JIM.FR Logo

Et si les « médicaments anti-obésité » décrochaient le prix Nobel ? Et après ?

Paris – On n’a pas cessé d’en parler cette année : les bénéfices (mais aussi les potentiels risques) des analogues du glucagon-like peptide 1 (GLP-1). Aussi, n’est-il pas totalement étonnant que ceux qui ont contribué à l’élaboration de ces médicaments viennent d’être récompensés par le Prix Lasker. Joel Habener (Hôpital général du Massachusetts), Lotte Bjerre Knudsen (Novo Nordisk) et Svetlana Mojsov (Université Rockefeller) ont en effet été distingués par le prestigieux jury du prix dans la catégorie Recherche médicale clinique. Alors que le prix Lasker est régulièrement considéré comme l’antichambre du Prix Nobel : faut-il s’attendre à voir ces mêmes spécialistes mis à l’honneur le 7 octobre prochain ? 

Une grande avancée, que dis-je, une révolution !

Beaucoup en tout cas considèrent les analogues du glucagon-like peptide 1 (GLP-1) comme une « révolution ». Précisant n’avoir aucun lien d’intérêt avec les laboratoires pharmaceutiques qui produisent ces nouveaux traitements, le spécialiste de santé publique, Antoine Flahault a ainsi à plusieurs reprises signalé le rôle majeur que ces traitements pourraient jouer : « Il est difficile de détecter les révolutions médicales lorsqu’on en est contemporains. Il est possible que les nouveaux traitements du diabète et de l’obésité en soient une, et une majeure. Ces traitements vont peut-être permettre d’éliminer le diabète et ses conséquences comme les statines en leur temps ont réussi à éliminer les dyslipidémies et leurs conséquences après des décennies d’errance et de tâtonnements thérapeutiques. Ces traitements représentent une telle manne pour leurs fabricants que le CA de Novo-Nordisk a dépassé le PIB du Danemark. Mais l’investissement pourrait s’avérer très profitable aux systèmes de santé si le diabète, l’obésité et leurs conséquences sont bientôt sous contrôle » observait-il il y a quelques mois, renchérissant encore un peu plus tard : « Ces nouveaux médicaments du diabète et de l’obésité pourraient être une telle révolution médicale qu’ils transformeront les concepts de désordres métaboliques, prédiabète, et diabète (…). Une grande avancée se profile peut-être! ». 

Silence et vigilance 

Comme le JIM s’en est fait régulièrement l’écho, les études se sont en effet multipliées ces derniers mois, suggérant que le champ d’action de ces analogues du GLP-1 pourrait être bien plus large (jusqu’à la maladie de Parkinson !) que ce que laissaient espérer les premiers travaux les concernant. Cependant, en France, c’est la plus grande prudence qui s’impose. Les scandales de l’Isoméride et du Mediator ont en effet laissé des traces profondes. « Ces affaires autour des dérivés des amphétamines expliquent probablement qu’aujourd’hui, les autorités de santé françaises sont devenues « frileuses » vis-à-vis de l’utilisation de médicaments dans la perte de poids. On peut citer l’exemple de certains médicaments disponibles aux ÉtatsUnis, comme la naltrexone et le bupropion, qui ne disposent pas d’autorisation d’utilisation en France dans le cadre de la perte de poids. Bien que ces molécules soient utilisées dans le cadre d’un sevrage alcoolique ou tabagique ou encore dans la dépression, l’ANSM a jugé le rapport bénéfice/risque négatif, ne permettant pas une utilisation à visée amaigrissante » relève sur ce sujet l’Association française de l’information scientifique (AFIS). De même, lors de l’actualisation de ses recommandations concernant la prise en charge de l’obésité, la Haute autorité de Santé (HAS) s’est concentrée sur le changement des habitudes de vie et sur la chirurgie en dernier recours, sans se pencher sur la question des traitements médicamenteux (dans un contexte de difficultés d’approvisionnement concernant plusieurs analogues du GLP-1 nécessitant de réserver la priorité aux patients souffrant de diabète, tandis que l’expérimentation d’accès précoce au Wegovy s’est achevée en septembre 2023). 

Des mécanismes encore à élucider ? 

Cet excès de prudence peut-elle constituer une perte de chance pour les patients ? Bien sûr, ces médicaments n’ont pas encore livré tous leurs secrets, y compris en ce qui concerne leurs effets secondaires. A propos de ces derniers et plus globalement des mécanismes d’action, dans une note de la Revue de l’Institut Polytechnique de Paris, Martin Whyte, professeur associé en médecine métabolique à l'Université du Surrey décrypte : « Il est clair que l’époque où l’on disait que l’obésité était due à la paresse et à une mauvaise attitude est révolue. Les mécanismes de maintien du poids échappent à notre conscience. Cela fonctionne de la même manière que le corps régule inconsciemment la respiration – vous pouvez retenir votre souffle à court terme, mais le cerveau finira par prendre le relais. De la même manière, les gens peuvent facilement perdre du poids en suivant des régimes draconiens, mais le corps finira par reprendre le dessus à long terme. (…) Le maintien du poids repose sur un circuit neuronal complexe centré sur les régions du mésencéphale et du cerveau postérieur. Ces dernières intègrent les signaux liés à l’équilibre énergétique et modulent l’alimentation et la dépense énergétique. Nous savons aujourd’hui que l’autre pièce du puzzle est la signalisation intestinale. (…) Le sémaglutide exploite ces connaissances sur les signaux intestinaux. (…) Le système de maintien du poids est extrêmement redondant : si un élément est bloqué, les signaux empruntent une autre voie. Pour cette raison, il est difficile de connaître la contribution relative de chacun des mécanismes et, dans le cas de l’obésité, de savoir exactement où et comment les signaux peuvent être en cause. Le GLP‑1 ne fait pas exception. (…). Bien que la perte de poids joue un rôle incontestable dans l’amélioration de la qualité de la santé liée au GLP‑1, il ne semble pas que ce soit l’unique pièce du puzzle. Une possibilité est que le GLP‑1 pourrait avoir des effets anti-inflammatoires qui agissent parallèlement à la perte de poids ». 

Dérives à double sens 

Les zones d’incertitude quant aux mécanismes et aux effets secondaires et les risques réels de détournement par des personnes non obèses mais souhaitant seulement maîtriser leur poids pour des raisons esthétiques peuvent-elle légitimer de « priver » certains patients de cette « révolution » ? Le docteur Muriel Coupaye, présidente de l’Association française d’étude et de la recherche sur l’obésité (AFERO) se souvient de la détresse que peut provoquer certaines décisions sans nuance : « Quand l’Acomplia a été interdit, j’avais des patients en situation d’obésité - chez qui il fonctionnait très bien, avec des risques maîtrisés car nous les suivions de près - qui pleuraient dans mon bureau. Je vous assure que je ne veux pas revivre ça » confiait-elle il y a quelques mois dans l’Express. C’est dans cet esprit qu’elle a cosigné avec plusieurs autres spécialistes (dont certains ont déclaré des liens d’intérêt avec plusieurs laboratoires producteurs de ces traitements – mais pas elle) une tribune dans Le Monde au printemps 2023 en invitant à ne pas se priver des apports de ces traitements. « Il paraît légitime de permettre aux patients souffrant d’obésité de disposer, de façon graduée et adaptée à leur situation, de l’arsenal thérapeutique existant. Traiter l’obésité avant que ne se développent ses complications ne peut être que bénéfique pour les patients. Il faut bien entendu rester vigilant sur les effets secondaires et notamment sur le rapport bénéfice/effets secondaires. Il est indispensable d’éviter toute dérive et mésusage qui conduiraient à retirer des molécules qui, bien prescrites dans un parcours de soins adapté, peuvent être très utiles aux patients souffrant d’obésité. Nous attendons de la communauté médicale, des pharmacologues, des autorités sanitaires et des patients une très grande vigilance dans ce domaine ». Mais, on le comprend, cette vigilance doit tout autant concerner les excès et les dérives quant à l’utilisation des médicaments que ceux concernant l’absence de recours à ces traitements.

Faire grossir la stigmatisation ? 

Et du côté des patients, que pense-t-on de ces traitements et de la prudence extrême en France ? Se félicitant de la vigilance de l’ANSM après la désastreuse expérience du Mediator, la présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO) nous confiait il y a quelques mois qu’elle remarquait cependant que l’arrivée de ces médicaments allait permettre de contribuer à une meilleure reconnaissance de l’obésité en tant que maladie, tant il est vrai que cette association (maladie = traitement) demeure prégnante dans l’esprit de beaucoup et notamment au sein de la communauté médicale. Cependant, le risque d’une aggravation de la stigmatisation et de la marginalisation des patients qui ne pourraient ou qui ne voudraient pas accéder à ces traitements est réel et redouté par les associations. Dans une tribune publiée sur le site de l’association américaine pour l’acceptation des personnes obèses (NAAFA), Tigress Osborn responsable de l’organisation s’indignait : « Le matraquage médiatique selon lequel tout le monde peut et doit perdre du poids en prenant les bons médicaments implique que ceux d’entre nous qui sont encore gros échouent. Nous en avons assez de ce message »

La fausse route de la prévention 

La plupart des spécialistes de l’obésité partagent également cette conviction que les médicaments, aussi révolutionnaires soient-ils, ne peuvent pas être le seul pilier de la lutte contre l’obésité. Cependant, encore et toujours, la prévention a échoué dans tous les pays en dépit des efforts et des budgets qui y ont été consacrés. Sans doute a-t-elle fait fausse route comme le notait dans une récente tribune publiée par l’Express le Dr Jean-Pierre Thierry (Représentant des usagers à la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de Santé et au Conseil Scientifique de l’ANSM) : «L’approche de prévention privilégiée actuellement mise sur la généralisation de messages comme les célèbres "trop gras, trop sucré, trop salé" ou "manger bouger", et surtout sur l’extension du Nutri-Score, plébiscité par les associations de patients. (…) Cette approche a été influencée par une conception de la prévention popularisée en 1985 par Geoffrey Rose, un épidémiologiste anglais de l’Université d’Oxford. Selon lui, l’application de mesures de prévention à l’ensemble de la population, incluant les personnes confrontées à des "risques faibles" de maladie (par exemple une consommation d’alcool faible ou modérée et jusque-là jugée comme acceptable), permettrait de sauver plus de vies que la seule prise en charge des personnes à "haut risque" (par exemple les consommateurs excessifs d’alcool). Or, aujourd’hui on ne peut que constater l’échec des stratégies prévention ». Par ailleurs, le spécialiste (plutôt réticent vis-à-vis des médicaments) rappelle qu’en se basant sur des résultats d’études à faible niveau de preuve, voire biaisées, « les recommandations américaines des années 70-80 ont "diabolisé" le "gras" comme facteur de risque des maladies cardiovasculaires (…) On sait aujourd’hui que ces recommandations ont accéléré l’ouverture du marché aux  aliments ultra-transformés (AUT), à commencer les "Low Fat" (NDLR : les produits allégés) aux Etats-Unis et ailleurs. Elles ont eu pour conséquence d’augmenter de façon significative la part des sucres et des glucides dans l’alimentation et de diminuer la part du "gras" (ce que recommandaient les comités américains). (…) Or ce sont avant tout les sucres et les glucides qui fabriquent le gras de notre corps. Un excès de sucre, surtout dans des aliments ultra-transformés ou une consommation excessive d’alcool, va provoquer une "résistance à l’insuline" à l’origine de la prise de poids, du diabète et du "syndrome métabolique". (…) La réduction drastique de l’offre d’aliments très sucrés, de sodas, et d’aliments ultra transformés devrait être également une priorité de santé publique. Le rajout de la classification NOVA dans le Nutri-Score français est indispensable car la responsabilité des AUT est désormais mieux établie et le régime méditerranéen a en partie permis de réhabiliter le « bon gras ». On peut d’ailleurs s’attendre à ce que cette évolution, souhaitée par les promoteurs du Nutri-Score, soit encore plus combattue par les lobbys de l’industrie agroalimentaire ». 

On le voit, à la complexité des mécanismes physiologiques en jeu, s’ajoute celle de la prévention et des pressions industrielles. Voilà qui mérite bien un traitement (ou en tout cas quelques lectures) ! 

Antoine Flahault : https://twitter.com/FLAHAULT/status/1745545440412500174?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Etweet

L’AFIS : https://www.afis.org/Maigrir-a-tout-prix

Martin Whyte, : https://www.polytechnique-insights.com/tribunes/sante-et-biotech/les-medicaments-anti-obesite-ne-suffiront-pas-a-resoudre-la-crise-du-surpoids/#:~:text=Sant%C3%A9%20et%20biotech-,Les%20m%C3%A9dicaments%20anti%2Dob%C3%A9sit%C3%A9%20ne%20suffiront%20pas,r%C3%A9soudre%20la%20crise%20du%20surpoids&text=Aujourd'hui%2C%20environ%20une%20personne,am%C3%A9liorent%20leurs%20perspectives%20de%20sant%C3%A9.

Collectif de spécialistes : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/04/26/obesite-non-les-medicaments-ne-sont-pas-inutiles_6171038_1650684.html

Dr Jean-Pierre Thierry : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/prevention-de-lobesite-et-du-diabete-pourquoi-les-strategies-actuelles-sont-vouees-a-lechec-YO2BTI7W6FFCNICLSROVQPDLIY/

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE