Séville – Un médecin légiste espagnol affirme qu’il a enfin percé le mystère des origines de Christophe Colomb, plus de cinq siècles après sa mort. La communauté scientifique est sceptique.
Il est rare qu’un personnage historique aussi connu ait des origines aussi mystérieuses. Plus de cinq siècles après sa mort en 1506, personne ne connait avec certitude le lieu de naissance et les origines de Christophe Colomb et lui-même aimait à cultiver le mystère sur le sujet au cours de sa vie. Depuis les années 1930, la majorité des historiens s’accorde cependant pour dire que celui qui a découvert l’Amérique en 1492 pour le compte des Rois espagnols était d’origine génoise. Mais de nombreuses contre-théories ont essaimé à travers les années, plus ou moins sérieuses, lui attribuant diverses origines (catalane, portugaise, corse, basque, grecque…).
Plus de cinq siècles après la disparition du navigateur, c’est un médecin légiste qui relance la controverse historique et croit avoir percé le mystère. Le Pr José Antonio Lorente, respecté médecin légiste enseignant à l’université de Grenade, a présenté les conclusions de ses recherches dans un documentaire diffusé à la télévision espagnole le 12 octobre dernier, 532 ans jour pour jour après que Christophe Colomb a posé le pied aux Bahamas. Le légiste affirme avoir travaillé pendant 21 ans sur les restes du célèbre navigateur, qu’il a exhumés en 2003 au cours d’une cérémonie officielle.
Un juif sépharade au service des Rois catholiques
Premier enseignement des travaux du Pr Lorente : les restes enterrés dans la cathédrale de Séville sont bien ceux de Christophe Colomb. Un doute existait en effet sur ce point, puisque le corps de Colomb a été, depuis sa mort, plusieurs fois déplacé d’un coté et de l’autre de l’Atlantique. Le Pr Lorente affirme avoir comparé les os enterrés à Séville avec ceux d’autres membres de la famille Colomb enterrés en Espagne et avoir pu retrouver des liens génétiques certains.
Mais le point central du documentaire concerne les origines ethniques de l’homme qui a découvert l’Amérique et entrainé le monde dans l’époque moderne. Le Pr Lorente affirme en effet avoir réussi à récupérer une partie de l’ADN d’Hernando Colomb, le fils du navigateur, enterré avec lui à Séville. Et selon le légiste, « dans le chromosome Y d’Hernando hérité de son père, on retrouve des traits génétiques compatibles avec une origine juive sépharade ». Le Pr Lorente va plus loin et affirme que Christophe Colomb appartenait sans doute à une communauté juive sépharade de Valence en Espagne et ne serait donc pas génois.
Une possible origine juive de Christophe Colomb avait déjà été avancée dans les années 1970 par le célèbre chasseur de nazis Simon Wiesenthal, sans aucun fondement réel. Si l’homme qui a découvert l’Amérique pour le compte des Rois catholiques s’avérait être en réalité un juif, cela constituerait un sacré pied de nez à l’Histoire, surtout lorsqu’on se rappelle que c’est en 1492 que les Rois espagnols ont décidé d’expulser l’importante communauté juive du pays.
La communauté scientifique très sceptique
Mais les affirmations du Pr Lorente laissent sceptique une grande partie de la communauté scientifique, généticiens comme historiens. « Normalement, vous devez écrire un article et le soumettre à un journal scientifique pour qu’il soit revu par les pairs et commenté par les autres scientifiques » souligne Rodrigo Barquera, anthropologue à l’Institut Max Planck, alors même que les travaux du Pr Lorente n’ont fait l’objet d’aucune publication. « Quand vous présentez votre théorie à la télévision, avec tous les médias qui vous scrutent, cela devient difficile d’avoir un vrai débat scientifique ».
Expert en génétique des populations, le Pr Antonio Salas estime lui aussi que les conclusions du Pr Lorente ne sont pas sérieuses. « Le documentaire promet de se concentrer sur l’ADN de Colomb et pourtant les informations sur la génétique sont très limitées » explique-t-il. « Ce n’est qu’à la fin qu’on nous explique que tout ce qui a pu être récupéré des restes de Colomb est une fraction de son chromosome Y. Mais le problème est que le chromosome Y ne représente qu’une toute petite fraction de notre ADN. Il est très surprenant que le Pr Lorente puisse affirmer avec certitude que Colomb était un juif sépharade, alors qu’il est impossible de déterminer l’origine juive sépharade d’un individu uniquement à partir de son chromosome Y ».
Face aux critiques de ses pairs, le Pr Lorente a annoncé qu’il apporterait des preuves supplémentaires de ses allégations dans une publication scientifique attendue pour novembre prochain. En attendant et après plus de cinq siècles, le mystère sur les origines de l’une des personnes les plus importants de l’histoire moderne reste entier.