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ADN « récréatif » : la chute du géant 23andMe

San Francisco – Géant du secteur des tests génétiques qualifiés de « récréatifs », la société 23andMe est au bord de la faillite. Un fiasco qui interroge sur les limites de la médecine consumériste.

Pendant près de quinze ans, l’histoire de la start-up spécialisée dans la génétique 23andMe avait tout d’une « success-story » à l’américaine. De celle qui allie à la fois la toute-puissance du capitalisme américain et le génie scientifique de la Silicon Valley. Mais l’entreprise qui fut un temps évaluée à 6 milliards de dollars lors de son entrée en bourse en en 2021 connait désormais des temps difficiles et est même au bord de la faillite. Et la success-story s’est transformée en un avertissement pour tous ceux qui voudraient faire des profits rapidement grâce aux progrès de la science.

Avec d’autres entreprises comme Ancestry ou My Heritage, 23andMe, société créée en 2006 par la biologiste Anne Wojcicki (qui fut, soit dit en passant, un temps l’épouse du fondateur de Google), est l’un des leaders du marché des tests ADN à des fins « récréatives » et non strictement médicales. La démocratisation des tests ADN, qui, de plusieurs dizaines de millions de dollars au début des années 2000, ne coûtent désormais que quelques dizaines de dollars, ont en effet permis à différentes entreprises de proposer au public des tests ADN réalisables à la maison sans but médical précis.

Ces recherches promettent en général deux choses aux Américains : découvrir ses origines et ses ancêtres (ce dont les Américains, peuple d’immigrés, sont friands) et connaitre ses prédispositions génétiques à certaines maladies.

Les données génétiques de sept millions d’utilisateurs dérobées

Ces tests génétiques récréatifs ont connu un succès grandissant chez les Américains et l’on estime que 60 % d’entre eux, dont la quasi-totalité des personnes blanches, peuvent être identifiés génétiquement, directement ou indirectement, via les bases de données de ces entreprises de tests génétiques « récréatifs »

Ce sont notamment 15 millions de personnes qui ont confié leur identité génétique à 23and Me. Ces tests ont également été à l’origine de plusieurs « belles » histoires, comme celles d’enfants nés par don de sperme retrouvant leur géniteur, ou de policiers parvenant à identifier des tueurs en série en cavale en comparant des empreintes génétiques avec les bases de données de ces sites.

Mais la poule aux œufs d’or s’est rapidement transformée en vache maigre. Une fois qu’ils avaient réalisé leur test génétique pour 99 dollars, les clients de 23andMe ont été bien peu nombreux à adhérer aux autres services de la compagnie, comme le suivi médical génétique. Les tests permettant aux clients de connaitre leurs prédispositions à certaines maladies se sont également finalement révélés bien pauvres en information.

Alors que ses concurrents se concentraient sur la généalogie génétique, 23andMe s’est lancée dans la recherche médicale et a tenté de développer des médicaments à partir de ses bases de données. En vain : aucun médicament n’a été développé et la compagnie génère 250 millions de dollars de perte chaque année.

Les ennuis se sont depuis accumulés pour la société californienne ces derniers mois. En octobre dernier, elle a été victime d’un vol massif de données, des pirates informatiques parvenant à dérober les informations de 7 millions d’utilisateurs et notamment l’identité génétique complète de 14 000 clients. Le 12 septembre dernier, la société a dû accepter de débourser 30 millions de dollars de dédommagement à ses clients lésés pour éviter un procès. La société a également dû mettre fin à toutes ses activités de recherche médicamenteuse le mois dernier. Le coup de grâce est arrivé le 17 septembre dernier, quand l’intégralité du conseil d’administration, à l’exception d’Anne Wojciki, a démissionné.

Des données génétiques qui valent de l’or

23andMe est désormais évaluée à 200 millions de dollars et a donc perdu 97 % de sa valeur depuis 2021. Elle devrait perdre sa cotation en novembre prochain en raison de sa valeur trop faible. Anne Wojciki cherche désormais à vendre sa compagnie et surtout son seul trésor : les données génétiques de ses 15 millions d’utilisateurs.

En effet, ni les conditions d’utilisation de 23andMe, ni la loi américaine n’interdisent à la compagnie de vendre ces données et à l’acheteur d’en faire ce qu’il souhaite. Ces informations génétiques seraient notamment susceptibles d’intéresser des compagnies d’assurance, qui pourraient ensuite utiliser les prédispositions génétiques à certaines maladies de leurs clients pour leur refuser telles ou telles protections ou pour faire varier le coût de leur assurance. Là encore, la loi américaine n’interdit absolument pas à ces compagnies d’agir de la sorte.

Rien de tout cela par contre ne serait possible en France, où les tests ADN récréatifs sont interdits, puisque les analyses génétiques ne sont possibles que pour raison médicale ou judiciaire. Les données de santé sont également, en principe, sanctifiées dans notre pays et mieux protégées qu’aux Etats-Unis. Si nos lois peuvent paraitre parfois quelque peu rigides et freiner l’innovation ou l’entreprenariat, force est de constater qu’elles permettent également d’éviter que nos données médicales ne deviennent, au gré des mauvaises fortunes de certains, des produits comme les autres.

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