Londres, le mardi 30 janvier 2024 – Près de quarante ans après le scandale des hormones de croissance extractives, des chercheurs britanniques suspectent que le traitement par hormone de croissance humaine ait pu être à l’origine de cas de maladie d’Alzheimer.
En 1985, la communauté médicale découvrait avec effroi que le traitement par hormone de croissance humaine, la c-hGH extraite du cerveau de cadavres, pouvait déclencher des maladies de Creutzfeldt-Jacob. Certain des milliers d’enfants occidentaux traités pendant 25 ans ont en effet reçu une hormone de croissance contaminée par un prion qui a déclenché la maladie chez eux. Ce scandale iatrogène a été à l’origine de la mort d’environ 250 personnes dans le monde, même si le bilan final est difficile à établir, la maladie pouvant se déclencher plusieurs décennies après la contamination.
Des protéines amyloïdes dans des lots d’hormone de croissance humaine extractive
Si tout risque de contamination est désormais écarté, les hormones de croissance utilisées étant désormais synthétiques, les scientifiques se demandent si ces traitements par hormone de croissance n’ont pas pu être à l’origine de la transmission d’autres maladies neurologiques. En 2015, des neurologues britanniques avaient recensé plusieurs cas d’angiopathie amyloïde cérébrale chez certains des 1 848 enfants britanniques traités par hormone de croissance humaine entre 1959 et 1985. L’analyse des lots de c-hGH administrés à ces patients atteints d’angiopathie amyloïde (conservés à des fins de recherche) avait permis de conclure qu’ils étaient contaminés par des protéines amyloïdes issues des tissus cérébraux des donneurs.
De là une hypothèse, celle qu’un traitement par hormone de croissance extractive puisse être à l’origine de cas de maladie d’Alzheimer, maladie qui se caractérise par la présence de plaques amyloïdes dans le cerveau. Dans une étude publiée ce lundi dans la revue Nature, la même équipe de neurologues britanniques indique avoir identifié huit cas suspects de maladie d’Alzheimer chez des patients traités par hormone de croissance humaine (extractive).
Outre qu’ils ont été traités avec des lots d’hormone de croissance humaine dans lesquels ont été retrouvés des protéines amyloïdes, ces patients ont la particularité d’avoir présenté les premiers symptômes de la maladie à âge très précoce, entre 38 et 55 ans, là où l’âge moyen classique de début des symptômes est de 75 ans. Les formes précoces sont normalement presque toujours des formes héréditaires, lié à des mutations génétiques spécifiques. Or, aucun des huit patients objets de l’étude n’est porteur d’une de ces mutations génétiques.
Des cas similaires en France ?
Les neurologues britanniques en concluent donc que ces cas de maladie d’Alzheimer sont sans doute dû à l’injection d’hormones de croissance humaine dans l’enfance, hormones qui ont été préparés par la technique dite Hartree-Wilhelmi, qui autorise la persistance des protéines à prion. Ces chercheurs restent cependant prudents, indiquant qu’il n’est pas exclu que l’existence de ces huit cas de maladie d’Alzheimer précoces chez ces patients traités par hormone de croissance humaine ne soient qu’une coïncidence. Il est également possible que ces patients soient porteurs d’une mutation génétique encore inconnue favorisant la maladie d’Alzheimer.
Sur le plan fondamental, cette étude pourrait permettre de mieux comprendre les causes, encore incertaines de la maladie d’Alzheimer et renforce l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’une maladie à prion. Cette étude amène également à s’interroger sur l’existence de cas similaires en France, où les hormones de croissance humaine extractives ont également été utilisés jusqu’en 1988. « D’après les analyses, les extraits d’hormones de croissance injectés en France contenaient moins de protéines amyloïdes que ceux de la cohorte anglaise » tente de rassurer le Pr Nicolas Villain, neurologue à l’institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer de la Pitié-Salpêtrière.
Le passé nous enseigne cependant à rester prudent : en 1985, les scientifiques français avaient d’abord exclu toute possibilité de contamination des lots d’hormones de croissance utilisés en France. Mais notre pays avait finalement été le plus touché dans le monde, avec 119 décès par maladie de Creutzfled-Jacob d’origine iatrogène.