Paris – Selon une nouvelle enquête des syndicats d’internes, les futurs médecins travaillent en moyenne 59 heures par semaine et 80 % d’entre eux dépassent le maximum légal hebdomadaire de 48 heures.
Le 22 juin 2022, les syndicats d’internes obtenaient une victoire de haute lutte, quand le Conseil d’Etat ordonnait à tous les établissements de santé de mettre en place un « dispositif fiable, objectif et accessible permettant de décompter le nombre journalier d’heures de travail effectuées par chaque agent », afin de s’assurer que les internes ne dépassent pas le temps de travail maximal, fixé par le droit européen à 48 heures par semaine et par la loi française à huit demi-journées hebdomadaire.
Les futurs médecins espéraient alors bientôt voir la fin des terribles semaines de 80 heures, devenues la norme en raison du manque de personnel, mais aussi d’une tradition qui veut que les internes soient corvéables à merci. Mais deux ans après, la dernière enquête des syndicats d’internes montre que la décision de la justice administrative n’a rien changé à la situation.
L’InterSyndicale nationale des internes (ISNI), l’InterSyndicale des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) et l’Intersyndicale des internes de pharmacie et de biologie médicale (FNSIP-BM) ont ainsi interrogé quelques 2 200 internes sur leur temps de travail entre le 18 septembre et le 30 octobre dernier. Le résultat est sans appel : les futurs médecins travaillent en moyenne 59 heures par semaine.
Ils sont par ailleurs 80 % à dépasser les 48 heures maximum hebdomadaire fixé par un règlement européen en 2003 et 10 % à travailler plus de 80 heures par semaine. Toujours selon l’enquête, 41 % de ce temps de travail est consacré à des activités non-médicales. La situation a, semble-t-il, empiré depuis la dernière enquête menée par les syndicats d’internes en 2020 : à l’époque, les internes déclaraient un temps de travail hebdomadaire moyen de 58,4 heures et 70 % dépassaient les 48 heures.
Les internes en chirurgie travaillent 75 heures par semaine en moyenne
Sans surprise, ce sont les internes en chirurgie qui s’esquintent le plus au travail, avec un temps de travail hebdomadaire moyen de 75 heures, les semaines de plus de 100 heures étant monnaie courante. Parmi les plus travailleurs, on compte également les internes en gynécologie obstétrique, en ORL-chirurgie cervico-faciale et en réanimation. Les internes en médecine générale travaillent en moyenne 50 heures par semaine, un peu moins qu’en 2020 quand ils déclaraient 52,3 heures hebdomadaire. Seuls les internes en santé publique, en médecine nucléaire et en médecine du travail travaillent moins que les 48 heures hebdomadaire maximum.
Les syndicats ont également interrogé les internes sur le respect du repos de sécurité, obligatoire depuis 2002 pour tout travail de nuit. Si cette obligation est bien respectée en cas de garde complète (94 % des internes déclarent toujours ou souvent bénéficier d’un repos de sécurité), le repos de sécurité est en revanche loin d’être garanti en cas de demi-garde (51 % des internes y ont droit) et après une astreinte (32 % des internes en bénéficient). L’enquête des syndicats montre également que seulement 43 % des internes jouissent d’un repos compensateur, c’est-à-dire d’une demi-journée de congé lorsqu’ils travaillent plus que huit demi-journées par semaine, ce repos étant pourtant obligatoire depuis 2015.
Les CHU devant la justice
Ces charges de travail excessives et cette absence de repos « mettent en péril la santé physique et mentale des internes au détriment des patients » dénonce Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG. En 2021, une enquête sur la santé mentale des internes avait conclu que 75 % d’entre eux présentaient des symptômes anxieux, 67 % des signes de burn-out, 39 % des symptômes dépressifs et 19 % des idées suicidaires. Pour mettre fin à ces cadences infernales, les syndicats demandent un décompte horaire précis du temps de travail, le paiement des heures supplémentaires et l’instauration d’une demi-journée de repos pré-garde pour limiter le temps de travail de 24 heures consécutives, « source d’erreurs médicales » observe Florie Sullerot.
Les internes souhaitent également voir sanctionner les établissements de santé qui ne respectent pas la décision du Conseil d’Etat et qui ne décomptent pas le temps de travail de leurs agents. Le 6 février 2023, le gouvernement a adopté un décret en ce sens, mais selon une procédure si complexe qu’elle rend toute sanction financière des hôpitaux ne respectant pas la réglementation très incertaine. Les syndicats d’internes ont donc décidé de prendre les choses en main et ce sont à ce jour 28 CHU (sur 31 existants) qui ont été attraits devant la justice administrative par les futurs médecins.