Toulouse – Un patient qui devait bénéficier d’une double greffe rein/pancréas a vu son opération annulée à la dernière minute. L’hôpital est pointé du doigt pour ses erreurs d’organisation.
C’est un terrible ascenseur émotionnel qu’a connu Abdallah ce 3 septembre dernier. Ce réfugié syrien de 35 ans, arrivé en France en 2022 grâce au dispositif des couloirs humanitaires (qui permet d’accélérer l’entrée sur le territoire des personnes gravement malades) a d’abord connu une grande joie lorsque le CHU de Toulouse, où il est suivi, lui a appris qu’il allait bénéficier d’une double greffe de rein et de pancréas. Fini les dialyses à répétition : ce diabétique souffrant d’une insuffisance rénale allait bientôt pouvoir retrouver une vie normale avec son épouse.
Mais la journée ne va pas se passer comme prévu. Après s’être rendu à l’hôpital, Abdallah va devoir attendre de longues heures avant que le verdict ne tombe dans la nuit : il ne sera finalement pas opéré. « J’étais sidéré, j’avais l’impression que la terre s’écroulait sous mes pieds » raconte au Parisien le patient, qui a dû reprendre le chemin des dialyses quotidiennes.
Comment expliquer que cette opération vitale ait été programmée puis annulée à la dernière seconde, alors même que des greffons compatibles avec le groupe sanguin rare (B) d’Abdallah avaient été trouvés ? Selon l’enquête de nos confrères du Parisien, il semble que le CHU de Toulouse ait été un peu trop ambitieux. L’hôpital avait en effet programmé ce mardi-là deux opérations : la double greffe d’Abdallah et une greffe de foie pour un autre patient. Mais le CHU ne disposait en réalité pas du personnel paramédical suffisant et notamment pas assez d’infirmières de bloc opératoire pour réaliser ces deux opérations.
L’activité de greffe freinée par le manque de personnel et les difficultés d’organisation
L’hôpital reconnait ainsi qu’il « n’a pas été en mesure de mobiliser une équipe supplémentaire complète, afin de réaliser les deux greffes en simultané, malgré la mobilisation des équipes pour trouver une solution dans les délais impartis ». « Le chirurgien pensait que l’hôpital pourrait lui mettre deux blocs à disposition, car on sait faire et il n’y avait pas de raison pour que cela ne puisse pas avoir lieu » explique un soignant. La greffe de foie a bien eu lieu, mais le CHU de Toulouse a finalement dû décliner l’attribution du rein et du pancréas. Si le rein a pu être transplanté à un autre patient en France, le pancréas est lui définitivement perdu. Un comble quand on sait que les soignants s’inquiètent régulièrement du manque de greffons.
Cette triste affaire illustre les difficultés de l’activité de greffe en France, qui a diminué de 4,5 % entre 2019 et 2023, alors même que le nombre de personnes en attente d’une greffe a augmenté de 50 % depuis 2016. Si l’on pointe régulièrement du doigt le manque de donneurs vivants (seulement 10 % des greffes) ou encore la hausse du taux d’opposition des familles (qui atteint 36 % en 2023), le cas d’Abdallah montre bien que le manque de personnel et les difficultés d’organisation peuvent également freiner l’activité de greffe.
« Le cas d’Abdallah n’est pas un cas isolé, il y a des difficultés à obtenir la programmation d’une greffe et les équipes continuent de travailler à flux tendu » déplore Thierry Gesson, président de l’association Midi Cardio Greffe Occitanie. « La situation devient catastrophique pour les patients, il se murmure même que les greffons ne seraient pas prélevés bien que disponibles, ou même jetés, faute de bloc et d’équipe disponibles » dénonce Frédéric Escala, président de l’association France Rein Midi-Pyrénées. Lui-même a bénéficié d’une greffe en 2010. « A cette époque-là, le délai d’attente était déjà de deux à trois ans, mais aujourd’hui les patients attendent cinq ans en moyenne » assure-t-il, constatant que le cas d’Abdallah est « malheureusement récurent ».
Renaloo pointe du doigt la responsabilité du directeur du CHU
Au CHU de Toulouse, en raison du manque de personnel, le nombre de greffes a diminué de 2,4 % entre 2016 et 2013 et en avril dernier, le directeur du département de transplantation de l’hôpital disait craindre une baisse de 18 à 30 % du nombre de greffes de rein issus de donneurs vivants en 2024. La direction du CHU assure pourtant que « l’activité de greffe constitue une priorité du projet médical du nouveau projet d’établissement, validé en avril 2024 ».
Pour l’association de malades du rein Renaloo, qui accompagne Abdallah, c’est « l’attitude pour le moins désinvolte du directeur général du CHU » qui est à l’origine de cet incident. L’association estime que ce dernier a « tout pouvoir dans l’organisation de ses services et la mobilisation ou non des équipes » et aurait donc pu rendre possible la réalisation de ces deux greffes le même jour. Elle demande qu’une enquête administrative soit menée afin que « toute la transparence soit faite sur ces faits » et que des sanctions disciplinaires soient prises. Le 12 septembre dernier, Renaloo avait présenté son plan pour dynamiser l’activité de greffe en France, dans lequel elle demandait au pouvoir public de rendre la transplantation plus attractive pour les hôpitaux, au détriment de la dialyse.
Concernant Abdallah, le CHU de Toulouse a dit « entendre l’incompréhension et la déception du patient qui n’a pas pu bénéficier de la greffe rein/pancréas » et tient à l’assurer « de son engagement à poursuivre son accompagnement dans la prise en charge ». Mais le patient dit avoir « perdu tout espoir ». « Aujourd’hui, quand on me dit que je suis prioritaire pour la prochaine fois, je n’y crois plus ».