Paris - Le 17 septembre, lors d'une conférence de presse, Eric Crubézy, médecin et professeur d’anthropologie à l’université Paul-Sabatier, à Toulouse a révélé une découverte d'envergure : l'identité de l’un des deux occupants de cercueils plombés retrouvés en avril 2022, sous la croisée du transept de Notre Dame de Paris. Il s’agirait de Joachim Du Bellay décédé à l'âge de 35 ans, dans la nuit du 1er au 2 janvier 1560. L’auteur du célèbre poème Heureux qui comme Ulysse, ne reposait donc ni près du Tibre latin, ni sur les rives de son Loire gaulois, mais bien au cœur de Paris, dans l’un de ses monuments les plus emblématiques.
Est-il besoin de rappeler que Joachim du Bellay est l'une des plus importantes figures de la langue française. Né vers 1522 en Anjou, il crée avec quelques autres dont Pierre de Ronsard ou Rémy Belleau, La Pléiade, collectif de penseurs dont l'objectif est de perfectionner le Français et de promouvoir son excellence face à un latin déclinant.
Un beau voyage
La découverte du cercueil présumé du poète s’inscrit dans le cadre d'une série de fouilles commencées début 2022, avant l’installation de l’échafaudage destiné à la reconstruction de la flèche de la cathédrale et s’inscrit dans le cadre de recherches commencées…au XVIIIe siècle ! Ces fouilles ont révélé huit sépultures, dont deux cercueils de plomb, réservés à des personnages de statut élevé. Le premier, identifié par des plaques funéraires, est celui d'Antoine de la Porte, un chanoine de Notre-Dame mort en 1710.
Le second, plus mystérieux, a longtemps intrigué les chercheurs. Baptisé « Le Cavalier », l'occupant serait mort vers l’âge de 35 ans et souffrait de tuberculose osseuse et d'une déformation due à une pratique intensive du cheval. Les archéologues avaient également établi que le cercueil avait été déplacé, à une date inconnue, pour réoccuper, comme cela était fréquent, un emplacement déjà utilisé.
Le poète de la Pléiade nous permet de relier les points entre histoire et mystère. Bien qu’il n’ait jamais été un dignitaire religieux, il occupa tout de même la fonction de chanoine à Notre-Dame de Paris. Ce qui le lie encore davantage à l’Église, c'est son oncle, Jean Du Bellay, ancien évêque de Paris, cardinal et doyen du Sacré Collège à Rome.
Le 2 janvier 1560, le poète fut inhumé dans la chapelle Saint-Crépin de Notre-Dame, conformément à une décision du chapitre, l'assemblée ecclésiastique qui déterminait les lieux de sépulture. Pourtant, près de deux siècles plus tard, en 1758, lors de recherches dans cette chapelle, son cercueil ne fut pas retrouvé aux côtés de celui de son oncle. Face à cette énigme, l'équipe d'Éric Crubézy envisage deux hypothèses : soit le poète fut inhumé dans une sépulture transitoire devenue permanente, soit son cercueil fut transféré lors d'une seconde inhumation en 1569, après la publication de ses œuvres complètes.
La brosse à dent de Du Bellay
Pour le reste, l’histoire du poète semble s’accorder parfaitement avec les indices. Son âge, on l’a vu, puisqu’il est né « vers 1522 », à Liré, en Anjou. Cavalier émérite, il faisait notamment le trajet de Paris à Rome, où il avait suivi un temps son oncle, à dos de monture. Quant aux causes de sa mort, les travaux réalisés par l’équipe toulousaine ont établi qu’il souffrait d’une tuberculose osseuse accompagnée d’une méningite chronique.
« Seuls 5 % des cas de tuberculose s’aggravaient vers la forme osseuse de la maladie et encore moins atteignaient les vertèbres du cou et les méninges. On considère que cette pathologie osseuse, l’atteinte cervicale, n’aurait concerné que moins de 3 à 4 sujets pour 1 000 dans la tranche d’âge considérée » souligne Eric Crubézy. L’autopsie qui avait été conduite sur le poète par les médecins du roi avait d’ailleurs relevé des signes de ces deux pathologies.
Malgré ces fortes présomptions, certains archéologues restent prudents. Christophe Besnier, responsable des fouilles à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), souligne que les études sur l’isotopie des dents ne permettent pas encore de conclure définitivement. Une réserve qui amuse Dominique Garcia, président de l’Inrap : « Que pourrait-on avoir de plus pour confirmer cette identification ? Retrouver sa brosse à dents pour vérifier l’ADN ? ».
Les fouilles, qui ont révélé quatre-vingts sépultures au total, n'ont pas seulement permis de retrouver Du Bellay, mais aussi de mieux comprendre les pratiques funéraires à Notre-Dame. « Sans surprise, il s’agissait principalement de sépultures d’hommes âgés », précise l’archéologue Camille Colonna, à une exception près : celle d’une femme, dont le cas pourrait à son tour être étudié.