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JO : un effort de recherche sans précédent pour surpasser nos performances (Interview du Pr J-F Toussaint)

Paris – Que la fête commence ! Les Jeux Olympiques de Paris débutent enfin et si le monde s’impatiente de découvrir les surprises de la cérémonie d’ouverture, l’heure est également cruciale pour les milliers d’athlètes venus concourir. Pour le pays hôte, l’enjeu est toujours décuplé. Ainsi, Emmanuel Macron a fixé comme objectif que la France se hisse dans le Top 5 des Nations, ce qui n’est plus arrivé depuis 1996 à Atlanta. Pour ce faire, depuis plusieurs années, un effort de recherche sans précédent a été déployé comme nous le détaille le Professeur Jean-François Toussaint directeur de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (IRMES). Ces travaux, dont l’objectif premier est l’amélioration des performances des athlètes et des para-athlètes ne permettront cependant sans doute pas de voir s’envoler les records : depuis quelques années en effet, de nombreux plafonds de verre semblent avoir été atteints, comme nous le rappelle également le spécialiste, auteur de recherches approfondies sur le sujet. 

Au-delà, un des grands enjeux de ces Jeux Olympiques est de redonner le goût de l’exercice physique aux Français. Un sondage réalisé par la Mutualité française révèle aujourd’hui que 25 % des Français assurent que sous l’impulsion des JO de Paris, ils s’apprêtent à faire plus de sport. 

Mais l’essai sera-t-il vraiment transformé ? Les expériences étrangères ne plaident pas forcément dans ce sens, remarque le Pr Toussaint. 

JIM.fr - Quel est votre regard sur la préparation sportive de ces Jeux Olympiques ? 

Pr Jean-François Toussaint - Nous pouvons nous féliciter d’un très gros investissement de recherche de la part de l’Agence nationale de la recherche à la demande du secrétariat général du gouvernement avec des investissements qui ont été multipliés globalement entre dix et vingt par rapport à ce qui est habituel. Les axes de recherche concernaient la compréhension, l’amélioration, l’optimisation de la préparation des athlètes olympiques et paralympiques. Cela a bénéficié à un grand nombre d’unités de recherche, d’acteurs, d’universités, au profit des athlètes, des fédérations, des équipes des athlètes, avec une orientation claire de recherche appliquée et avec pour objectif premier de booster les performances dans l’optique des qualifications aux épreuves et ensuite de participation à ces épreuves ! Et désormais, nous en espérons des résultats concrets. 

Il y a eu un investissement considérable. Nous en évaluerons les résultats d’ici deux mois quand on aura le bilan des Jeux Olympiques et Paralympiques, dont on espère qu’il se traduira par une augmentation du nombre de médailles. Nous n’oublions pas cependant que le contexte n’est pas seulement sportif ou scientifique, mais également géopolitique, ce dernier a inévitablement une influence sur le déroulement des épreuves. 

Le projet Paraperf 

De très nombreux secteurs ont été impliqués. Dans le domaine paralympique, avec le projet « Paraperf », ont ainsi été mêlées les sciences statistiques et épidémiologiques, mais aussi des disciplines ultra techniques autour, par exemple, de l’optimisation des fauteuils pour tous les sports en fauteuil. Concernant la recherche dédiée aux sports paralympiques, les objectifs sont chaque fois différents, en fonction des contraintes, et cela nécessite de comprendre d’une part ces contraintes mais aussi les capacités techniques de modification des différents matériels et les interactions entre la biomécanique humaine dans un contexte de handicap particulier et la mécanique physique des contraintes sur des matériaux comme l’aluminium ou le carbone qui constitue les fauteuils. Les sciences humaines ont été également largement convoquées, puisqu’une importante part de ce projet est dédiée à la compréhension des situations favorisant le succès, en prenant notamment en compte le rôle des aidants. Dans ce cadre, un certain nombre de réflexions juridiques étaient aussi en jeu. Tout cela avec comme objectif de comprendre et de préparer au mieux les athlètes paralympiques. 

Jim.fr - Vous aviez écrit il y a quelques années un essai consacré à l’évolution des performances, qui montrait comment les records stagnent désormais dans de nombreuses disciplines. L’apport de la science peut-il changer la donne ? 

Pr Jean-François Toussaint - Le constat reste le même. Bien sûr, les meilleurs dans certaines disciplines continuent à dépasser certains records. Par exemple la jeune sauteuse en hauteur ukrainienne, Yaroslava Mahuchikh vient de battre un record vieux de 37 ans. Mais elle ne le dépasse que d’un centimètre. Sa marge est extrêmement étroite. Nous pouvons espérer que ce petit centimètre en 37 ans représente un espoir de le voir encore augmenter, mais quand on regarde l'évolution sur 40 ans de ce record et d'un grand nombre d'autres, il apparaît que l’on n'est plus du tout dans la même configuration physiologique de celles et ceux qui concourraient dans les années 60-70, pendant lesquelles les records étaient battus chaque année d'un ou deux centimètres. 

Le temps des records sans cesse battus est révolu 

De la même manière, en saut à la perche, Armand Duplantis a gagné une élévation de quelques centimètres depuis le record de Bubka en 94, il y a tout de même 30 ans et cette progression est dix fois moins importante que celle qui avait cours dans les années 70. Ainsi, la constatation concernant les plafonds reste la même. 

Cependant, parallèlement, des innovations technologiques peuvent contribuer à façonner de nouveaux records. C’est notamment le cas en athlétisme, pas sur les distances les plus courtes, mais par exemple sur les épreuves de 400 mètres ou sur les distances longues, tel le marathon. Ici, ce sont essentiellement les lames de carbone insérées dans la semelle des chaussures qui offrent une restitution énergétique bien meilleure et qui donc facilitent certaines performances. Ainsi, le marathon devrait-il passer sous les deux heures prochainement. Tout cela cependant ne change rien à l'évolution physiologique. Il s’agit seulement de considérations techniques qui ressemblent à celles qui ont prévalu en natation, avec les nouvelles combinaisons, il y a 15 ans. 

JIM.fr – Pensez-vous que ces Olympiades seront marquantes en ce qui concerne la lutte contre le dopage ? 

Pr Jean-François Toussaint : Cela est très difficile à anticiper. En effet, d’une part, nous bénéficions d’une lutte de plus en plus précise contre le dopage, mais d’autre part, le contexte géopolitique s’en affranchit de plus en plus. Nous sommes donc face à ces deux forces contraires. Le paradoxe se résout avec de temps en temps des bouffées de records ou de performances atypiques, qui ne peuvent pas être expliquées par la technique ou par des améliorations physiologiques. On voit par exemple augmenter très régulièrement depuis quelques années les meilleures performances mondiales en lancer du poids, alors que dans ce domaine les progressions techniques possibles sont assez restreintes. 

Dopage : le passeport hématologique plus prometteur que l’IA (pour le moment) 

Les contrôles anti-dopage, cependant, se sont améliorés, notamment parce que l’on perçoit mieux désormais à la fois le type de molécules utilisées, mais surtout la capacité des athlètes à passer en dessous des seuils de détection, c'est-à-dire de multiplier les molécules. Ainsi, il existe face à cette stratégie un autre niveau de contrôle qui est celui du suivi des paramètres personnels, ce qu'on appelle le passeport hématologique. Il s’agit de comparer les indicateurs retrouvés chez un individu. 

Cependant, parallèlement, les stratégies des athlètes qui se dopent peuvent également s’affiner, avec par exemple le choix de faire des « no show » pour masquer une prise, etc. Nous sommes encore et toujours dans la même course des voleurs et des gendarmes, une course à l'armement qui pousse des deux côtés vers une complexification des protocoles. 

JIM.fr - Est-ce que l'intelligence artificielle peut aider à améliorer la lutte contre le dopage, peut permettre d'aller plus vite que les voleurs ? 

Pr Jean-François Toussaint - Comme partout ailleurs, en effet, nous voyons proposer la contribution de l’IA. C'est un outil extraordinairement puissant, énergivore, qui n'a pas encore fait la preuve de son intérêt concret dans ce domaine. L’intelligence artificielle peut nous aider à repérer les signaux étranges. Mais la preuve de la présence du produit dans l’organisme devra toujours être apportée. L’intelligence artificielle est un outil de recherche, un outil qui est utilisé dans les agences mondiales, mais dont on n'est pas encore certain, comme dans beaucoup de domaines, qu'il puisse apporter avec certitude une augmentation et donc une optimisation des capacités de détection.

JIM.fr - Pensez-vous que les efforts engagés en ce qui concerne la recherche dédiée à la préparation des sportifs va avoir des effets durables ? Au-delà quels pourraient être selon vous les impacts des JO sur la pratique sportive des Français ? 

Pr Jean-François Toussaint - Il s’agit d’immenses questions. Regardons les expériences passées dans des pays comparables qui ont eux aussi énormément investi (je pense à la Grande-Bretagne). Concernant les performances de leurs athlètes, on constate que les effets de ces importants investissements ont perduré. Nous pouvons l’observer en termes de nombre de médailles lors des deux Olympiades qui ont suivi et ce en particulier dans le domaine paralympique. D'une façon incontestable, une différence certaine concernant les performances de leurs athlètes s’observe avant et après les programmes qu’ils ont déployés. Nous ne pouvons qu’espérer la même chose en France. 

Les JO insuffisants pour transformer la France en une nation plus active

Par contre, en ce qui concerne les répercussions en santé publique, la transformation de la société en une nation plus active, les résultats sont bien plus décevants. Londres 2012 n’a pas fait évoluer le mode de vie des Britanniques. Dans les semaines qui suivent les grandes manifestations sportives et des résultats nationaux exceptionnels, on constate souvent une augmentation du nombre de licences dans les fédérations sportives concernées. Mais ces effets ne sont jamais très puissants, ils ne perdurent pas. Il faut probablement plus certainement jouer sur l’environnement général, le contexte global d’une société. Une volonté politique exceptionnelle est nécessaire, mais les perturbations du moment ne semblent pas faire de ces questions la priorité. 

Propos recueillis par Aurélie Haroche 

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