Paris, le mardi 30 juillet 2019 – Les enquêtes signalant le mal être des professionnels de santé et parmi eux des médecins se sont multipliées récemment. Elles dressent souvent le portrait d’une profession médicale désabusée, harcelée par les réformes administratives toujours plus pesantes, parvenant de plus en plus difficilement à concilier vie privée et vie professionnelle et ne conservant comme plaisir que le rapport avec les patients, bien que celui-ci ait connu ces dernières années des évolutions parfois déstabilisantes. Mais au-delà de ce sombre tableau, qui insiste notamment sur la fréquence élevée de dépressions professionnelles et de tendances suicidaires, ces études se caractérisent régulièrement par une ambivalence, entre satisfaction pour son métier et désillusion.
Rien ne va plus, mais les médecins se sentent pourtant heureux
L’enquête de l’agence A plus A menée auprès de 432 médecins généralistes en mars 2018 dont les résultats ont été présentés le mois dernier lors d’une réunion de la Fédération nationale de l’information médicale (FNIM) ne fait pas exception. Elle révèle ainsi que 73,3% des praticiens interrogés ont une vision pessimiste de l’avenir de la médecine générale et 76,14 % de celui des médecins généralistes. L’enquête met par ailleurs en évidence que 68 % des omnipraticiens considèrent que leur activité professionnelle a des conséquences négatives sur leur vie familiale et 54 % sur leur vie sociale. Pour autant, en dépit de ces sombres ressentis, une majorité de praticiens, 66 %, se déclarent plutôt heureux.
Les généralistes ne sont pas un bloc homogène
Si on peut voir dans ces éléments contrastés, une nouvelle illustration des limites de ce type d’enquête pour offrir des données parfaitement cohérentes ou encore la réticence des médecins à admettre clairement leur souffrance, ces résultats peuvent également être appréhendés comme le témoignage d’une diversité de profils au sein de la profession médicale. L’équipe d’Alain Collomb, vice-président de l’agence A plus A a ainsi pu distinguer quatre groupes de médecins généralistes en se basant sur les résultats détaillés de l’enquête : les médecins « bien établis » (33 %), les « heureux » (23 %) qui sont autant représentés que ceux « en souffrance » (23 %) et les « modernistes inquiets » (21 %).
Pour être heureux, travaillons beaucoup mais pas trop
Cette classification permet-elle de déterminer une recette du bonheur en médecine générale ? On observe que les omnipraticiens que l’on peut considérer comme "heureux" se distinguent par un nombre d’heures travaillées un peu moins important (49 heures par semaine, versus 51 heures pour l’ensemble des répondeurs) et par une activité plus fréquente en maison de retraite (14 % vs 8 %). Par ailleurs, les médecins heureux ont un regard plutôt enthousiaste sur les récentes évolutions de la profession : ainsi, ils sont très majoritairement favorables à la télétransmission (92 %), quand seulement 49 % de l’ensemble des médecins ont une vision positive de ce dispositif. De la même manière, sans être majoritaires, ils sont plus nombreux à avoir une idée positive du tiers payant (40 % vs 15 %) ou de l’instauration du médecin traitant (78 % vs 63 %). Peu réfractaires au changement, les médecins heureux semblent pourtant conserver leurs distances avec certains aspects de la modernité : ils se sont ainsi moins fréquemment essayés à la télémédecine que les autres (13 % vs 26 %). Enfin, le secret du bonheur réside sans doute dans un bon équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Ainsi, 57 % de ces praticiens jugent que leur activité est bénéfique pour leur vie personnelle (un sentiment qui n’est partagé que par 32 % de l’ensemble du panel !). Ce portrait explique facilement qu’ils aient été plus souvent épargnés par la dépression ou le burn out, mais ils n’en sont cependant pas totalement indemnes : 18 % ont déjà souffert de troubles dépressifs et 28 % ont traversé une période d’épuisement professionnel.
Garder ses distances avec la télémédecine ?
Pour compléter la recette de ces médecins heureux, on peut également s’inspirer des spécificités de ceux que l’étude A + A qualifie de « médecins bien établis », qui sont les plus représentés. On retrouve la composante importante d’une vie professionnelle raisonnablement active : leur temps de travail hebdomadaire est de 50 heures en moyenne et ils sont moins nombreux à travailler le week-end (42 % vs 49 %). De la même manière, ils sont moins fréquemment entrés dans l’ère de la télémédecine. Ici, l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle est plus précaire, puisque 67 % déclarent que leur vie familiale pâtit de leur activité professionnelle. Néanmoins, ils sont une minorité à évoquer des difficultés avec leur conjoint ou leurs enfants, tandis que 53 % estiment que leur métier a amélioré leur vie sociale.
Un surinvestissement inquiétant
Sans être exhaustifs, ces résultats signalent quelques éléments centraux qui paraissent contribuer si non au bonheur des généralistes tout au moins à la réduction du risque de détresse et d’insatisfaction, tel le temps de travail, le recul vis-à-vis des nouvelles technologies et la préservation d’un équilibre personnel. D’ailleurs, sans surprise, les données concernant les médecins en souffrance confirment ce schéma : ils ont une activité plus soutenue que leurs confrères (58 % ont plus de 120 patients en semaine contre 49 % pour l’ensemble des sondés), sont plus souvent mobilisés le week-end et doivent consacrer plus de temps aux tâches administratives. Très réticents vis-à-vis des évolutions récentes de leur profession, se sentant délaissés par les pouvoirs publics et très nombreux à évoquer des répercussions négatives de leur métier sur leur vie personnelle, ils trouvent leur réconfort dans leurs relations avec leurs patients, qu’ils sont 89 % à juger satisfaisantes (contre 72 % pour l’ensemble des médecins). Bien qu’apparemment réconfortant, ce surinvestissement pourrait être un signe évocateur d’épuisement professionnel : 81 % de ces praticiens en souffrance déclarent d’ailleurs avoir déjà été en situation de burn out. Enfin on retiendra que les femmes et les plus jeunes sont plus représentés chez les « modernistes inquiets », qui tout en jugeant positifs les récents changements se montrent circonspects pour l’avenir.
Tous différents mais avec un regard identique
Le paysage dessiné par l’étude A + A rappelle la diversité des profils des médecins généralistes, des éléments indispensables pour une meilleure prévention et une sensibilisation aux troubles psychosociaux.
C’est finalement dans leur appréciation de l’évolution de la qualité des soins que les médecins et les professionnels de santé offrent un portrait plus homogène. Ainsi, l’enquête menée par 360 Medical en partenariat avec Egora et A plus A auprès de 4 635 professionnels de santé a révélé que pour « 93 % des médecins et 99 % des infirmiers en exercice, la qualité des soins est en danger en France ». Un résultat sans contraste.