Voir le bon côté des maladies mentales

La plupart des recherches sociologiques sont consacrées aux aspects négatifs des maladies mentales, notamment au problème de la stigmatisation, y compris l’auto-stigmatisation (self-stigma, qualifiée aussi de « stigmatisation interne »), c’est-à-dire les perceptions négatives du sujet sur sa propre affection psychiatrique. Mais des chercheurs des États-Unis évoquent une question rarement traitée, symétrique de la précédente : la possibilité d’ « opinions positives » concernant les maladies mentales, autrement dit la tendance à voir plutôt « le bon côté des choses. » Même si cette référence constitue bien sûr une vision caricaturale d’une telle tendance à un « incorrigible optimisme », on peut songer ici à la célèbre chanson Always look on the bright side of life (Prenez toujours la vie du bon côté)[1] clôturant le film de Monty Python, La Vie de Brian [2].

Les opinions positives sur la problématique psychiatrique (positive beliefs about mental illness) ont été évaluées chez 332 patients (dont 52,7 % de femmes) âgés de 18 à 70 ans (âge moyen = 32,44 ans ; déviation-standard = 13,18 ans). Le nombre moyen d’hospitalisations en psychiatrie dans leurs antécédents est de 1,72 (déviation-standard = 0,71). Chez les participants évalués par le MINI (Mini International Neuropsychiatric Interview) [3], les diagnostics établis reflètent une grande « variété de troubles » (avec un total supérieur à 100 % car plusieurs diagnostics peuvent coexister) : dépression majeure (71,6 % des cas), trouble bipolaire (24 %), troubles de l’humeur avec caractéristiques psychotiques (11,6 %), psychose (7,6 %), trouble panique (36 %), etc.

Positiver, une utilité clinique ?

Les auteurs observent que les croyances sur la maladie mentale « affectent la façon dont les individus peuvent faire face à leurs symptômes », l’idée d’aspects positifs (comme une créativité ou une cognition accrues) pouvant représenter un bénéfice secondaire dans l’adversité, proche du concept philosophique d’amor fati[4] résumé par l’aphorisme de Friedrich Wilhelm Nietzsche, « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » Moins fréquente chez les personnes âgées et les femmes, cette tendance à « positiver » sa maladie mentale se révèle plus marquée en cas de troubles bipolaires et tend à augmenter lors du traitement.  L’importance de cette vision positive des choses et ses changements au cours du traitement sont associés à l’évolution clinique, notamment en termes de niveau dépressif et de bien-être. Un renforcement des pensées positives lors du traitement est associé à une réduction de la labilité émotionnelle, seulement chez les patients sans trouble bipolaire. 

Malgré son manque de diversité ethnoraciale dans l’échantillon limitant la généralisation des résultats , l’étude illustre l’importance de cette appréciation positive, liée de façon significative à des caractéristiques démographiques, au diagnostic et à l’évolution clinique.  Des recherches ultérieures devraient déterminer, en fonction des différents diagnostics, si des interventions pour renforcer cette vision positive présentent « une utilité clinique. »

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Always_Look_on_the_Bright_Side_of_Life & https://www.youtube.com/watch?v=SJUhlRoBL8M
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Monty_Python_:_La_Vie_de_Brian
[3] http://narr.bmap.ucla.edu/docs/MINI_v5_002006.pdf
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Amor_fati

Dr Alain Cohen

Référence
Forgeard MJC et coll.: Positive beliefs about mental illness: Associations with sex, age, diagnosis, and clinical outcomes. J Affective Disord., 2016 ; 204: 197–204.

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (6)

  • Pédagogie de la guérison

    Le 03 septembre 2016

    Article intéressant et qui met en perspective le concept de santé mentale et de la perception de la maladie mentale. Cela dit, d'autres auteurs ont depuis longtemps pensé la question comme G. Canguilhem, notamment dans ses "Ecrits sur la médecine", J. Wakefield et son concept de dysfonctionnement préjudiciable ou encore R. Gori et MJ. Del Volgo dans leur ouvrage "La santé totalitaire". Cela pose également la question de la souffrance psychique et de sa prise en charge, des normes sociétales concernant le fonctionnement normal du psychisme et la définition même de la maladie mentale, maladie "comme les autres". Le débat est loin d'être clos.

    PS: Je regrette le terme de "diversité ethnoraciale" qui ne veut rien dire, sinon, qu'il condense un concept sociologique pragmatique et un concept idéologique douteux.

    Dominique Lossignol

  • Diversité ethnoraciale

    Le 03 septembre 2016

    Cette expression "qui ne veut rien dire" reprend la phrase suivante de l'article-source : " the relative lack of ethnoracial diversity in our sample", le manque relatif de diversité ethnoraciale dans notre échantillon. S'il eût été peut-être plus "politiquement correct" de rendre l'idée autrement, l'important était de mentionner que cette étude n'est peut-être pas généralisable aux sujets de toute origine ethnique ou culturelle.

    Alain Cohen

  • Méthode Coué

    Le 04 septembre 2016

    Intéressant, car voici une justification empirique de la bonne vieille méthode Coué si souvent décriée! Maintenant, on se demande comment on a pu réaliser de telles études avec des patients portant ces diagnostics.Beaucoup de résultats d'études américaines, nous étonnent, tant elles paraissent, difficiles à réaliser...et ils sont très souvent en parfaite contradiction avec les données de nos pratiques cliniques... qui ne sont évidemment pas basées sur des recherches empiriques, au sens méthodologique du terme...

    Dr Michel Marie-Cardine

Voir toutes les réactions (6)

Réagir à cet article