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Alzheimer : l’Europe dit non au lecanemab… l’Amérique dit oui

Amsterdam – 18 mois après son autorisation aux Etats-Unis, le médicament anti-béta amyloïde s’est vu refuser une autorisation de mise sur le marché par le gendarme européen du médicament.

Voici une nouvelle illustration des différences d’approche entre la Food and Drug Administration (FDA) et l’Agence Européenne des médicaments (EMA) concernant l’utilisation d’anti-béta amyloïde dans la maladie d’Alzheimer et plus globalement diront certains d’une différence de mentalité entre une jeune Amérique téméraire et une vieille Europe prudente.

Ce jeudi, le régulateur européen du médicament, basé à Amsterdam, a recommandé à la Commission Européenne de ne pas accorder d’autorisation de mise sur le marché (AMM) au Leqembi (lecanemab), anticorps monoclonal visant les plaques amyloïdes (dont l’accumulation dans le cerveau est liée à la maladie d’Alzheimer). Ce médicament a pourtant été autorisé aux Etats-Unis par la FDA le 6 juillet 2023.

De l’art de faire pencher la balance bénéfice-risque

Développé en partenariat par la société américaine Biogen et la firme japonaise Eisai, le lecanemab a fait l’objet d’une étude parue dans le New England Journal of Medicine le 29 novembre 2022. Selon cette publication, cet anticorps monoclonal a permis, par rapport au groupe placebo, de réduire de 27 % les troubles cognitifs à 18 mois de patients atteints de la maladie d’Alzheimer.

Mais le lecanemab est également responsable d’anomalies à l’imagerie liées aux amyloïdes (ARIA en anglais), soit des effets secondaires neurologiques potentiellement graves. Dans l’étude publiée en novembre 2022, 17 % des patients sous lecanemab ont subi une hémorragie cérébrale et 12,6 % un œdème cérébral.

Le rapport bénéfice-risque est donc en l’état particulièrement difficile à évaluer. L’été dernier, la FDA avait décidé de faire pencher la balance dans le sens de l’autorisation, s’appuyant notamment sur la quasi-absence totale de traitement efficace contre la maladie d’Alzheimer. Ce jeudi, l’EMA a donc décidé quant à elle de faire pencher la balance dans l’autre sens. 

« Le CHMP (comité des médicaments à usage humain) considère que les effets observés du Leqembi sur le ralentissement du déclin cognitif ne permettent pas de contrebalancer le risque d’effets secondaires graves liés à ce médicament » se justifie l’EMA. L’agence européenne rappelle que l’apport du Leqembi sur le ralentissement du déclin cognitif est relativement faible par rapport au placebo alors même que les effets secondaires sont potentiellement (bien que cela reste rare) très graves voir mortels.

Le CHMP note également que les effets secondaires sont plus prononcés chez les personnes porteuses homozygotes du gène APOE4, qui sont pourtant celles qui sont le plus à même de recevoir ce médicament, puisque ce gène augmente fortement le risque de développer une maladie d’Alzheimer.

L’EMA refusera-t-elle également le donanemab ?

Le refus de l’EMA en opposition à la décision de la FDA rappelle le désaccord identique qui était survenu entre les deux agences concernant l’Aduhelm (aducanumab). Cet anti-béta amyloïde, également développé par les laboratoires Eisai et Biogen, présentait un profil similaire au lecanemab : un effet limité sur la diminution des troubles cognitifs et un risque relativement important d’effets secondaires neurologiques (35 % des patients avaient subi un œdème cérébral).

Malgré les risques, la FDA avait fait le choix d’autoriser le médicament en 2021 tandis que l’EMA s’y était refusé en 2022. L’avenir donnera raison à l’agence européenne, puisque les laboratoires Eisai et Biogen ont depuis abandonné le développement de l’aducanumab pour se concentrer sur le lecanemab.

Les divergences d’opinion entre la FDA et l’EMA devraient bientôt ressurgir à propos d’un autre anti-béta amyloïde, le donanemab. Développé cette fois par la firme américaine Eli Lilly, cet anticorps monoclonal présente le même dilemme que le lecanemab : d’un côté il permet de ralentir l’apparition des troubles cognitifs au stade précoce de la maladie d’Alzheimer, de l’autre il peut entrainer des effets secondaires potentiellement graves (trois des 860 participants à l’étude sont décédés du fait du traitement).

Cela n’a pas empêché la FDA d’autoriser le médicament aux Etats-Unis le 2 juillet dernier, mais l’EMA, qui examine actuellement ce produit, pourrait encore une fois faire un choix différent.

Pour certains, la relative faible efficacité (pour le moment) des anti-béta amyloïdes pour prévenir les troubles cognitifs dans la maladie d’Alzheimer serait de nature à remettre en cause l’hypothèse amyloïde, théorie presque unanimement acceptée par la communauté médicale selon laquelle ce sont les plaques amyloïdes qui sont à l’origine de la maladie. On se souvient qu’en 2022, une enquête de la revue Science, qui avait démontré que certaines études à l’origine de cette hypothèse avaient été falsifiées, avait relancé le débat sur le bien-fondé de cette approche.

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