Paris – Après son adoption en commission, le projet de loi légalisant le suicide assisté et l’euthanasie arrive dans l’hémicycle le 27 mai et devrait donner lieu à des débats houleux.
Ce devrait être un des grands moments parlementaires du second mandat d’Emmanuel Macron. A compter de ce lundi, les députés examineront en séance publique l’une des réformes sociétales les plus importantes de ces dernières années, le projet de loi sur la fin de vie légalisant le suicide assisté et l’euthanasie, pudiquement appelé « aide à mourir » dans le texte. Adopté en commission le 18 mai dernier, le texte arrive dans l’hémicycle pour un peu plus de deux semaines de débat, qui devraient s’achever par un vote solennel programmé pour le 11 juin prochain.
En commission, le texte a été fortement remanié, sous l’impulsion de députés de la majorité alliés à leurs collègues de gauche, pour élargir l’accès à l’aide à mourir. En premier lieu, les députés ont supprimé le critère du « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » pour bénéficier de l’aide à mourir, inscrit dans le projet de loi initial, qu’ils ont jugé trop flou (bien que la Haute Autorité de Santé ait été saisie pour expliciter ce terme). A la place, ils ont inscrit dans le texte le critère tout aussi nébuleux de maladie « en phase avancée ou terminale ». Une modification du texte qui a été faite contre la volonté de la présidente de la commission spéciale Agnès Firmin Le Bodo qui, lorsqu’elle était ministre déléguée à la Santé, a participé à l’élaboration du projet de loi initial. « On n’est plus du tout dans la même loi, ce n’est pas l’équilibre de la loi qui a été souhaitée » regrette la députée Horizons.
Doit-on pouvoir demander à mourir par directives anticipées ?
Autre modification d’importance du texte, les députés ont voté pour que le patient qui souhaite mourir ait pleinement le choix entre le suicide assisté et l’euthanasie, alors que le projet de loi prévoyait que le patient ne serait euthanasié que s’il n’était plus capable de se donner lui-même la mort. Une solution plus respectueuse de la liberté du patient expliquent les parlementaires qui ont voté l’amendement, ce à quoi leurs détracteurs répondent qu’une telle solution risque de braquer les professionnels de santé, qui pour la plupart ne souhaitent pas donner volontairement la mort aux patients.
Enfin, la commission a également adopté un amendement qui prévoit qu’un patient pourra, dans ses directives anticipées, demander à bénéficier de l’aide à mourir dans le cas où il souffrirait plus tard d’une maladie neuro-dégénérative. Cet amendement pourrait ouvrir la porte à l’euthanasie des personnes souffrant par exemple d’une maladie d’Alzheimer et qui ne peuvent pourtant pas donner pleinement leur consentement. Le texte contient ici une contradiction, que les députés seront bien obligés de résoudre, puisque le fait d’ « être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée » fait toujours partie des critères listés par l’article 5 du projet de loi pour pouvoir bénéficier de l’aide à mourir.
Ces modifications du texte ont été faites pour la plupart contre l’avis de l’exécutif. « L’équilibre du texte a été rompu par rapport à ce qui avait été proposé par le gouvernement » regrettait ce samedi le ministre délégué à la Santé Frédéric Valletoux. Des amendements ont d’ores et déjà été déposés pour rétablir la version originale du texte et la ministre de la Santé Catherine Vautrin s’efforce de mobiliser des députés pour les faire voter.
Un débat qui traverse les clivages politiques traditionnels
L’issue finale du vote et la version définitive du texte sont d’autant plus difficiles à prévoir que l’ensemble des partis politiques ont laissé la liberté de vote à leurs députés. Si globalement on retrouve les partisans de l’aide à mourir à gauche et ses détracteurs à droite, les exceptions sont pléthores. Le député RN Thomas Ménagé souhaite ainsi voter le texte contre l’avis de Marine Le Pen tandis que le député LR Maxime Minot, qui s’était déjà opposé à son parti sur la question de la PMA, milite également en faveur de l’aide à mourir. A l’inverse, à gauche, le socialiste Dominique Potier, catholique pratiquant, est farouchement opposé à la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie, tout comme son collègue communiste Pierre Dharéville. L’ancien journaliste à l’Humanité ne cache pas son « incompréhension totale » face à la position de ses collègues de gauche.
Signe des divisions profondes de la classe politique sur ce sujet, parfois au sein du même camp, plusieurs députés de la majorité ont voté en faveur d’un amendement LFI prévoyant la création d’un délit d’ « entrave à l’aide à mourir »…alors que la députée Renaissance Annie Vidal souhaite à l’inverse la création d’un délit d’ « incitation à l’aide à mourir ». « Sans ça, je ne voterai pas pour le texte car je considère que les personnes vulnérables ne sont pas protégées de pressions extérieures » explique l’élue.
Hors du Palais Bourbon, le débat continue également dans la société civile, où ce sont essentiellement les opposants à l’aide à mourir, pourtant minoritaires si l’on en croit les sondages, qui font entendre leurs voix. Des opposants au texte qui ont trouvé un nouveau porte-parole, en la personne du Dr François Braun. L’éphémère ministre de la Santé (entre juillet 2022 et juillet 2023) ne cache pas, dans une interview accordée au Parisien ce dimanche, ses fortes réticences face à ce projet de loi, surtout depuis qu’il a été amendé en commission. « Dans le texte tel qu’il est aujourd’hui, il y a beaucoup de choses inacceptables » tonne l’ancien ministre, qui, en tant que médecin, estime que les professionnels de santé peuvent accompagner le patient vers la mort mais pas la lui donner. « Si l’on va vers le suicide assisté, cela ne doit pas être un acte médical » estime l’urgentiste.