Paris, le samedi 21 janvier 2023 - Créé en septembre dernier sur Facebook, le collectif Médecins pour demain est à l’origine d’un mouvement de colère inédit au sein de la médecine de ville. Initiateur d’une grève de deux semaines, le groupe, qui revendique 17 000 adhérents, demande notamment la hausse du tarif de la consultation à 50 euros. Le Dr Noelle Cariclet, psychiatre et porte-parole de Médecins pour demain, a répondu aux questions du JIM sur le mouvement et ses revendications.
Jim.fr : Pourquoi avoir créé ce collectif ? Pensez-vous que les syndicats ne sont pas assez réactifs ? Pensez-vous créer un syndicat à la suite de votre mouvement et participer aux élections ?
Dr Noelle Cariclet : Le collectif s’est créé à l’appel du Dr Christelle Audigier face à l’inquiétude grandissante des médecins, exprimée sur les réseaux sociaux, quant à la dégradation du système de santé. Ce constat émanait des quatre coins de la France et a rapidement abouti à des propositions pour améliorer l’accès aux soins. Il nous est rapidement devenu nécessaire de nous unir sous forme de collectif pour défendre ces préconisations face aux propositions de lois coercitives qui sont pour nous des fausses solutions.
On voit bien que les syndicats font tout leur possible mais que malgré leurs implications, ils obtiennent peu de résultats. Il y a beaucoup de syndicats et il est parfois difficile de savoir auquel adhérer. L’heure n’était plus à adhérer à un syndicat mais à agir. Certains syndicats nous ont d’ailleurs rapidement soutenu. Il n’est pas du tout question pour le moment de fonder une nouvelle organisation de ce type, nous avons beaucoup de travail pour faire entendre nos propositions dans les négociations conventionnelles et bloquer les propositions de loi en cours.
« L’attractivité est le maître mot »
Rappelons que nous sommes toujours en grève, même si cela ne se manifeste plus par une fermeture des cabinets. Nous sommes désormais en activité limitée, avec un temps de présence en cabinet moindre. Il y a aussi la grève de la permanence des soins, nous allons aussi appeler à la démission des CPTS et nous discutons d’éventuelles nouvelles opérations de fermeture des cabinets. Par ailleurs, nous participons aux négociations conventionnelles grâce à l’invitation de l’UFML et de la FMF.
Jim.fr : Quel est le bilan de la grève en termes de participation ?
Dr Cariclet : La participation est difficile à connaitre. Les médecins libéraux ne sont pas soumis à une déclaration de grève. D’après nos sondages, entre 50 et 80 % de nos adhérents ont participé à la grève selon les départements. Mais clairement, on n’en sait rien. Chacun a pu participer comme il a pu : certains ont fait la grève totale, d’autres ont simplement réduit leur activité. Ce que l’on sait, c’est que notre collectif ne cesse de grandir et représente désormais 17 000 médecins, soit 20% des médecins libéraux toutes spécialités confondues.
Jim.fr : Que répondez-vous à tous ceux (Thomas Fatôme, François Braun mais également certains syndicats de médecins) qui estiment déraisonnable de faire passer le tarif de la consultation 50 euros ?
Dr Cariclet : Le système de santé français, qui était l’un des meilleurs du monde, s’est fortement détérioré. La France a fait des choix politiques visant à ne plus rémunérer les soignants, hospitaliers ou de ville : la CARMF indique que le revenu des médecins n’a pas augmenté ces 20 dernières années (à euros constant) malgré l’augmentation des charges. Il est de plus en plus difficile pour un médecin libéral de se projeter en termes d’investissement, que ce soit pour le matériel ou les locaux. Cela engendre une faible attractivité de la profession et favorise les déserts médicaux.
Le budget de la santé est trop orienté vers les administratifs de santé au lieu de se faire vers les acteurs de soin. Il serait plus judicieux d’utiliser ce budget pour augmenter le tarif des consultations pour inciter les médecins à s’installer. Il y a assez de médecins, mais il faut leur redonner l’envie de travailler en ville. L’attractivité est le maître mot.
Jim. fr : Comment financer cette proposition phare ? Pourquoi demandez-vous la suppression des forfaits ROSP et structure ? A combien évaluez-vous l’économie potentielle pour la Cnam ?
Dr Cariclet : Pour financer la hausse du C, il est nécessaire d’arrêter de rémunérer les médecins au forfait, forfaits qui représentent jusqu’à 20 % de leur revenu. Les praticiens n’en veulent plus parce qu’ils sont coercitifs, ils ne veulent plus de ce salariat déguisé. Les médecins libéraux aspirent à redevenir véritablement des libéraux. Ces forfaits sont trop aléatoires : les médecins ne sont rémunérés que si les objectifs, qui ne sont pas totalement dépendant d’eux, sont atteints. Le praticien n’est plus libre de faire ce qu’il pense nécessaire pour son patient. De plus, ces forfaits n’ont pas démontré leur plus-value pour la qualité des soins. Par contre en ne donnant pas de visibilité quant a la réelle rémunération de leur activité, ils découragent nos jeunes de s’installer. Les médecins n’en ont pas besoin pour faire de la médecine de qualité.
L’autre mesure de financement est d’arrêter de subventionner les structures de coordination de soins, qui sont très couteuses alors que les médecins n’en ont pas besoin pour se coordonner. C’est une fausse bonne idée de subventionner ces organismes, alors même que ce sont les acteurs de santé médicaux et paramédicaux qui ont besoin de moyens.
Jim.fr : Ne pensez-vous pas que le doublement du tarif de la consultation risque de rendre plus difficile l’accès aux soins ?
Dr Cariclet : La hausse du tarif de la consultation restera toujours dans un cadre conventionné. Les patients seront toujours remboursés par l’Assurance Maladie et leurs mutuelles. En revanche, en cas d’absence de revalorisation, certains médecins vont abandonner la médecine de ville ou, voyant que leurs revenus sont insuffisants pour faire vivre leurs cabinets, se déconventionner et ne seront donc accessibles qu’aux patients les plus aisés. C’est ici que réside le risque pour l’accès aux soins. Cette hausse du tarif de la consultation vise donc à protéger les patients du risque d’une médecine a deux vitesses.
Jim. fr : Comment comptez-vous organiser sur le plan légal la facturation (et le remboursement) des rendez-vous non honorés ?
Dr Cariclet :. Nous avons dénoncé le fait que des millions de rendez-vous sont non honorés, l’équivalent de l’activité de 4 000 médecins.
La quatrième année d’internat va « décourager les jeunes de choisir la médecine générale »
Des discussions sont en cours actuellement avec la CNAM, mais la solution idéale pour résoudre le problème n’a pas encore été trouvée. Il faut agir, ces rendez-vous non honorés constituent une vraie perte de chance pour l’accès aux soins.
Jim.fr : Que préconisez-vous pour lutter contre la désertification médicale ? Que pensez-vous de la possibilité d’envoyer les internes de médecine générale en zone sous-dense ?
Dr Cariclet : C’est toujours le même problème : tant que l’on n’aura pas amélioré l’attractivité de la médecine libérale, les jeunes ne s’installeront pas. Aujourd’hui, seuls 10 % des jeunes médecins s’installent à la fin de leurs études.
Le collectif a proposé plusieurs mesures pour lutter contre la désertification médicale, notamment permettre à des médecins libéraux de se déplacer ponctuellement dans les zones moins dotées, pour réaliser des consultations avancées, sur la base du volontariat, peut être avec une enveloppe incitative. Pour cela, il faudrait pouvoir autoriser ces médecins qui se rendent dans les déserts médicaux à se faire remplacer pendant leur absence, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Sans cette possibilité, on ne ferait que déshabiller Pierre pour habiller Paul. Rappelons qu’actuellement, 87 % du territoire est en situation de désert médical.
S'agissant de la quatrième année d'internat de médecine générale en zone sous-dense, nous y sommes opposés. Qui dit désert médical dit absence de maître de stage pour encadrer l’interne et absence de plateau technique. C’est une manière de décourager encore plus les jeunes de choisir la médecine générale, eux qui ne veulent pas être contraints de partir un an dans un désert alors qu’ils ont déjà fait 9 ans d’étude. Ce n’est pas envisageable, à part pousser les jeunes vers le salariat et à ne pas s’installer je ne vois pas à quoi cela sert.
Jim.fr : Quel regard portez-vous sur la permanence des soins ?
Dr Cariclet : La permanence des soins couvre déjà 96 % du territoire alors qu’elle ne se fait que sur la base du volontariat. Malgré 55heurs de travail hebdomadaire en moyenne et une absence de repos de garde, les généralistes répondent présent et continuent à s’investir pour la population. On en revient toujours au même problème : les consultations de PDSA, qui coutent très cher à la collectivité, sont très souvent dues au manque de rendez-vous disponibles en journée. Encore une fois, il est nécessaire d’augmenter le nombre de médecins installés.
Jim.fr : Comment réagissez-vous aux propos du Président de la République sur la médecine de ville qui ont été fraichement accueillis par les syndicats ?
Dr Cariclet : Les vœux du chef de l’Etat ont consterné la profession. Non seulement il a montré qu’il ne nous avait pas écouté (ce n’est pas faute d’avoir essayé de rencontrer François Braun à qui nous avons parlé à peine 5 minutes le jour de la manifestation à Paris), mais en plus, il a eu des propos extrêmement durs envers les médecins libéraux. Beaucoup se sont sentis méprisés, insultés. Ils attendaient beaucoup de lui pour voir le bout du tunnel. Il n’a rien dit aux médecins qui sont en souffrance, en burn-out, qui présentent un taux de suicide 2,6 fois supérieur au reste de la population.
« Nous refusons l’accès direct pour les IPA »
Les propositions qu’il a avancées vont totalement à l’encontre de celles des médecins libéraux pour améliorer l’accès aux soins. Au lieu de renforcer l’attractivité des médecins, il n’a parlé que de coordination, de coercition, de délégation de taches, d’encore plus de pouvoir administratif. Le point culminant a été la notion de « donnant-donnant ». Le Président de la République a sous-entendu que des médecins qui travaillent énormément et qui alertent depuis 20 ans sur la dégradation du système de santé doivent, pour être revalorisés, travailler encore plus. On tire sur l’ambulance.
On comprend bien qu’Emmanuel Macron n’est pas responsable des décisions antérieures qui ont dégradé le système de santé, mais on espérait qu’il serait celui qui allait changer les choses. En choisissant d’encourager un fonctionnement qui a déjà fait beaucoup de dégâts, il a fait le choix de ne rien changer et c’est très décourageant pour nous.
Jim.fr : Que pensez-vous de la délégation de tâches et de l’accès direct aux IPA (proposition de loi Rist) ?
Dr Cariclet : Nous combattons cette loi. Nous refusons l’accès direct et le droit à la primo-prescription pour les professions paramédicales. Le métier d’IPA a une réelle plus-value, mais dans un contexte déterminé, notamment à l’hôpital ou sous la supervision d’un médecin libéral qui le souhaite. C’est au médecin de choisir les tâches qu’il délègue à l’IPA. Le problème survient quand la coercition s’installe, quand on oblige le médecin à déléguer ses tâches sous peine de ne pas être rémunéré. Aujourd’hui, dans les CPTS, le critère de l’IPA est optionnel pour toucher le forfait, mais on sait bien qu’il deviendra obligatoire. Le partenariat doit être choisi, pour le bien être du médecin et de l’IPA.
Avec la loi Rist, on va encore plus loin que la délégation de tâches, on est dans l’accès direct. Sous prétexte d’un manque de médecins, on va conférer des compétences médicales à des paramédicaux. Ce n’est pas possible, seul un médecin peut remplacer un médecin. Il y a une incohérence : dans le même temps on rallonge les études des généralistes et on autorise un infirmier, qui n’a pas fait d’études de médecine, à remplir la mission d’un médecin. On nous dit que l’IPA n’interviendra que dans les pathologies bénignes mais en réalité toutes les maladies doivent être prises en charge en premier lieu par un médecin, même celles qui paraissent bénignes. Le médecin a mis 10 ans à apprendre à déterminer ce qui est réellement bénin. Contourner le médecin, c’est une perte de chance pour le patient et cela peut entraîner des conséquences dramatiques.
Jim.fr : Globalement souhaitez-vous une orientation vers une médecine plus libérale moins dépendante de la Cnam ?
Dr Cariclet : C’est exactement cela. Nous souhaitons un retour à la vraie médecine libérale, être moins dépendant de la CNAM, afin de retrouver le sens de notre profession, être plus proche de nos patients et voir reconnu à leurs justes valeurs nos compétences et notre dévouement qui n’a jamais failli malgré les crises.