Tahiti – Un curieux cas clinique nous rappelle les dangers de certaines boissons sucrées.
Les médecins du service de médecine interne du centre hospitalier de Polynésie française à Tahiti se souviendront sans doute longtemps de ce cas clinique, survenu en juillet 2023 et publié dans la Revue de médecine interne le 17 juillet dernier. Pas pour son issue, finalement plutôt heureuse, mais pour son côté quelque peu saugrenu.
Le patient est un homme de 44 ans, maçon, sans antécédent médical particulier. Il est hospitalisé pour de sévères myalgies aux quadriceps et aux épaules. « Les déficits musculaires sont évalués à 3/5 aux quadriceps, 3/5 aux adducteurs, 4/5 aux releveurs des pieds » notent les médecins tahitiens dans leur cas clinique. Le patient n’arrive plus à s’asseoir, à se mettre debout et même à marcher avec deux béquilles. Il présente également des difficultés à déboucher une bouteille et à porter ses mains à sa bouche.
Un patient sans aucun vice…ou presque
Le bilan biologique fait état d’une hypokaliémie (2,7 mmol/L), d’une hypophosphorémie (0,67 mmol/L) et d’un taux de CPK très supérieur à la normale, mesuré à 820 unités internationales par litre. Un taux de CPK correspondant à une rhabdomyolyse, expliquent les internistes tahitiens, c’est à dire à une dégradation du tissu musculaire squelettique cause des myalgies présentées par le patient. Les examens permettent néanmoins d’éliminer toute cause infectieuse. Malgré son hypokaliémie, l’électrocardiogramme (ECG) du patient est tout à fait normal.
C’est finalement l’interrogatoire du patient qui va permettre aux internistes de trouver la solution. L’homme indique qu’il ne consomme ni alcool, ni tabac, ni stupéfiant. Il n’a en réalité qu’un seul vice : le Coca-Cola. Le patient boit plus de trois litres par jour de la célèbre boisson sucrée américaine ! Les médecins comprennent alors que le tableau clinique du patient correspond en tous points à celui d’une intoxication chronique au Coca-Cola, mis à part l’hypophosphorémie, jamais décrite dans les autres cas d’intoxication au Coca-Cola.
C’est notamment la caféine contenue en dose importante dans le Coca-Cola qui peut conduire à une hypokaliémie sévère en cas de consommation excessive. La caféine stimule en effet l’activité de la pompe sodium-potassium et facilite l’influx de potassium dans le milieu intracellulaire. Le fructose et le glucose contenus dans le Coca-Cola participent également à cette hypokaliémie.
Le succès de la médecine à l’ancienne
Bien que rares, les cas d’hypokaliémie sévère induite par une consommation sévère de Coca-Cola ne sont pas inédits dans la littérature médicale. Une poignée de cas a été rapporté de part le monde ces trente dernières années, concernant à chaque fois des patients buvant plus de trois litres par jour. En 2021, le CHU de Limoges avait ainsi rapporté le cas d’une patiente de 54 ans paralysée des quatre jambes : les deux à cinq litres de Coca-Cola zéro qu’elle buvait chaque jour avait provoqué une hypokaliémie sévère.
Mais la palme revient au cas de cet homme australien rapporté par la presse anglo-saxonne en 2004 : l’homme avait fini par développer une hypokaliémie en raison de ses parties de chasse aux kangourous, au cours desquelles il avait l’habitude de boire jusqu’à quatre litres de Coca-Cola en une après-midi.
Quant à notre patient tahitien, la réhydratation et l’administration d’une supplémentation en potassium et en phosphate ont permis de faire disparaitre les myalgies et de lui rendre l’usage de ses membres en seulement 48 heures. Il a ainsi pu être renvoyé chez lui, avec la forte recommandation de limiter sa consommation de Coca-Cola. Pour le Dr Frédéric Franconieri, ce cas clinique constitue surtout un rappel de l’efficacité de la médecine à l’ancienne et de l’importance de l’interrogatoire du patient. « Rien ne sert de faire beaucoup d’examens complémentaires coûteux, irradiants ou invasifs quand le patient nous offre le diagnostic sur un plateau » conclut l’interniste.