
Le lait maternel présente de nombreux avantages pour les
nourrissons. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande
l'allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois de
vie, jusqu'à deux ans si possibles en complément de la
diversification. Cependant, des disparités en la matière
persistent. Les femmes enceintes et celles qui ont récemment
accouché peuvent être vulnérables aux infections.
La vaccination pendant la grossesse et l'allaitement offre une
protection à la mère et à l’enfant grâce au transfert de facteurs
immunitaires in utero (IgG) et par le lait maternel. En effet, ce
dernier contient, en plus de composants immunoprotecteurs, trois
classes d'anticorps (Ac) qui confèrent une immunité muqueuse
respiratoire et digestive au nourrisson allaité : les IgA
sécrétoires maternelles, les IgM sécrétoires et les IgG. Cette
revue de la littérature s’intéresse à l'immunité humorale dans le
lait maternel après vaccinations et met en exergue les obstacles à
surmonter pour améliorer l'équité vaccinale.
Réponses immunitaires dans le lait après vaccination contre la grippe
Les virus de la grippe peuvent provoquer des formes graves
chez les femmes enceintes, la vaccination antigrippale leur est
recommandée. L'efficacité vaccinale varie entre 50 et 70 % pendant
la grossesse et le risque d'hospitalisation liée à la grippe des
femmes enceintes diminue de 40 %. Des études ont montré une plus
faible incidence de grippe chez les nourrissons nés de mères
vaccinées jusqu'à 6 mois après l'accouchement, protection
principalement attribuée aux IgG transférées pendant la
grossesse.
Une étude récente a montré que les niveaux d'IgA antigrippales
dans le lait maternel, après vaccination au 3ème trimestre de
grossesse, se maintenaient à un niveau élevé pendant au moins 6
mois après l'accouchement. Les IgM et IgG antigrippales sont aussi
présentes dans le lait mais à des niveaux inférieurs, ainsi que
d’autres cellules immunitaires, mais les données sont limitées sur
le degré de protection qu’elles confèrent.
Réponses immunitaires dans le lait après vaccination contre la coqueluche
Le rappel contre la coqueluche à partir du 2ème trimestre de
grossesse permet de fournir des Ac protecteurs au fœtus et de
réduire la morbi-mortalité chez le nouveau-né. Des études ont
démontré qu'après vaccination maternelle, des taux élevés d'IgG
sont présents dans le sang du nouveau-né par transfert placentaire.
Des IgA et des IgG spécifiques sont rerouvés dans le colostrum et
le lait maternel, pendant au moins 8 semaines après l'accouchement
en cas de vaccination maternelle pendant la grossesse.
L'efficacité de la vaccination maternelle pour la protection
du nourrisson au cours des premiers mois de la vie varie de 88 à 93
%. De plus, les nourrissons atteints de coqueluche dont les mères
ont reçu le vaccin encourent de moindres risques d'hospitalisation,
d'admission aux soins intensifs et ont des séjours à l'hôpital plus
courts.
Réponses immunitaires dans le lait après vaccination contre le SARS-CoV-2
Cette revue s’est concentrée sur les vaccins à ARNm. Les
nourrissons des mères vaccinées pendant la grossesse avaient des
niveaux d'IgG anti-SARS-CoV-2 dans le sang du cordon et dans le
sang démontrant un transfert via le placenta. La vaccination contre
le SARS-CoV-2 a réduit le risque d'hospitalisation du nourrisson
pour Covid-19 de 30 à 70 % jusqu'à l'âge de 4 à 6 mois.
En revanche, les nourrissons nés de mères vaccinées après la
grossesse n'avaient pas d'IgG anti-SARS-CoV-2 dans le sang. La
plupart des études ayant évalué la vaccination pendant
l'allaitement ont montré une augmentation initiale des IgG
anti-SARS-CoV-2 du lait 14 à 21 jours après la 1ère dose, culminant
7 jours après la 2ème dose et restant élevés pendant au moins 6
semaines. Les taux d’IgA sont maximaux 14 à 18 jours après la 1ère
dose, augmentent légèrement pendant 7 jours après la 2ème dose,
puis diminuent.
Les mères infectées par la Covid-19 ont une sécrétion rapide
d'IgA anti-SARS-CoV-2 dans le lait, durant > 90 jours, réponse
distincte de celle générée par les vaccins. Dans les modèles
animaux, une vaccination intranasale supplémentaire renforce
l'immunité muqueuse en plus de l'immunité systémique induite par le
vaccin.
Deux études récentes ont détecté des lymphocytes T spécifiques
du SARS-CoV-2 dans le lait maternel après vaccination mais sans
qu’on sache s’ils fournissent une protection aux voies
respiratoires ou au tractus gastro-intestinal des nourrissons ou
s’ils sont absorbés dans l'intestin vers la circulation systémique.
Les enfants atteints de Covid-19 présentent souvent des symptômes
gastro-intestinaux. Des IgA et IgG anti-SARS-CoV-2 ont été détectés
dans un tiers des échantillons de selles de nourrissons après
vaccination maternelle.
D'autres études sont nécessaires pour déterminer la protection
locale des muqueuses par ces Ac dérivés du lait maternel. Une étude
portant sur plus de 10 000 femmes allaitantes a révélé une
perturbation minime de la lactation après vaccination pendant 24 à
72 heures (réduction de la production de lait chez 5 à 7 % des
femmes, plus fréquente après la 2ème dose). Des symptômes
transitoires chez 2 à 7 % des nourrissons allaités après
vaccination maternelle ont été signalés : somnolence et
irritabilité le plus souvent, fièvre et symptômes
gastro-intestinaux (1 à 2 %). De rares études ont examiné le
transfert de particules de vaccin dans le lait.
Un transfert d'ARNm a été trouvé dans moins de 2 % des
échantillons de lait. Une étude n’a pas mis en évidence
d’augmentation significative du polyéthylène glycol (PEG), présent
dans les nanoparticules lipidiques des vaccins à ARNm, dans le lait
après la vaccination. Il n'est pas clair si les symptômes du
nourrisson sont liés au transfert de particules vaccinales, des
recherches supplémentaires seront nécessaires.
Des inégalités persistent dans les groupes les plus
vulnérables en matière de soutien à la lactation et d'accès aux
vaccins. Pendant la pandémie de Covid-19, la réduction de l’accès
aux hôpitaux les a aggravés. Le financement des services de
lactation est également insuffisant. En s'attaquant aux obstacles
systémiques et structurels, ces disparités pourraient être
réduites, et une éducation cohérente dispensée.
Cette revue résume les avantages immunologiques des vaccins
contre la grippe, la coqueluche et la Covid-19 conférés par le lait
maternel. La quantité de lait maternel devant être ingérée pour
conférer un effet protecteur est inconnue, une étude détaillée des
schémas d'alimentation des nourrissons sera nécessaire. Des travaux
supplémentaires s’imposent pour comprendre la dynamique des
réponses immunitaires pendant la lactation et les mécanismes de
protection immunitaire observés chez les nourrissons
allaités.
Cependant, les avantages de l'allaitement maternel sont
annulés s'il n'y a pas un accès et un soutien équitables à la
lactation, en particulier dans les populations vulnérables.
Dr Isabelle Méresse