Paris – Elle n’aura sans doute jamais la popularité ou la notoriété de Léon Marchand ou de Teddy Rinner. Injuste serait-on tenté de dire, puisque la cycliste Marie Patouillet est non seulement l’une des plus grandes para-athlètes de l’histoire du sport français, avec ses quatre médailles aux Jeux Paralympiques, dont un titre obtenu dimanche dernier à Paris, mais surtout l’une des personnalités les plus attachantes du sport français.
Handicapée de naissance, elle souffre d’une malformation de la cheville et des orteils (elle n’a que trois orteils au pied gauche). Femme homosexuelle, elle « cumule les étiquettes discriminantes » remarque-t-elle. Mais elle a surmonté tous les obstacles pour accomplir ses deux rêves : être médecin et être championne paralympique.
A dire vrai, on a presque l’impression que Marie Patouillet aime se rajouter des difficultés, pour mieux les surmonter. Elle aurait ainsi pu suivre un cursus médical classique, mais elle a préféré le milieu très masculin de l’Ecole du service du santé des armées de Bordeaux aussi appelée Santé Navale. Au cours de ses études, sa malformation orthopédique va malheureusement s’aggraver. Réformée, elle retourne dans le civil et devient en 2018, aux termes de ses études, médecin généraliste remplaçante dans les Yvelines.
Mais le sport va rapidement devenir la première passion du Dr Patouillet. A cause de son handicap, le médecin présente une différence de longueur entre ses deux jambes et ne peut pas courir. Qu’a cela ne tienne, elle se lance dans le para cyclisme sur piste en 2017. Rapidement, elle enchaine les performances : médaille de bronze lors des championnats du monde en 2019 puis médaillée d’argent en 2020. Elle parvient même à concurrencer les valides, en obtenant une médaille de bronze aux championnats de France en 2019.
Refuser de se taire face au sexisme et à l’homophobie
A Tokyo en 2021, la jeune femme, qui a décidé de mettre sa carrière médicale entre parenthèses pour se consacrer entièrement au sport, participe à ses premiers Jeux Paralympiques. Elle repart du Japon avec deux médailles de bronze. Mais cette aventure lui laisse un mauvais souvenir. Membre d’une équipe entièrement masculine, elle dit avoir subi de nombreuses brimades sexistes et homophobes.
« Je me sens moquée, humiliée » raconte-t-elle, dénonçant également le manque d’adaptation du sport aux femmes, qui sont par exemple obligées d’utiliser des cuissardes pour homme (« et pour nous derrière, ce sont des blessures »). « Après Tokyo, il y avait un goût amer sur un sentiment d’injustice, de discrimination, de manque d’inclusion dans le sport de très haut niveau » poursuit-elle. « Quand j’ai évoqué l’ambiance sexiste, on me répond que si je ne voulais pas un sport sexiste, il fallait que je fasse un sport de fille, ça m’a mise en colère ».
La jeune femme n’est en effet pas du genre à suivre les codes. Après l’aventure japonaise, elle décide de ne plus se taire et de devenir la porte-parole des femmes homosexuelles dans le sport de haut niveau. « L’intime est politique ainsi que tout ce qui se passe en amont » se justifie-t-elle. « J'ai pris conscience que quand on est sportive, peu importe la visibilité qu'on a, on a forcément une portée sociopolitique et je voulais vraiment que ça fasse partie de ma vie ».
En 2022, elle arbore ainsi lors des championnats du monde de cyclisme sur piste une seyante coupe de cheveux aux couleurs de l’arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT. Un geste qui fera beaucoup parler et qui lui vaudra d’être élu sportive de l’année par le magazine homosexuel Têtu en 2023. « Je suis aussi fière de recevoir ce prix que de recevoir une médaille, ça donne de la visibilité aux femmes paralympiques lesbiennes, ce qui fait pas mal de discrimination en une phrase » se félicite l’intéressée.
Son militantisme aura, selon ses dires, porté ses fruits. En amont des Jeux Paralympiques de Paris de 2024, elle se félicite des progrès faits par l’équipe de France en matière d’inclusion et de féminisme. « Quand je vois cette équipe de France aujourd'hui, quand je vois le bien-être que je ressens, ce n'est pas du tout Tokyo, c'est juste magique » témoigne-t-elle.
Médecin, un « métier qui m’anime »
Aux Jeux Olympiques et Paralympiques, les athlètes ont l’interdiction d’exprimer publiquement des opinions politiques. Pas de cheveux arc-en-ciel cette fois : le Dr Patouillet va s’exprimer sur la piste. Engagée dans la catégorie C5 (légère limitation de mouvement d’un bras ou d’une jambe ou amputation partielle ou totale d’un bras), elle ouvre le compteur des médailles de l’équipe de France en remportant une médaille d’argent sur 500 mètres le 29 août.
« C'était beaucoup d'émotions, j'ai pensé à toutes ces années de haut et de bas » expliquait-elle à la descente du vélo. Mais la consécration survient trois jours plus tard, le 1er septembre, lorsqu’elle obtient son premier titre olympique sur l’épreuve de poursuite.
Marie Patouillet a donc su saisir sa dernière opportunité pour décrocher le Graal. Car ces Jeux Paralympiques à la maison étaient les derniers pour elle. « J’ai 36 ans et j’ai envie de prendre soin de mon corps, d’arrêter de le pousser dans ses limites » raconte-t-elle à nos confrères de Ouest France. « J’ai aussi hâte de renouer avec mon activité de médecin généraliste. Mettre mon métier de côté a été l’un des gros sacrifices auxquels j’ai consenti pour le sport de haut niveau. C’est un métier qui m’anime, c’est ma vocation, c’était mon rêve depuis gamine ».
Même une fois retournée au monde médical, le Dr Patouillet ne compte pas mettre fin à son militantisme et sera toujours engagée dans des associations pour la cause des femmes, des lesbiennes et des handicapés. « Aujourd’hui, on me présente comme une athlète engagée. J’aime bien cette image, c’est celle que je veux donner. Et si à la fin on ne retient que cet aspect de ma carrière sportive et qu’on oublie les médailles, ça me va ».