Le traitement de certaines affections thyroïdiennes par l’iode radioactif (iode 131) conserve des indications précises et relève de la radiothérapie dite interne ou métabolique.
Cancers thyroïdiens : doses radioactives élevées et risque de leucémie
Les doses utilisées dans l’hyperthyroïdie restent faibles et c’est surtout dans le cas des cancers thyroïdiens différentiés qu’elles atteignent des valeurs conséquentes, de l’ordre de 100 milliCuries (mCi) lors de chaque irradiation, en premier lieu en complément de la thyroïdectomie, puis à l’occasion des récidives éventuelles. Dans ces conditions, les doses radioactives cumulées peuvent se chiffrer en quelques centaines de mCi qui exposent à un risque iatrogène, notamment la survenue de leucémies dites secondaires.
Les radiations ionisantes font partie des agents capables de tels effets, au travers de lésions affectant divers composants cellulaires, des macromolécules ou encore des organites. Il peut en résulter des mutations somatiques ou oncogènes, dès lors que des gènes importants vont être lésés et il suffit de se pencher sur le sort des survivants exposés aux bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki pour estimer approximativement le risque encouru en fonction des doses reçues.
Diverses classes thérapeutiques sont à même d’induire des lésions de l’ADN et de favoriser l’oncogenèse au travers de mutations létales ou sublétales : c’est le cas notamment des agents alkylants tels le cyclophosphamide, le melphalan ou encore les nitroso-urées. Les inhibiteurs de la topoisomérase 2 et certains antimétabolites (fludarabine et azathioprine) ont été également impliqués. Le risque ne tient pas qu’à la toxicité propre de ces agents dits « leucémogènes », elle dépend aussi de facteurs prédisposants propres à chaque individu, notamment génétiques, ce qui rend la situation plus complexe.
Quoiqu’il en soit, les leucémies secondaires ne se différencient guère des leucémies de novo tant sur le plan diagnostique que biologique. Si le risque de leucémie myéloïde chronique (LMC) secondaire semble être inférieur à celui de leucémie myéloïde aiguë (LMA) force est de reconnaître que les études visant à une évaluation plus précise en cas d’irathérapie tendent à se multiplier. Au passage, il faut souligner que la plupart des études publiées portent sur le risque de LMA, plus que sur celui de LMC.
Une revue systématique : 14 cas de LMC après irathérapie… depuis 1960
Ce qui fait tout l’intérêt d’une revue systématique de la littérature internationale spécifiquement axée sur l’association entre irathérapie et risque de LMC, basée sur les articles publiés depuis 1960 et accessibles dans les bases de données Google Scholar et PubMed.
Seules dix études ont été retenues, rapportant au total 14 cas de LMC survenus dans les suites d’une irathérapie entreprise face à un carcinome thyroïdien différentié. Il s’agissait le plus souvent de cas uniques rapportés (n = 10) et de deux séries de 2 cas chacune. Cette complication apparaît rarissime si l’on en juge par le nombre de cas publiés depuis 1960, mais elle n’en mérite pas moins d’être connue.
Les cas rapportés concernent le plus souvent des hommes âgés de moins de 60 ans, atteints d’un carcinome papillaire primaire de la thyroïde ou encore d’une forme mixte folliculo-papillaire. La LMC est survenue entre dix mois et 14 ans après l’irathérapie (médiane 5,5 ans), la dose moyenne reçue par les patients étant estimée à 287,78 mCi (dose maximale reçue 850 mCi).
Le risque relatif de LMC a été approximativement estimé à 2,50 sur la base d’une comparaison entre les groupes exposés et non exposés à l’iode 131. Par ailleurs, une relation linéaire de type dose-effet semble caractériser l’association entre la dose cumulée d’iode 131 et le risque de LMC. Les doses supérieures à 100 mCi sont celles qui ont été associées au risque le plus élevé.
Cette revue de la littérature n’est qu’un état des lieux qui incite à la vigilance. Certes, ses résultats plaident en faveur de l’extrême rareté des cas de LMC succédant à une irathérapie pour cancer thyroïdien), lesquels surviennent le plus souvent dans les dix ans qui suivent cette radiothérapie interne métabolique.
Il n’en reste pas moins que ce risque ne doit pas être ignoré dans l’estimation du bénéfice d’un tel traitement et que ses facteurs pathogéniques méritent d’être clarifiés. Le suivi hématologique des patients concernés devrait être d’au moins dix ans au cours desquels une numération formule sanguine complète annuelle est recommandée. Toute élévation significative des leucocytes doit retenir l’attention et alerter quant au risque possible quoique rare d’une LMC. Les doses d’iode 131 administrées méritent d’être prises en compte au cas par cas.
References
Ali Hailan YM, Al-Dubai HN, Yassin MA. Chronic Myeloid Leukemia following Exposure to Radioactive Iodine (I131): A Systematic Review. Oncology. 2023;101(6):362-368. doi: 10.1159/000530463.