
Paris, le samedi 5 novembre 2016 – Ni une, ni deux, bien qu’en déshabillé et un brin décoiffée, Marguerite Steinheil presse le bouton du merveilleux appareil installé à côté de son lit. Immédiatement, une voix suave mais respectueuse, la remercie d’avoir choisi "Lifefizzz" pour veiller sur ses nuits. La procédure à respecter lui est détaillée et Marguerite peut sauver son amant de passage, un certain Félix Faure, qui ne sera pas le premier Président à mourir à l’Elysée, empêchant par ce sauvetage une litanie d’excellents jeux de mots. Quelques instants après l’utilisation du défibrillateur, grâce à la connexion wi-fi de l’appareil, un rapport détaillé de "l’incident" est envoyé sur les smartphones de l’ensemble des collaborateurs de l’aventureux chef de l’Etat. Mais de manière évidemment cryptée, respect du secret médical oblige !
Pour faire le portrait d’un objet connecté
Lifefizzz n’existe pas. Ce « défibrillateur coquin connecté » est une invention moqueuse du médecin et blogeur Jean-Marie Vailloud qui, il y a quelques semaines, a commis plusieurs posts pour moquer l’inanité de la si vantée révolution numérique en santé. L’observation attentive et ironique de l’avalanche de communiqués présentant les dernières « innovations disruptives » décrites comme incontournables et indispensables a permis à Jean-Marie Vailloud de préciser un certain nombre de règles contribuant à remporter cette guerre non pas technologique, scientifique ou médicale mais marketing.
Mille fonctions fonctionnelles
Le premier grand principe est de promouvoir des objets connectés. Sans lien Wi-fi avec le cloud et autres serveurs, point de salut. Qu’importe que ladite connexion n’apporte qu’un bénéfice très restreint. « En fait, tout est dans l’adjectif connecté. Tout repose dessus, et les promoteurs y tiennent comme à leur vie, à cet adjectif, car c’est lui qui fait toute la coolitude du projet » relève Jean-Marie Vailloud dans un post sur un défibrillateur connecté (pour sa part réellement en cours d’élaboration). Dans une autre note il s’interroge : « A quoi sert un tensiomètre…connecté? Après mûre réflexion, à rien. Prenons par exemple le tensiomètre sans-fil Withings (…). Bon, il est sobre et beau, et j’espère que pour le prix, il prend la tension de façon classe, confortable, douce, voluptueuse, fruitée, sensuelle, goûteuse, rythmée, corsée, soyeuse, aérée, raffinée… Car j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé ce que la connexion à son téléphone peut rajouter de plus par rapport à un tensiomètre non-connecté (…) Le suivi de la tension simplifié, tous les tensiomètres que je connais donnent des chiffres de tension de manière assez simple, genre 123/84. Plus simple, je vois pas. Une information immédiatement disponible, tous les tensiomètres que je connais donnent des chiffres de tension immédiatement. Toutes vos mesures en un coup d’œil. Là, Withings marque un point. En général, si les appareils d’auto-mesure ont un historique, il est limité. C’est là que je conseille à mes patients d’acheter un cahier d’écolier, de tracer 2 colonnes, une pour la date, une pour la TA et de noter leurs tensions » ironise-t-il. Sans intérêt déterminant pour la santé du patient (sauf en cas de réel programme de télésurveillance), le caractère connecté peut également être invoqué comme un gage de fiabilité, l’assurance d’une maintenance permanente. Mais sur ce point Jean-Marie Vailloud remarque encore concernant le défibrillateur connecté : « Mais qu’apporte donc la fameuse connexion? Et bien, un truc qui existe depuis des décennies sur tous les défibrillateurs entièrement automatiques, semi automatiques ou manuels, ça s’appelle l’autotest. Il suffit d’appuyer sur un bouton. En fait, même pas, car pour le Zoll pris en exemple, l’autotest se fait automatiquement selon une périodicité que l’on peut programmer ».
Avant moi le déluge (de la connexion)
De fait, il semble que dans un grand nombre de cas, le caractère connecté soit principalement un argument marketing permettant de s’ériger en pionnier, une dimension essentielle, comme l’a également remarqué l’auteur du blog Grange Blanche. Dans ses conseils aux jeunes entrepreneurs qui souhaiteraient sinon révolutionner la médecine en proposant un concept novateur tout au moins gagner une somme d’argent coquette, il fait remarquer : « Autre concept ultra fondamental : faites toujours croire que vous êtes les premiers. (...) On est toujours les premiers quelque part/dans un domaine/à un temps donné. (…) Un pitch qui ne commence pas par Nous développons le premier machin […] ne vaut même pas le salaire du stagiaire bénévole qui l’a tapé avec deux doigts en utilisant des mots anglais pour faire cool (avec des lettres accentuées) » détaille-t-il.
Le CEO&Founder de la statistique connectée
Et ça marche, les termes « connecté », « innovation disruptive » et la primauté créent « un effet cannabique typique » auprès de certains médias, déplore Jean-Marie Vailloud. Les démonstrations féroces du cardiologue invitent donc à une prise de distance avec un univers qui à force de mots clés et de promesses mirifiques (concernant qui plus est notre bien le plus précieux, la santé) n’offre pas toujours le loisir de la réflexion. On retrouve dans ses observations souvent jubilatoires, croqués les petits et grands travers de notre époque, comme l’utilisation d’un nouveau vocabulaire à la limite du compréhensible. « N’oubliez jamais, jamais, que vous êtes CEO&Founder de votre start-up, future-unicorn-française » insiste Jean-Marie Vailloud qui ajoute plus loin : « Adhérez à un think tank et collez le hashtag qu’il faut là où il faut ». Mais ce ne sont pas seulement les mots qui doivent s’imposer, les chiffres ont également un rôle central. « Citez des statistiques. Collez des pourcentages à chaque phrase. Si vous avez un peu de fonds devant vous, commandez un sondage inepte à IPSOS (78 % des français sont pour le progrès dans la santé, seulement 3 % connaissent le quantified self. Donc… même un débile profond (un non connecté) comprendra qu’il faut développer ce truc, le quantified self) » recommande-t-il avant d’appliquer ce conseil dans son exercice pratique (la rédaction d’un communiqué pour le lancement du défibrillateur connecté coquin) et de lancer un fantaisiste mais autoritaire : « 80 % des arrêts cardiaques ont lieu au lit durant l’activité sexuelle ».
Belles histoires
Il ironise encore sur la mode du crowfunding ou sur la
fabrication de fausses légendes : « Écrivez une histoire (ou un
pitch), si possible poignante (enfant, vous avez tenté de
défibriller votre grand-mère, mais comme l’appareil n’était pas
branché depuis des mois, ça a fait pchittt (...) et un pitch cool
mais subtilement effrayant quand même (100 % des arrêts cardiaques
surviennent sur le nycthémère, une blessure peut s’infecter avec
des BHRe, si on ne dose pas tous les mois les PSA, vous allez
mourir d’un cancer…). Dites que vous œuvrez pour le bien de
l’humanité, ça produit toujours son effet. Au mieux, associez-vous
à une grande Cause, une association de patients… ». Au-delà d’une
critique parfois facile mais astucieuse du marketing, Jean-Marie
Vailloud pose la question de la tromperie (voire de l’escroquerie)
des patients, quand les prix paraissent s’envoler sous le seul
effet de l’utilisation de l’adjectif « connecté ».
Pour lire (et rire) ces différents essais, vous pouvez vous
connecter à :
https://grangeblanche.com/2016/10/05/lifefizzz-le-1er-defibrillateur-coquin-connecte/
(et posts suivants).
Aurélie Haroche