Le surpoids, les caries et les gingivites sont communes dans l’enfance et l’adolescence. Parmi les enfants européens, près d’un tiers sont en surpoids ou obèses et entre 20 et 60 % sont touchés par des caries dès l’âge de 6 ans. Aussi, 60 % des enfants âgés de 12 ans souffrent de gingivite, signe de mauvaise hygiène dentaire.
L’association des caries et de l’obésité a déjà fait l’objet de plusieurs études longitudinales avec des résultats non concluants et contradictoires probablement en raison de populations et de méthodes différentes. Cependant, l’association surpoids et pathologies parodontales comme tartre et gingivite a déjà été observée. De fait, les signes de mauvaise santé bucco-dentaire pendant l’enfance pourrait prédire une obésité et des troubles métaboliques à l’âge adulte.
Les caries et les gingivites sont liées au biofilm ; un microbiote anormal joue un rôle clé. Le rôle du microbiote intestinal dans le développement de l’obésité est bien étudié. Le lien entre la maladie parodontale et l’obésité a été évoqué par un mécanisme systémique d’inflammation de bas grade et une augmentation du stress oxydatif.
La cavité buccale joue le rôle de réservoir microbien pour le microbiome intestinal via la salive ingérée, même pour les sujets sains. Les microbes intestinaux pourraient affecter les comportements alimentaires par des modifications de la satiété et les bactéries orales modifier par leur métabolisme les perceptions du goût. Ces mécanismes feraient le lien entre la santé buccale et le développement de l’obésité
A l’inverse, il a été suggéré que l’obésité pourrait modifier le microbiote oral conduisant aux pathologies buccales. Ces deux conditions partagent des facteurs de risques communs, comme une mauvaise diététique et la consommation excessive de sucres. Le caractère multifactoriel et les interconnexions compliquent l’analyse de ces facteurs de risque.
Une étude longitudinale, plus de 2 700 enfants finlandais suivis pendant 2 ans
Des pédiatres universitaires finlandais ont examiné de façon longitudinale les relations entre les pathologies bucco-dentaires (caries, gingivites et tartre) et le développement d’une prise excessive de poids ou d’une obésité centrale sur une période de suivi de deux ans. Les sujets étudiés (n=2 702) faisaient partie d’une cohorte (Finnish Health in Teens) comprenant 11 000 enfants âgés de 9 à 12 ans enrôlés dans les écoles.
Le suivi a été réalisé à domicile avec un taux de participation de 54 %. Les données recueillies comportaient le sexe, l’âge, le statut socio-économique, le régime alimentaire, l’activité physique, la santé buccale et les mesures de taille, poids et périmètre abdominal au début et pendant le suivi.
De surcroît, les données sur la santé bucco-dentaire ont été tirées des visites portées dans le registre de soins primaires de l’Institut Finlandais pour la Santé et le Bien-être. Les consultations ont été effectuées par un dentiste au maximum 365 jours avant ou après le recueil des données initiales, avec une différence médiane de 8 jours.
Les variables dentaires ont été basées sur le nombre de dents cariées, manquantes et obturées dans la dentition permanente et classées en 2 groupes : absence ou présence de caries. De même, la santé parodontale a été catégorisée par un index basé sur la nécessité ou non d’un traitement pour gingivite et tartre. Finalement, les participants ont été classés en plusieurs groupes : bonne santé orale (pas de carie ni gingivite/tartre), l’une ou l’autre de ces pathologies, ou les deux à la fois.
Les données anthropométriques ont permis le calcul de l’IMC et le classement des enfants en minces, normaux, en surpoids et obèses. L’obésité centrale a été calculée sur le rapport périmètre abdominal/taille, présente si ≥0,5. Des scores hebdomadaires de consommation d’aliments sucrés et de végétaux ont été calculés ainsi que l’activité physique comptée en heures à partir de questionnaires remplis par les enfants. Les paramètres individuels et le niveau socio-économique ont été renseignés par les registres officiels
Les pathologies bucco-dentaires sont associées au développement d’un surpoids
Les enfants étaient âgés de 11,2±0,8 ans au début et l’évolution du poids a été suivie pendant 2,3±0,3 ans. Parmi eux, 74 % étaient indemnes de caries et 31 % n’avaient ni gingivite ni tartre, et 20 % présentaient les deux types de lésions. Les sujets souffrant de caries en comparaison avec ceux qui étaient épargnés étaient au départ plus souvent en surpoids ou obèses et pendant le suivi développaient plus souvent une obésité centrale. Ceux avec gingivite pendant le suivi avaient plus fréquemment une obésité centrale.
Parmi les 2 351 enfants minces ou de poids normal au début du suivi, 124 (5,3 %) ont développé un excès de poids à la fin du suivi. Parmi les 2 510 sujets sans obésité centrale, 118 (4,7 %) en ont développé une à la fin du suivi. Au total, sur 2 334 sujets sans surpoids ni obésité centrale au début, 153 (6,6 %) ont développé un excès de poids et/ou une obésité centrale.
Après analyse par régression de Cox, une association a été observée entre l’importance des maladies bucco-dentaires et une augmentation du risque de développer un excès de poids (HR ajusté 1,75 [IC à 95 % 1,03-2,97]). Dans le détail, l’excès pondéral pouvait être associé ou non avec une obésité centrale (HR 1,65 [1,02-2,67]) mais non avec une obésité centrale isolée (HR 1,49 [0,85-2,62]). Cette association était indépendante du statut socio-économique, du régime alimentaire, de l’activité physique, suggérant un rôle direct ou indirect des maladies buccales sur la prise pondérale.
Séparément, aucune association n’a été mise en évidence entre les caries seules et le développement d’un surpoids (1,31 [0,90-1,92]), une obésité centrale (1,13 [0,75-1,71]) ou un excès de poids et/ou une obésité centrale (1,32 [0,93-1,87]). Aucune association n’a été mise en évidence entre gingivite/tartre et les mesures d’adiposité (1,24 [0,84-1,83]).
Au total, après ajustements complets en fonction des divers facteurs de risque d’obésité, ce sont les deux agents, caries et gingivite/tartre, qui sont associés significativement avec le développement d’un excès pondéral (HR 1,75 [1,03-2,97]).
En conclusion, les pathologies buccales lourdes sans excès de poids au début de l’adolescence, pourraient être associées à un gain pondéral futur. De fait, les sujets qui souffrent à la fois de caries, gingivite et tartre pourraient être la cible de mesures préventives.
References
Lommi S, Leinonen J, Pussinen P, et al. Burden of oral diseases predicts development of excess weight in early adolescence: a 2-year longitudinal study. Eur J Pediatr. 2024 Sep;183(9):4093-4101. doi: 10.1007/s00431-024-05663-8.