Paris, le lundi 30 septembre 2024 – Si beaucoup d’internes font part de souffrance au travail, de stress, d’anxiété, voire souffrent d’épuisement professionnel, un bon nombre d’entre eux résiste pourtant bon an mal an aux conditions de travail difficiles. Des chercheurs ont essayé de comprendre quelles « stratégies » ils utilisaient.
59 heures : c’est la moyenne d’heures hebdomadaires travaillées par les internes à l’hôpital, selon la dernière étude réalisée par l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI).
Les sondés déplorent, de plus, le manque de soutien et de management de la part des médecins expérimentés, tout en regrettant l’absence de reconnaissance, la déshumanisation de la médecine, un sentiment de compétition et d’individualisme important…
Des écueils qui sont largement connus aussi bien à l'hôpital qu'en dehors, et qui engendrent forcément des tensions, du stress, de la pression, et aussi de la souffrance. Mais plutôt que de ne se concentrer que sur ceux qui éprouvent des difficultés, deux chercheurs ont préféré essayé de comprendre comment certains internes parviennent malgré tout à résister efficacement à la pression et au risque d’épuisement professionnel.
Quatre stratégies différentes
Les deux chercheurs, Marie Cousineau (maître de conférences à l’Université Rouen-Normandie) et Adama Ndiaye (enseignant-chercheur à l’université de Tours), ont résumé leurs résultats dans un article paru la semaine dernière dans The Conversation.
Ils ont tout d’abord mené une enquête consacrée au burn-out auprès de 242 internes en médecine dans un CHU de province. Ce travail a révélé une souffrance au travail pour la moitié des répondants. Les chercheurs ont donc sélectionné « ceux qui ne sont pas épuisés », dans le but de « mettre à jour les stratégies adoptées pour surmonter les conditions de travail compliquées », expliquent les deux chercheurs.
Après avoir mené des entretiens avec les répondants, ils sont parvenus à établir quatre profils différents.
Premier profil : les projectionnistes. « Ils ont conscience des difficultés actuelles et cherchent une échappatoire mentale afin de continuer leur travail quotidien. Pour cela, ils anticipent l’avenir », indiquent les chercheurs. Ils pensent à travailler à l’étranger, se concentrent sur leur projet post-internat, évoquent un potentiel DU dans une spécialité qui les intéresse… « Si j’arrive à ne pas être en souffrance, c’est parce que j’ai mon activité personnelle en médecine chinoise qui me donne un élan. J’ai des projets pour l’avenir, je suis déjà ouvert sur la suite », témoigne l’un de ces « projectionnistes ».
Le deuxième profil, ce sont les conformistes, qui n’ignorent pas les difficultés, mais estiment que leurs conditions de travail sont… normales. « Avoir de longues journées est bénéfique puisque c’est sur le terrain qu’on apprend à devenir médecin », résument les deux chercheurs.
Avant-dernier profil décrit par les chercheurs : les auto-connaisseurs. Ces derniers se focalisent sur ce qui constitue chez eux un avantage concurrentiel par rapport à leurs collègues afin de se valoriser. L’un d’eux raconte ainsi : « je pense que je suis assez utile parce que mon parcours atypique est une force extraordinaire que j’ai sous-estimée au début. Je n’ai pas les mêmes connaissances que les autres médecins, notamment en statistiques donc je peux donner des conseils que même les chefs ne pourraient pas ».
Le dernier profil dégagé par Marie Cousineau et Adama Ndiaye, ce sont les challengers, qui voient leur travail comme un évènement ludique. « Pour moi les urgences, c’est une sorte de jeu. Tous les jours je viens, un patient arrive qu’est-ce qu’il a ? Il faut que je trouve, c’est mon petit jeu ! », témoigne un challenger. « Qu’ils ne disent pas merci derrière je m’en fiche, chaque patient c’est une épreuve pour moi de tester mes connaissances et de m’améliorer. Je deviens un meilleur médecin chaque jour. Ça me plaît et ça me suffit largement ». Un profil un peu « super-héros », qui aime relever des défis et sauver des vies.
Une projection mentale utile… mais jusqu’à quand ?
En conclusion, les chercheurs expliquent que leur typologie montre que la connaissance de soi est une alliée qui permet d’adopter des stratégies afin de faire face aux difficultés du travail au quotidien. C’est donc une sorte de projection mentale qui permet « de gérer ses efforts et sa relation au travail ».
Cependant, ils ignorent si de telles dispositions dureront dans la durée et avec autant d’intensité. « Combien de temps les internes tiendront ? »,s’interrogent les auteurs de l’étude. « C’est pourquoi ce travail n’exclut pas l’adoption d’une réflexion pour l’amélioration des conditions de travail et la prise en compte de leurs revendications », précisent-ils pour conclure.