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Polémique sur la rétractation d’une étude imputant 17 000 morts à l’HCQ

Paris – Une étude publiée en janvier dernier imputant près de 17 000 décès à l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour traiter la Covid-19 a été retractée. Une décision fortement contestée par une partie de la communauté scientifique.

« Dieu veuille que l’obstination soit la seule cause de vos erreurs ! On peut en guérir, tandis que la stupidité et la faiblesse sont incurables ». C’est en citant Galilée, son « maître », que le controversé Pr Didier Raoult a salué le 25 août dernier l’une des rares victoires qu’il a obtenue ces quatre dernières années dans son combat (sa croisade serait-on tenté de dire) contre le monde scientifique : le retrait d’une étude attribuant 17 000 morts à l’utilisation de l’hydroxychloroquine (HCQ), le traitement promu par le Pr Raoult contre la Covid-19, en 2020.

Publiée le 2 janvier dernier dans la revue Biomedicine & Pharmacotherapy, cette étude, menée par des chercheurs des Hospices civils de Lyon (HCL) sous la direction du Pr Jean-Christophe Lega, avait été vivement commentée à l’époque, comme tout ce qui touche à l’HCQ. Comme le soulignait le JIM à l’époque, elle reposait sur un calcul simple, voir même simpliste diraient ses détracteurs. Les chercheurs avaient en effet d’abord extrapolé le nombre de patients hospitalisés pour Covid-19, traités par HCQ et décédés entre mars et juillet 2020 dans six pays occidentaux (France, Belgique, Italie, Espagne, Turquie, Etats-Unis) et ce à partir de données parcellaires. 

Une étude reposant sur des données parcellaires et un calcul approximatif 

Ils s’étaient ensuite appuyés sur une étude publiée dans Nature en 2021 qui estimait que l’administration d’HCQ augmentait de 11 % le taux de mortalité des patients atteints de Covid-19, en raison des effets secondaires cardiaques. Les chercheurs lyonnais en concluaient que l’utilisation de l’HCQ au début de la pandémie, avant que le consensus scientifique ne conclue à son inefficacité, avait provoqué près de 17 000 morts dans les six pays concernés.

Sept mois plus tard, le 26 août dernier, la revue Biomedicine & Pharmacotherapy, éditée par le groupe Elsevier, a donc décidé de rétracter cet article. Dans une courte note, elle justifie ce retrait par deux raisons : les données utilisées dans l’étude ne sont pas assez solides (la note cite notamment les données belges, très parcellaires) et l’étude n’a pas distingué selon le taux d’HCQ administré à chaque patient. L’étude de Nature de 2021 sur laquelle celle du Pr Lega s’appuyait avait en effet déterminé que le HCQ augmentait la mortalité de 11 % « toutes doses confondues ». 

Des arguments qui sont loin de convaincre la communauté scientifique, majoritairement très critique vis-à-vis de cette rétractation. Selon la plupart des chercheurs, une rétractation n’est normalement justifiée qu’en cas de fraude avérée ou d’erreur manifeste, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Certes, l’étude rétractée et le résultat auquel elle parvient repose sur une approximation et des données parcellaires (ce que reconnaissent le Pr Lega et son équipe). Mais pas de quoi justifier un retrait complet de l’étude estiment les chercheurs.

« Les auteurs ont fourni une approximation avec des données certes imparfaites, mais pertinentes compte tenu du manque d’informations de l’époque » commente dans l’Express le Pr Antoine Pariente, enseignant en santé publique à l’université de Bordeaux. « Cet article a évidemment des faiblesses, qui sont celles inhérentes à ce genre de modélisation, mais il faut garder en tête l’objectif de tels travaux : déterminer l’ordre de grandeur d’un évènement pharmacologique » abonde dans le même sens le Dr Bernard Bégaud, spécialisé en pharmacologie à l’université de Bordeaux.

Une rétractation faite sous la pression des pro-Raoult

Outre la décision en elle-même, c’est la procédure qui a abouti à cette rétractation qui interroge le monde scientifique. La revue Biomedicine & Pharmacotherapy dit ainsi avoir reçu, dans les jours suivant la publication de l’étude le 2 janvier dernier, plusieurs « lettres à l’éditeur » très critiques. D’après le Pr Lega qui a pu lire ces lettres, « la plupart étaient d’un ton extrêmement accusatoire et d’un niveau si faible qu’elles me semblaient impubliables ». L’une de ces lettres émanait d’ailleurs de Xavier Azalbert, directeur du site d’information France soir, qui s’est récemment vu retirer son accréditation comme organe de presse en raison de ses nombreuses publications complotistes.

Comme l’indique la revue Biomedicine & Pharmacotherapy, elle avait d’abord eu l’intention de publier ces lettres critiques, avant de finalement changer brusquement d’avis et de rétracter l’article dans sa totalité. Selon le Pr Lega, les responsables de la revue n’ont pas demandé à consulter les données de l’étude pour vérifier leur véracité. Ils n’auraient pas non plus tenu compte de l’avis du comité d’éthique interne à Elsevier, le RIPE, qui n’avait été sollicité qu’en toute fin de procédure après que le Pr Lega en a fait la demande.

Pour beaucoup de scientifiques, la revue aurait en réalité cédé à la pression des pro-Raoult, très actifs sur les réseaux sociaux. La publication de cet article controversé avait en effet provoqué un déchainement de critiques de la part des partisans du scientifique phocéen. Xavier Azalbert, encore lui, avait ainsi adressé une mise en demeure à la revue Biomedicine & Pharmacotherapy. Plus grave encore, des partisans du Pr Raoult s’étaient même introduits au sein de l’université de Lyon pour s’expliquer directement avec le Pr Lega, qui avait été placé sous protection par la faculté.

Au-delà du cas particulier de cet article, cette rétractation inquiète grandement la communauté scientifique quant à l’avenir et la sérénité du débat scientifique. « Ce qui me fait peur, c’est qu’on puisse remplacer la controverse scientifique par la pression populaire. Si ces cas de figure ne sont pas pris très au sérieux par les autorités sanitaires et les institutions scientifiques, tout papier qui gêne pourrait être tué avec un réseau social hyper mobilisé et le recours aux avocats » s’inquiète le Dr Bégaud.

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