L’évaluation la plus précise possible du risque de maladie cardiovasculaire (MCV) à l’aide de modèles prédictifs constitue l’une des pierres angulaires de la prévention primaire. Force est de constater que les équations sous-tendant cette démarche d’évaluation souffrent d’imperfections qui ont amené à développer de nouveaux outils depuis l’utilisation du Framingham Heart Score dans les années 60, à la suite des résultats de la célèbre étude de cohorte, la Framingham Heart Study débutée … en 1948.
Le calculateur de risque est toujours disponible sous une forme actualisée, mais d’autres outils ont été développés pour prendre en compte les progrès diagnostiques et thérapeutiques qui ont conduit à une réduction de la morbi-mortalité cardiovasculaire au fil du temps au sein d’une population étatsunienne de plus en plus multiethnique.
C’est dans cette optique que s’inscrit d’ailleurs le modèle des équations groupées dit PCEs (Pooled Cohort Equations) développé en 2013 par l’American Heart Association(AHA) et l’American College of Cardiology(ACC).
PREVENT : estimation du risque cardiovasculaire absolu
Plus récemment encore, à la fin de l’année 2023, a été introduit un nouvel outil qui semble plus précis que les précédents, sous la forme d’équations entrant dans le modèle prédictif PREVENT (Predicting Risk of Cardiovascular Disease Events). Ces dernières, à la différence des PCEs, incluent des variables nouvelles tout en ne tenant plus compte de l’ethnie.
La fonction rénale, les taux d’HbA1, le rapport albumine/ créatinine urinaire et l’index de déprivation sociale sont inclus dans le calcul du risque cardiovasculaire, en termes de morbi-mortalité à dix et trente ans, incluant l’insuffisance cardiaque.
Les informations médicales d’environ 6,6 millions de participants ont été extraites de 46 bases de données regroupant des dossiers médicaux électroniques ou des études démographiques, rien à voir donc sur le plan dimensionnel avec les études longitudinales initiales, ou encore celles incluses dans les PCEs. Si l’on prend en compte cette dernière modélisation, il s’avère qu’aux Etats-Unis, ce sont environ 50 millions de citoyens qui sont appelés à bénéficier d’une prescription de statines à des fins de prévention primaire.
Le recours aux équations de PREVENT a-t-il un impact sur ces chiffres ? Le contexte sociodémographique exerce-t-il un effet propre ? Une étude de cohorte transversale apporte des éléments de réponse à ces questions.
NHANES : une enquête transversale
Les données ont été obtenues à partir de l’enquête NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey) dans laquelle ont été inclus 3 875 adultes âgés de 40 à 75 ans (âge moyen 55,7±9,7 ans ; femmes : 52, 5 %) représentatifs de la population générale du pays. Il n’existait à l’état basal aucun antécédent de MCV, mais, plus d’une fois sur cinq (20,7 %), une statine était prescrite au long cours. Le risque cardiovasculaire à dix ans a été en moyenne estimé à 8,0 % (IC 95 %, 7,6 %-8,4 %) avec le modèle des PCEs, versus 4,3 % (IC 95 %, 4,1 %-4,5 %) avec les équations PREVENT.
Dans tous les sous-groupes définis par l'âge, le sexe ou encore l’origine ethnique, la même tendance a été observée, en l’occurrence une surestimation du risque cardiovasculaire à dix ans avec les PCEs, la différence étant plus marquée chez les adultes noirs (10,9 % [IC 95 %, 10,1 %-11,7 %] vs 5,1 % [IC 95 %, 4,7 %-5,4 %]) et chez les sujets âgés de 70 à 75 ans (22,8 % [21,6 %-24,1 %] vs 10,2 % [9,6 %-10,8 %]).
De ce fait, l’utilisation du modèle PREVENT pour estimer le risque cardiovasculaire absolu à dix ans pourrait diminuer drastiquement le nombre d’adultes exposés aux statines en comparaison du modèle PCEs : il passerait ainsi de 45,4 millions (IC 95 %, 40,3-50,4 millions) à 28,3 millions (IC 95 %, 25,2-31,4).
En d'autres termes, 17,3 millions (IC à 95 %, 14,8-19,7) d'adultes se verraient dispensés de ces médicaments, du fait d’une réévaluation de leur risque cardiovasculaire à l’aide d’un outil plus représentatif des conditions de vie actuelles et des risques encourus en fonction de facteurs identifiés et actualisés, qu’ils soient métaboliques ou autres (par exemple, le score calcique en cas de risque intermédiaire). Sur la base des équations PREVENT, 44,1 % (IC 95 %, 38,6-49,5 %) seulement des adultes éligibles aux statines en prévention primaire en bénéficieraient effectivement. Dix-huit millions de patients en seraient de facto privés.
Tendre vers un score universel
Les résultats de cette étude transversale doivent être confirmés par d’autres travaux portant sur des échantillons plus conséquents avant toute conclusion. Ils n’en soulignent pas moins l’importance qu’il convient d’accorder aux outils prédictifs du risque cardiovasculaire absolu et à leurs limites : une notion qui explique les stratégies amenant à calibrer et recalibrer les modèles actuels, l’exemple de SCORE devenu récemment SCORE2 à l’échelon européen illustrant le propos.
PREVENT constitue une étape vers l’élaboration d’un modèle plus sophistiqué tendant vers l’universel, un objectif qui semble encore bien lointain mais qui résume l’état d’esprit actuel.
References
Anderson TS, Wilson LM, Sussman JB. Atherosclerotic Cardiovascular Disease Risk Estimates Using the Predicting Risk of Cardiovascular Disease Events Equations. JAMA Intern Med. 2024 Jun 10:e241302. doi: 10.1001/jamainternmed.2024.1302.