Bruxelles – Le Parlement Européen doit examiner une proposition visant à introduire une visite médicale obligatoire tous les quinze ans pour conserver son permis de conduire. Les spécialistes de la sécurité routière sont partagés.
La vie de Pauline Déroulède a basculé le 27 octobre 2018. Ce jour-là, la jeune femme de 28 ans est violemment percutée par une voiture et perd sa jambe gauche dans l’accident. L’automobiliste responsable de l’accident, âgé de 92 ans, avait « appuyé sur l’accélérateur au lieu du frein » explique la victime.
Depuis, la jeune femme, devenue championne de tennis fauteuil, milite pour mettre en place une visite médicale obligatoire pour les conducteurs seniors. Un combat qui pourrait bientôt aboutir : ce mercredi, le Parlement Européen examinera une proposition de règlement visant à mettre fin au permis de conduire à vie en instaurant une visite médicale obligatoire au moment de l’obtention du permis puis tous les quinze ans.
L’examen consisterait à vérifier la vue, l’ouïe, les réflexes et les capacités cognitives des conducteurs. Selon l’eurodéputée française Karima Delli, rapporteuse du projet de loi, cette mesure, inscrite dans un plan plus général en faveur de la sécurité routière, vise à réduire la mortalité sur les routes européennes (environ 20 000 morts par an) de moitié d’ici 2030 puis d’atteindre « zéro mort et blessé » d’ici 2050 (un vœu pieu sans nul doute). « La santé mentale et physique est d’une importance cruciale pour la conduite » justifie l’eurodéputée. A ceux qui lui expliquent que cette mesure pourrait être jugée comme stigmatisante pour les personnes âgées, la parlementaire rappelle que la visite médicale obligatoire concernera les conducteurs de tout âge. « Vous pouvez être très en forme à 80 ans, conduire votre voiture et n’avoir aucun problème, contrairement à quelqu’un qui a 40 ans et qui a une maladie » ajoute-t-elle.
Pas d’Europe du permis
Plusieurs pays européens ont d’ores et déjà mis en place des visites médicales obligatoires et régulières pour les conducteurs seniors comme les Pays-Bas, le Danemark, l’Espagne ou encore en Italie, où les conducteurs sont soumis à des visites médicales de plus en plus rapprochés dès l’âge de 50 ans. En France en revanche, le permis de conduire est en principe obtenu à vie, sauf pour les personnes souffrant de certaines maladies pouvant affecter la conduite (comme le diabète ou l’épilepsie).
Le préfet peut également imposer un examen médical à un conducteur s’il estime son état de santé incompatible avec la conduite, puis lui interdire totalement ou partiellement de conduire (interdiction de rouler la nuit, de prendre l’autoroute…). Aucune proposition de mettre en place un contrôle médical pour les conducteurs seniors n’a abouti, les parlementaires français ayant probablement conscience que les seniors sont les citoyens qui votent le plus.
Sans surprise, l’association des usagers de la route Quarante millions d’automobilistes est vent debout contre cette proposition. « Le permis de conduire est un diplôme, un droit acquis qui ne peut et ne doit être remis en question qu’en cas de non-respect répété des règles imposées par le code de la route, mais il serait intolérable d’apposer une date de péremption sur le permis de conduire : est-ce qu’on repasse son bac tous les quinze ans ? » s’insurge son délégué général Pierre Chasseray.
Même les spécialistes de la sécurité routière sont très partagés sur cette proposition. Bien qu’ils reconnaissent que certaines pathologies sont incompatibles avec la conduite, comme la maladie d’Alzheimer, « qui augmente les risques de collision de 2,5 fois » (à quel stade ? NDLR) le Dr Philippe Lauwick, médecin agréé par l’Etat pour réaliser les examens médicaux des conducteurs se dit « pas du tout favorable » à une telle mesure, « un dispositif très lourd qui apporterait un gain de sécurité trop faible ». Cette mesure relève du « principe de précaution » estime à l’inverse Pierre Lagache, vice-président de la Ligue contre la violence routière.
Plus de victimes âgées mais non de responsables d’accidents
Si les personnes âgées sont surreprésentées parmi les victimes d’accident de la route (25 % des tués ont plus de 65 ans, alors qu’ils ne comptent que pour 21 % de la population), elles provoquent en revanche moins d’accidents graves (sans nul doute parce qu’elles conduisent moins et moins vite): moins de 10 % des accidents mortels impliquent un conducteur âgé de 65 à 74 ans (contre 19 % pour les 18-24 ans). Selon le Conseil européen de la sécurité routière, l’instauration de visites médicales obligatoires pour les seniors dans certains pays européens n’a pas entraîné de baisse des accidents mortels. Se pose également la question du coût de cette mesure, qui entraînera à plus de 300 000 visites médicales par an en France. « Mais combien ça coûte de perdre un être cher ou d’être blessé gravement ? » répond Karima Delli.
Si le texte est adopté par le Parlement Européen, la France aura deux ans pour le transposer dans son droit. Sinon, il faudra donc continuer à se reposer sur la sagesse de nos seniors et espérer qu’ils prennent l’exemple de feu le prince Philippe. En 2018, l’époux de la Reine Elisabeth II, alors âgé de 97 ans, avait provoqué un accident de la circulation et avait décidé, de lui-même, de remettre son permis de conduire aux autorités de son épouse (qui, en tant que souveraine, était dispensée d’avoir son permis) !