Marseille – Le Pr Jean-Luc Jouve a relancé une vieille polémique en accusant les médecins libéraux de ne pas assez participer à la permanence des soins et ainsi de favoriser la crise des Urgences.
Ces dernières semaines, alors que les alertes sur les difficultés des services d’urgence à faire face à l’afflux de patients se multipliaient, la plupart des observateurs, politiques comme médecins, s’accordaient à dire que, grâce notamment au SAS (service d’accès aux soins), la coordination entre médecins hospitaliers et libéraux s’était améliorée. Mais il aura suffi d’une seule déclaration pour que la vieille querelle entre hospitaliers et libéraux reprennent.
L’étincelle est venue du Pr Jean-Luc Jouve, chef du service de chirurgie orthopédique à l’hôpital de la Timone à Marseille et président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) : en bref, une voix qui porte dans le monde hospitalier. Interrogé mercredi dernier par France info sur la crise systémique des Urgences, qui, comme chaque année, s’accentue durant l’été, le chirurgien a trouvé le coupable idéal.
« Le vrai fond du problème, c’est qu’il n’y a pas de participation de la médecine libérale et des cliniques privées à la permanence des soins (PDS) » a affirmé sans détour le médecin marseillais.
Pour le chirurgien, c’est donc bien l’absence de réponse en ville et dans le privé qui oblige nombre de nos concitoyens à se rendre aux Urgences, parfois pour des raisons injustifiées. « Tant que l’on n’aura pas un gouvernement qui aura le courage d’imposer à la médecine libérale de participer à la solidarité nationale et à la permanence des soins, on aura cette problématique » ajoute le médecin phocéen.
L’UFML demande des excuses au Pr Jouve et saisit le CNOM
Par cette sortie, le Pr Jouve fait référence aux atermoiements du gouvernement sur la question ces derniers mois. L’an dernier, à travers la loi dite Valletoux, certains députés avaient envisagé de rétablir l’obligation de garde pour les médecins libéraux (qui a été supprimée en 2002). Mais face aux protestations des syndicats de médecins, le gouvernement s’y était opposé : la loi prévoit simplement que les agences régionales de Santé (ARS) pourront inciter les cliniques à participer davantage à la PDS.
Plus récemment, en avril dernier, le Premier Ministre Gabriel Attal avait indiqué qu’il n’hésiterait pas à rétablir l’obligation de garde pour les libéraux si nécessaire, mais aucune mesure n’a été prise ou même évoquée depuis. La Cour des Comptes avait pourtant souligné la nécessité de mieux répartir le poids de la PDS entre public et privé dans un rapport rendu en octobre dernier.
Sans surprise, les propos tenus par le Pr Jouve ont particulièrement déplu aux syndicats de médecins libéraux, qui refusent d’être tenus responsables de la crise des Urgences. Présidente du syndicat MG France, le Dr Agnès Giannotti a rappelé que les généralistes « sont au rendez-vous » de la PDS. Mais c’est l’UFML qui a le plus vivement réagi : à travers un communiqué publié ce jeudi, le syndicat du Dr Jérôme Marty demande au Pr Jouve de « présenter des excuses publiques par voie de communiqué de presse » aux médecins libéraux « sous huitaine ». Le syndicat indique également avoir saisi l’Ordre des médecins pour faire sanctionner les « propos profondément diffamatoires » du Pr Jouve.
« Il faut des droits et des devoirs équivalents » entre public et privé
Dans son communiqué, l’UFML rappelle à son interlocuteur marseillais que « la permanence des soins ambulatoire est assurée par les médecins libéraux à hauteur de 97 % les week-end et jours fériés et 96 % les soirs de semaine », chiffres issus d’un rapport du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) de juillet 2023.
« Les services d’urgence des cliniques et hôpitaux privées reçoivent plus de 3 millions de patients par an dans des conditions souvent plus difficiles, avec moins de personnels soignants qu’à l’hôpital public et sans l’aide d’internes » ajoute l’UFML qui estime que « les médecins libéraux ne sont pas responsables des difficultés d’organisation internes des hôpitaux, du manque de soignants et de lits ».
Chacun défendant sa paroisse dans cette affaire, il n’est pas forcément facile de déceler le vrai du faux dans cette querelle. Pour Frédéric Bizard, économiste spécialiste de la santé, il est « très stérile d’opposer le public et le privé dans une crise systémique donc structurelle ». Il n’est cependant pas loin de rejoindre le Pr Jouve dans son analyse. « La permanence des soins doit être obligatoire pour tous les acteurs publics et privés. Il faut une équité de traitement public-privé, mais aussi des droits et des devoirs équivalents » conclut l’économiste.