JIM.FR Logo

« Rejet » de la clim : un mal français ?

Paris - Le mantra n’a finalement pas tenu bon. Revendiquant organiser des Jeux Olympiques « compatibles » avec l’accord de Paris sur le climat et en tout cas deux fois moins énergivores que ceux de Londres ou de Rio, Anne Hidalgo avait vanté l’absence de climatisation au sein du village olympique, tout en assurant que sa conception laisserait cependant les athlètes à l’abri de la chaleur.

Cependant, bien avant l’ouverture des JO et donc avant que soient annoncées des températures dépassant les 30°C sur la capitale, plusieurs délégations, dans des pays où ces installations sont quasiment aussi incontournables que la possession d’un réfrigérateur, avaient considéré ce sujet comme critique et prévoyaient même d’ajouter des climatiseurs aux bagages de leurs athlètes.

Les organisateurs des JO de Paris ont alors amendé leur position et proposé la location d’appareils temporaires. L’épisode est-il symbolique de la position singulière de la France vis-à-vis de la climatisation et au-delà peut-on le considérer comme assez représentatif de certains réflexes français ? 

Entre 15 et 25 % de climatiseurs dans les foyers français 

La climatisation a connu une forte progression dans tous les pays d’Europe ces dernières années et la France participe à cette tendance. Cependant, les chiffres restent incomparables par rapport à d’autres pays riches comme les Etats-Unis et le Japon (mais aussi comparativement à la Chine), il est vrai exposés sur une grande partie de leur territoire à des températures estivales très élevées plus fréquentes et plus hautes que celles que l’on observe (même aujourd’hui) en Europe

 Ainsi, le taux de pénétration de la climatisation en Europe ne dépassait pas 20 % en 2022…contre 90 % aux Etats-Unis ! En France, l’ADEME (Agence de la transition écologique) estimait en 2020 que 25 % des Français étaient équipés de climatiseurs en se basant sur un sondage conduit auprès de 800 personnes, tandis qu’une étude réalisée sur la base des données de 40 000 compteurs Linky menée par l’entreprise Lite avait plutôt considéré que la pénétration atteignait 15 % pour les particuliers. 

Recommandations pour (sur)vivre sans climatisation 

La climatisation reste donc presque marginale en France y compris dans les établissements publics (inexistante à l’école, elle est plus généralisée dans les hôpitaux et les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes mais se limite souvent à quelques pièces et ne concerne pas encore, loin de là, toutes les chambres des patients ou résidents) et dans les espaces commerciaux (on estime que 40 % du secteur tertiaire est équipé).

Au-delà du caractère relativement coûteux de ces équipements et du fait qu’en dépit de pics de chaleur plus fréquents, la climatisation n’apparaît réellement « nécessaire » dans l’hexagone que quelques jours à quelques semaines par an, on constate également qu’une partie de la France (notamment au Nord qui abrite le pouvoir central et où il fait moins chaud) fait de la résistance.

Ainsi, chaque été voit resurgir des messages didactiques sur la meilleure façon de se passer de la climatisation. Oubliant que l’air conditionné a été imaginé par un médecin (en 1842), certains professionnels de santé participent à ce mouvement. Ainsi, l’été dernier par exemple, le Dr Claire Mounier-Vehier, cardiologue et assez active sur le réseau Linkedin publiait un post listant « Quelques conseils pour ne pas trop souffrir de la chaleur sans avoir besoin de la climatisation ».

Au programme, les techniques habituelles : aération, fermeture des volets, brumisation, hydratation.... L’objectif n’est pas ici d’aider ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un climatiseur ou ceux dont l’EHPAD n’offre qu’une pièce froide prise d’assaut mais d’éviter de « se ruer sur les climatiseurs pour survivre. D’autant qu’ils sont la cause de pas mal de laryngites estivales. Et la climatisation représente environ 10 % de la consommation électrique mondiale, contribuant donc largement à l’aggravation du réchauffement climatique… ». 

Joute estivale habituelle

Un tel message est un bon reflet des discours les plus médiatisés sur le sujet qu’ils émanent de professionnels de santé, de politiques, de journalistes, de sociologues et de « simples » citoyens. On notera l’alliance rhétorique (plutôt efficace) entre le danger immédiat individuel bénin mais « concret » (la laryngite…) et la menace collective et pesante mais plus lointaine (le réchauffement climatique).

Chaque année, d’ailleurs, ces positions ainsi rappelées de ceux qui exhortent à supporter la chaleur en dénonçant les méfaits de la climatisation pour la planète donnent lieu à quelques passes d’arme sur les réseaux sociaux et notamment sur X (même quand il s’appelait encore Twitter). Se dessine un schéma assez habituel opposant des parangons de vertu n’hésitant pas sacrifier leur confort et les « méchants » individualistes. 

Des résultats implacables

Dans ces joutes verbales, chacun veut s’appuyer sur des chiffres censés asseoir la crédibilité de son discours. Du côté des partisans de la climatisation : les données implacables concernant les morts évitées. En effet, la littérature médicale a vu se multiplier les études confirmant que la climatisation a sauvé et sauve des vies. Une estimation américaine avait ainsi évalué que l’installation de l’air conditionné dans les foyers américains avait contribué à faire baisser de 80 % le risque de décès par temps de canicule au cours du dernier demi-siècle.

Les Français les plus vulnérables que l’on brumise à heure fixe pour les protéger des méfaits de la clim (méchantes laryngites) apprécieront de telles informations. Plus près de nous, en Espagne, des chercheurs barcelonais avaient considéré dans un papier publié en 2023 que l’air conditionné avait réduit d’un tiers la mortalité liée aux températures les plus élevées. Citera-t-on encore des données du Lancet considérant que 195 000 vies sont sauvées chaque année grâce à la climatisation, soit bien plus que les 21 000 décès que l’on pourrait (après des calculs savants) attribuer aux particules fines émises par les climatiseurs ?

Les comparaisons avec les pays où la climatisation a plus largement progressé qu’en France semblent par ailleurs montrer que le risque de mort prématurée liée à la chaleur est plus marqué dans notre pays, comme le soulignait cette semaine sur X le journaliste Antoine Copra. Ce dernier a en outre cité une modélisation japonaise assurant que 4 600 décès seraient évités chaque année dans un scénario où la température serait supérieure de 3°C.

Bien sûr la climatisation n’est pas exempte de risques sanitaires directs (il avait été montré comment SARS-CoV-2 avait pu être disséminé via l’air conditionné en Chine au tout début de l’épidémie), mais le chauffage ou l’eau chaude ne sont pas plus des équipements exempts de risque et personne ne penserait pourtant à s’en priver. 

Pas la panacée

Commentant ce type de données, certains sur Twitter ont regretté cette semaine les méfaits du « rejet de la climatisation » en France. Cependant, la géographe Magali Reghezza aura tenté de relativiser ces chiffres apparemment très en faveur de la « clim » en remarquant sur X que « toutes les villes sont concernées par la surmortalité (liée à la chaleur, ndlr), y compris celles avec des taux élevés de climatisation et « habituées » aux canicules (Lisbonne, Madrid, Rome, Athènes) ».

Elle note par ailleurs : « La surmortalité n’est (…) pas due au « rejet de la climatisation », mais à la vulnérabilité générique ET spécifique des individus et à l’exposition, qui augmente en fonction des caractéristiques morphologiques du territoire et du logement ». Conclusion, puisque certaines personnes très vulnérables continuent à mourir quand il fait chaud, la climatisation ne serait pas la panacée.

Et ce d’autant plus que non contente de ne pas empêcher la mort de façon absolue, la climatisation est une menace pour la planète. Et c’est ainsi qu’il est régulièrement rappelé que les ventilateurs et les climatiseurs représentant environ 10 % de la consommation mondiale d’électricité… soit six fois la consommation annuelle d’un pays comme la France. 

En France on n’a pas de pétrole mais on a du nucléaire et des règles à foison 

Un pays comme la France dont la consommation d’électricité a cependant le mérite de peser de façon relativement discrète sur le réchauffement climatique. « Le mix électrique français, grâce au nucléaire, est décarboné à 92 %. La consommation électrique liée aux climatiseurs n'influe donc que marginalement, en France, sur le réchauffement climatique. Par ailleurs, la consommation d'électricité étant beaucoup plus importante en hiver qu'en été, la production est souvent excédentaire pendant les mois les plus chauds. Le système électrique peut donc absorber une augmentation de la climatisation, dans une certaine mesure », expliquait ainsi l’année dernière François-Marie Bréon physicien-climatologue au Laboratoire des sciences du climat, dans les colonnes du Point. 

L’article de la journaliste Géraldine Woessner, toujours soucieuse de décrypter rationnellement ce type d’informations, a été republié sur X par l’intéressée cette semaine, ce qui a lui a valu une nouvelle volée de remarques plus que désobligeantes. Pourtant, outre son énergie nucléaire, la France a un deuxième atout indéniable pour minimiser au maximum les méfaits climatiques de la climatisation, atout qui pas plus que l’énergie nucléaire n’aura malheureusement été mis en avant lors de la fameuse et pourtant délicieusement irrévérencieuse cérémonie d’ouverture des JO : sa réglementation.

C’est sa réglementation (en s’appuyant sur les normes européennes) qui lui permet grâce aux contrôles et à la vente de produits conformes de limiter le risque de fuite de fluides frigorigènes qui représentent de fait un fléau important au regard du réchauffement climatique. C’est encore également sa tendance à l’hyper réglementation qui la conduit à imposer des seuils de température en dessous duquel la climatisation doit rester éteinte et à restreindre les niveaux de refroidissement. S’ils peuvent être critiqués, ces gardes fous devraient être vus par ceux qui s’inquiètent d’un excès de climatisation comme la preuve que la France ne prendra que le meilleur de cet outil indispensable. 

La peur du court-termisme vs l’immédiateté de la simplicité

Mais les contempteurs, tout en se défendant d’un « rejet » épidermique un tantinet irrationnel, continuent. Ils répètent que la climatisation n’est pas « la solution », mais un pis-aller, une « mal adaptation » et insistent plutôt sur l’importance de repenser nos habitats, nos systèmes de réfrigération, etc. Ils redoutent que si la climatisation se généralisait, voire même si elle était l’objet d’un plan national contribuant à des équipements les plus « propres » possibles, la nécessité de ces améliorations serait alors oubliée, ce qui est en effet probable, le court-termisme étant un réflexe politique très courant. 

Cependant, ils oublient que ces améliorations sont également très coûteuses (probablement souvent plus que la climatisation), parfois complexes à mettre en œuvre et longues à déployer. Leur résultat en outre n’est pas toujours aussi certain que la simplicité de la climatisation (même s’il est vrai que la qualité de certaines installations de fortune laisse à désirer).

Liberté, égalité, réfrigéré ! 

Comment cependant ne pas voir dans ces débats quelques réflexes typiquement français ? D’abord, cette propension à préférer le comportement sacrificiel, l’auto-flagellation à la glorification de nos atouts majeurs, de nos spécificités. Quand on bénéficie d’une électricité aussi peu carbonée que la nôtre, la culpabilité de la climatisation ne devrait pas être aussi brûlante.

Par ailleurs, on observe une nouvelle fois comment la passion de l’égalité prend parfois le pas sur l’amour de la liberté. Ainsi, parce que la climatisation reste encore dans une certaine mesure un luxe (même si les prix de certains appareils sont de plus en plus abordables), que les plus précaires pourraient en être privés (et seraient selon certains les premières victimes des îlots de chaleur), beaucoup (de façon parfois hypocrite) estiment qu’elle ne devrait pas librement bénéficier à tous les autres.

Cette conception de l’égalitarisme, qui consiste à priver tout le monde, puisque tous ne peuvent y accéder n’est pas toujours sans effet contre-productif. D’une manière générale, dans le choix par exemple de n’équiper que deux ou trois pièces d’une maison de retraite et pas toutes les chambres, on refuse le droit à chacun d’exercer librement son autonomie, ce qui une fois encore s’observe assez régulièrement en France. 

A quand une cérémonie d’ouverture rafraichissante pour en finir avec ces maux français ? 

On relira :

 

Dr Claire Mounier-Vehier : https://lnkd.in/eChBbd9e

Alan Barreca, Karen Clay, Olivier Deschenes, Michael Greenstone: Adapting to Climate Change: The Remarkable Decline in the U.S. Temperature-Mortality Relationship over the 20th Century, National Bureau of Economic Research, Working Paper 18692 DOI 10.3386/w18692 Issue Date January 2013 

Hicham Achebak, Grégoire Rey, Simon J Lloyd, Marcos Quijal-Zamorano, Raúl Fernando Méndez-Turrubiates, Joan Ballester. Drivers of the time-varying heat-cold-mortality association in Spain: A longitudinal observational study. Environment International, 2023; 182: 108284 DOI: 10.1016/j.envint.2023.108284


The 2021 report of the Lancet Countdown on health and climate change : code red for a healthy future, https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)01787-6/fulltext 

Antoine Copra : https://x.com/Cobra_FX_


Magali Reghezza : https://x.com/MagaliReghezza?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor

Géraldine Woessner : https://www.lepoint.fr/environnement/climatisation-si-on-en-finissait-avec-les-idees-recues-28-08-2023-2533047_1927.php#xtor=CS2-239

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE