaines éditions). Les pédiatres français signalent d’ailleurs que bien plus que la Covid longue, c’est l’épidémie de troubles mentaux liés à la façon dont les enfants ont été considérés ces 18 derniers mois qui doit préoccuper aujourd’hui. Un point signalé par le CCNE dans son avis sur la vaccination des adolescents face à laquelle il ne cachait pas sa réticence : « Si l’impact de la pandémie, en termes de risques liés à l’infection, est très faible dans la population des enfants et des adolescents, l’impact psychologique a été majeur en particulier chez les adolescents, et plus encore dans les populations défavorisées. En d’autres termes, la politique de prévention appliquée à l’ensemble de la population française ne pourrait-elle pas apparaître comme excessive à l’égard de la jeunesse ? », écrivaient les sages.Les enfants représentent-ils vraiment un risque viral ?
Si l’intérêt direct de la vaccination des enfants suscite donc des interrogations (pour ne pas dire des réticences), la question de l’intérêt collectif est également prégnante et débattue. Bien sûr, beaucoup a déjà été dit sur le réflexe individualiste qui consisterait à refuser une vaccination qui peut protéger l’ensemble de la population. Cependant, c’est oublier que jusqu’à aujourd’hui le bénéfice d’une vaccination a toujours été d’abord apprécié en observant son intérêt « individuel », tandis que l’idée d’une vaccination altruiste ne peut ici être invoquée. En effet, la notion de vaccination altruiste renvoie à l’impossibilité pour certaines personnes de se faire vacciner, ce qui n’est que très rarement le cas en ce qui concerne la Covid. En tout état de cause, sur cette question du bénéfice collectif de la vaccination des plus jeunes, on se souvient des réserves importantes du Comité consultatif national d’éthique au sujet de la vaccination des adolescents. Il s’interrogeait : « Sachant qu'un nombre significatif d'adultes, dont des personnes présentant des comorbidités, ne procèderont pas à la vaccination, est-il éthique de faire porter aux mineurs la responsabilité, en termes de bénéfice collectif, du refus de vaccination d'une partie de la population adulte ? ». Surtout, mettre en avant l’intérêt collectif de la vaccination des enfants, c’est oublier d’abord les incertitudes qui existent sur l’efficacité des vaccins en la matière. Claudina Michal-Teitelbaum remarque en se référant aux conclusions des CDC : « La vaccination des 5/11 ans permettrait de réduire de 8 % la transmission. Mais en réalité seulement si le virus circule beaucoup et que le vaccin garde une efficacité constante ». Par ailleurs, le rôle joué par les enfants dans l’épidémie doit entrer en ligne de compte. Or, si beaucoup (dont le Pr Gilbert Deray) se désolent que certains (telle la Société française de pédiatrie) semblent « minimiser » leur rôle, des données très récentes semblent confirmer une cinétique de circulation du virus bien plus lente chez l’enfant et des transmissions adultes/enfants bien plus fréquentes que l’inverse.Protéger les enfants même des risques les plus rares
Derrière ces différents arguments scientifiques et techniques, c’est sans doute des conceptions différentes de la santé des enfants, mais aussi de la vaccination qui s’opposent. Mélanie Heard relève : « Dans l’appréhension de la vaccination des enfants aujourd’hui, il semble qu’en réalité deux visions normatives de la santé des enfants s’affrontent. Du côté des pédiatres, la revendication qui est en jeu, c’est que la politique de santé considère les besoins spécifiques des enfants : « La manière dont on a considéré les enfants, ces quinze derniers mois, est peut-être finalement révélatrice de la place qu’on leur donne dans la société : on les a considérés comme des êtres sans besoins spécifiques » affirme Christèle Gras-Le Guen. Ce plaidoyer s’ancre dans une lutte importante et ancienne pour la reconnaissance des particularités de la santé des enfants et de l’attention spécifique que demandent les soins qu’on leur apporte. (…) Avec l’épidémie de Covid, le caractère insupportable des situations d’isolement connues par les enfants hospitalisés pendant le confinement, les difficultés d’accès aux soins des enfants vulnérables durant cette période, et l’inquiétude devant les chiffres alarmants concernant la santé mentale des mineurs, ont ravivé ce plaidoyer. C’est ce paradigme de valeurs, ancré dans un combat que les dernières décennies ont certes fait avancer mais qui reste pleinement d’actualité, qui semble guider certaines des positions prises par les pédiatres. La santé des enfants ne se régule pas avec les schémas des adultes, elle doit intégrer une attention particulière aux besoins, aux inquiétudes notamment, qu’ils rencontrent lorsqu’ils sont malades mais aussi dans leur quotidien » résume-t-elle. Cependant, elle note également que la médecine pédiatrique occidentale est sous-tendue par l’idée que les précautions doivent toujours être plus importantes en ce qui concerne la protection des enfants et que cela doit probablement non seulement inciter à la prudence quand il faut les protéger d’hypothétiques méfaits du vaccin, mais également inciter à agir pour les prémunir de tous risques, même extrêmement rares. D’ailleurs, c’est probablement dans cette optique, mais aussi parce que la confiance des autorités dans les vaccins et l’idée que ces derniers doivent également servir l’intérêt collectif sont très différentes de l’attitude française que la vaccination contre la grippe est aux États-Unis recommandée à tous dès le plus jeune âge. Un autre éclairage de la raison des différences d’appréhension de la vaccination des plus petits par les autorités politiques et médicales américaines et françaises. Un débat qui devrait se poursuivre et s’intensifier dans les semaines à venir. Il faut l’espérer.Pour prendre de l’avance on relira :
- Natacha Polony
- Emmanuel Hirsch
- Mélanie Heard
- Le fil Twitter de Claudina Michal-Teitelbaum :
- Le fil Twitter de Gilbert Deray
Aurélie Haroche