De nos jours, une femme sur cinq et un homme sur dix développent une démence liée à une maladie d’Alzheimer (MA), la majorité étant décelée en soins primaires devant la présence de troubles cognitifs. Malgré l’apport diagnostique de la tomographie avec émission de positons (TEP) et le dosage de biomarqueurs dans le liquide céphalo rachidien (LCR), 25 à 35 % des MA symptomatiques resteraient encore méconnues, car, en pratique, l’absence d’accessibilité aux méthodes diagnostiques récentes demeure un obstacle pour le diagnostic étiologique des troubles cognitifs et la mise en route éventuelle de nouveaux traitements d’immunothérapie anti-amyloïde.
La protéine tau 217 phosphorylée
Le dosage plasmatique de la protéine tau 217 phosphorylée (p-tau 217) est fortement corrélé au diagnostic de MA. Un test sanguin basé sur le rapport p-tau 217 sur non p-tau 217, exprimé en pourcentage de p-tau 217, pourrait se révéler utile, améliorant la précision diagnostique lorsqu’il est combiné avec la détermination du rapport plasmatique β42 amyloïde sur β40 amyloïde (Aβ42 : Aβ40). Toutefois, il est indispensable de valider ces dosages, notamment en soins primaires.
Un travail a été mené, après définition de seuils prédictifs, pour préciser l’intérêt : (i) de la détermination du pourcentage de p-tau 217 dans le plasma uniquement, et (ii) de sa combinaison avec le calcul du rapport Aβ42 : Aβ40 appelé score 2 de probabilité amyloïde (APS2), pour le diagnostic de la MA, notamment devant des symptômes cognitifs en soins primaires.
Les 1 213 participants à cette étude étaient issus de 2 cohortes prospectives de patients présentant des troubles cognitifs, résidant dans le sud de la Suède, de soins primaires et secondaires, un seul échantillon de sang ayant été prélevé par participant.
Les médecins de soins primaires et les spécialistes de la démence ont documenté s'ils pensaient que leurs patients souffraient d'une MA en s’appuyant sur l'évaluation standard (examen clinique, tests cognitifs et tomodensitométrie) avant de voir les résultats des biomarqueurs de MA. Le résultat principal retenu étant le diagnostic de MA, selon les critères 2018 de la Nationale Institute on Aging and Alzheimer‘s Association comme une positivité à l'Aβ et à la protéine tau, soit, selon les seuils pré définis dans le LCR : p-tau 217>11,42 pg/mL et/ou un rapport Aβ42 ≤ 0,072. Une lecture visuelle positive du PET scan au [18F] flutemetamol pour l'Aβ a été utilisée pour définir la présence d'une MA dans les cohortes de soins primaires pour les participants chez qui la ponction lombaire n'a pas pu être réalisée.
Les dosages plasmatiques (Aβ42, Aβ40, p-tau 217 et non p-tau 217) furent effectués par spectrométrie de masse. Les valeurs seuils des biomarqueurs sanguins ont été établies dans une cohorte indépendante pour viser à une spécificité de 90 % en prenant en compte un seul seuil, ou à une sensibilité de 95 % et une spécificité de 95 % en cas de recours à 2 valeurs seuils, une supérieure et une inférieure. Le travail s’attacha à déterminer la valeur diagnostique, la valeur prédictive positive (VPP) et négative (VPN) de chaque dosage.
Une bonne précision diagnostique en soins primaires et secondaires
La cohorte d’étude inclut 1 213 patients, 515 en soins primaires et 698 en soins secondaires, qui présentaient tous des troubles cognitifs. L’âge moyen se situait à 74,2 (SD : 8,3) ans, 48 % étaient des femmes. Ils furent classés en 3 groupes : déclin cognitif subjectif, déclin cognitif léger (44 %) ou authentique démence (33 %). Dans la cohorte de soins secondaires, la démence était plus fréquente (36,5 % versus 28 %) mais il ne fut décelé aucune différence de prévalence de la MA : 49,9 % en soins primaires et 49,7 % en soins secondaires.
Les valeurs seuils des biomarqueurs après avoir été établies dans une cohorte indépendante ont été appliquées à une cohorte de soins primaires (n = 307) et à une cohorte de soins secondaires (n = 300). Lorsque les échantillons de plasma ont été analysés en une seule fois dans la cohorte de soins primaires, l'aire sous la courbe (ASC) était de 0,97 [IC à 95 %, 0,95-0,99] lorsque l'APS2 était utilisé, la VPP était de 91 % [87-96], et la VPN était de 92 % [87-96] ; dans la cohorte de soins secondaires, l'ASC était de 0,96 [0,94-0,98] lorsque l'APS2 était utilisé, la VPP était de 88 % [83-93] et la VPN était de 87 % [82-93].
Le test sanguin a ensuite été évalué de manière prospective (toutes les deux semaines) dans la cohorte de soins primaires (n = 208) et dans la cohorte de soins secondaires (n = 398). Dans la cohorte de soins primaires, l'ASC était de 0,96 [0,94-0,98] lorsque l'APS2 était utilisé, la VPP était de 88 % [81-94] et la VPN était de 90 % [84-96] ; dans la cohorte de soins secondaires, l'ASC était de 0,97 [0,95-0,98] lorsque l'APS2 était utilisée, la VPP était de 91 % [87-95] et la VPN était de 91 % [87-95].
Des biomarqueurs utiles, en association aux autres données
Ainsi, la précision diagnostique des dosages plasmatiques des biomarqueurs de la MA a été très élevée, comprise entre 88 et 92 %. L’identification diagnostique de MA, par les médecins en soins primaires, est passée de 61 % [53-61] par examen clinique, tests cognitifs et tomodensitométrie à 91 % [88-95] avec la mesure de la APS2. En soins secondaires, la précision fournie par des neurologues spécialisés s’améliora de 73 % [68-79] à 91 % [88-95]. Toutefois, dans les 2 cohortes, on ne put déceler de différences entre l’utilisation de l’APS2, avec une validation dans 90 % [88-92] des cas, ou du pourcentage du seul p-tau 217, validation également dans 90 % des observations [88-61].
Ce travail démontre, après définition de seuils, que la mesure du pourcentage de p-tau 217, couplé au calcul du rapport A β42 : Aβ40, appelé APS2, a une haute valeur diagnostique, une VPP et une VPN fortes, dans la prise en charge primaire et secondaire de la MA. Malgré de notables différences, démographiques et cliniques entre les sous-groupes, le dosage des biomarqueurs plasmatiques de la MA s’est avéré, dans tous les cas, très performant, en comparaison avec les méthodes habituellement utilisées pour diagnostiquer une MA. Ces dosages auraient aussi l’avantage d’identifier plus aisément les candidats potentiels à la mise en route d’une immunothérapie anti-amyloïde.
En soins secondaires, ils semblent plus aisés à mettre en œuvre, plus rentables et acceptables par le patient, et seraient susceptibles de remplacer les dosages dans le LCR et la pratique d’une TEP. On se doit toutefois de rappeler que ces biomarqueurs sanguins ne peuvent, à eux seuls être la base du diagnostic de MA et doivent toujours être interprétés en fonction des données cliniques, d’autant que la MA peut rester asymptomatique durant de nombreuses années.
Les limites de ce travail tiennent à l’absence de validation dans des populations plus nombreuses, d’origine géographique plus variée, issues notamment de pays avec faible prévalence de positivité amyloïde en soins primaires. Il sera nécessaire d’évaluer des dosages par simple immuno-essai, la spectrométrie de masse ayant des coûts élevés et nécessitant une grande expérience technique. Enfin, on devra probablement privilégier le pourcentage p-tau 217 sur non p-tau car le seul dosage pourrait être perturbé dans certaines conditions pathologiques, telles une néphropathie chronique.
En conclusion, l’ASP2 et le seul pourcentage de p-tau sur non p-tau 217 ont une haute valeur diagnostique pour identifier une MA chez des individus présentant, en soins primaires, des symptômes déficitaires cognitifs. Des études restent à venir pour préciser de quelle manière l’utilisation de ces biomarqueurs sanguins influencera la prise en charge clinique des démences.
References
Palmqvist S, Tideman P, Mattsson-Carlgren N, et al. Blood Biomarkers to Detect Alzheimer Disease in Primary Care and Secondary Care. JAMA. 2024 Jul 28:e2413855. doi: 10.1001/jama.2024.13855.