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Mercure dans le thon : la réglementation européenne est-elle trop laxiste ?

Paris – S’appuyant sur des analyses réalisées sur des boites de thon en conserve, l’association Bloom dénonce le « scandale sanitaire » de l’exposition de la population au mercure et critique une réglementation trop laxiste.

Présent en grande quantité dans nos océans, le méthylmercure, un dérivé du mercure, est considérée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme l’une des dix substances chimiques les plus préoccupantes pour la santé publique mondiale. La principale source d’exposition au méthylmercure pour l’homme est la consommation de poissons, notamment de thon.

Une exposition trop forte au méthylmercure peut occasionner, chez les enfants à naitre et les jeunes enfants, des troubles du neurodéveloppement. Chez les adultes, elle peut induire des troubles cardiovasculaires, immunitaire ou cognitifs (c’est ainsi que l’homme politique américain Robert Kennedy Jr, a reconnu en mai dernier avoir présenté des troubles cognitifs en raison, selon lui, d’une consommation excessive de sandwichs au thon).

Dans notre pays, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) estime que « le risque lié à l’exposition au méthylmercure ne constitue en général pas un problème majeur de santé publique en France hexagonale ». L’association de défense des océans Bloom n’est pas de cet avis. Au terme d’une enquête de 18 mois publiée ce mardi, elle dénonce ce qui serait selon elle un « scandale de santé publique d’une ampleur inédite ». 

Pourquoi des taux de mercure autorisés différents selon les poissons

Au cours de cette enquête, l’association a notamment fait analyser la quantité de mercure dans 148 boites de thon en conserve vendues en grande surface. L’intégralité des boites contenaient du mercure (90 % de ce mercure était du méthylmercure) dont 10 % une dose supérieure à la norme sanitaire fixée par l’Union Européenne, à savoir 1 mg/kg de thon (3,9 mg/kg pour l’une des boites). 

Ces conserves ne sont pourtant pas nécessairement non conformes à la consommation. En effet, en vertu d’un règlement européen de 2015, c’est avant la mise en boite que doit être mesurée la teneur en mercure. Or, la mise en conserve augmente la concentration en mercure. En théorie, un thon en conserve présentant 2,7 mg/kg de mercure pouvait avoir un taux inférieur à 1 mg/kg avant sa mise en boite. « Une vraie entourloupe, puisque le thon en boîte est consommé tel quel » explique Julie Guterman.

En tout état de cause, l’association Bloom estime que ce seuil de 1 mg/kg de mercure est bien trop laxiste. Elle rappelle que ce taux élevé ne concerne que le thon, l’espadon et le requin : le taux maximal de mercure autorisé est en effet de 0,3 mg/kg pour les cabillauds, sardines et anchois et de 0,5 mg/kg pour les autres produits de la mer.

« Aucune raison sanitaire ne justifie cet écart : le mercure n’est pas moins toxique s’il est ingéré via du thon » estime l’association. A cet égard, plus de la moitié (57 %) des boites de thon en conserve analysés par l’association Bloom dépassent ce seuil minimal de 0,3 mg/kg.

Le lobby thonier a-t-il influencé l’établissement des normes sanitaires ?

Pour l’association, cette dérogation accordée au thon, le poisson le plus consommé en Europe, s’explique uniquement par l’influence du lobby thonier. Les militants écologistes se sont notamment appuyés sur les délibérations des différents comités d’experts internationaux qui ont été amenés à fixer ces normes sanitaires ces dernières décennies.

L’association Bloom dit avoir mis à jour de nombreux conflits d’intérêts parmi les experts chargé d’établir ces normes. Selon elle, en fixant ces normes, ces instances avaient pour seul but de permettre qu’au moins 95 % de la production de thon puisse continuer à être commercialisée. « Les pouvoirs publics ont décidé de protéger les ventes de thon, au détriment de notre santé » dénonce Julie Guterman.

Une étude de 2021 de Santé Publique France (SPF), basée sur des échantillons réalisés entre 2014 et 2016, avait permis d’estimer l’exposition au mercure et le risque pour la santé de la population française. Quasiment 100 % des prélèvement capillaires et plus de 95 % des prélèvements d’urine présentaient des traces de mercure.

Cependant, SPF estimait, en se basant sur ces échantillons, que seul 0,8 % des adultes, 2,1 % des femmes en âges de procréer et 2,4 % des enfants de plus de 6 ans présentaient un taux de mercure correspondant à un risque sanitaire. Mais pour l’association Bloom, en appliquant les seuils retenus par les autorités sanitaires américaines, le pourcentage de sujets à risque monte à 27,4 % pour les adultes et 7,6 % pour les enfants.

L’association Bloom critique enfin le manque de cohérence des recommandations alimentaires, au vu du risque présenté par la consommation de thon. L’Anses estimait il y a encore peu qu’un enfant de moins de 30 mois pouvait consommer jusqu’à 60 grammes de thon par semaine et une femme enceinte ou allaitante 150 grammes.

Mais selon l’association Bloom, au vu de la teneur en mercure qu’elle a relevé dans les boites de thon, une telle consommation conduirait la plupart des enfants et des mères à dépasser les taux limites d’exposition fixés par l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).

Depuis jeudi dernier, l’Anses a supprimé tous les repères chiffrés concernant la consommation de thon (à la suite de la médiatisation de cette étude ?). Cependant « au regard des bénéfices nutritionnels liés à la consommation de poissons », l’agence continue de recommander de consommer du poisson au moins deux fois par semaine.

S’agissant de l’exposition au mercure, l’Anses se contente de recommander aux femmes enceintes et allaitantes et aux enfants de moins de trois ans de « limiter la consommation de poissons prédateurs sauvages, susceptibles d'être fortement contaminés » dont le thon. 

Le débat chez les nutritionnistes, les obstétriciens et les pédiatres n’est probablement pas clos. 

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