Paris, le mercredi 17 janvier 2024 – Une vaste étude réalisée par un doctorant de la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes révèle des différences significatives de prise en charge aux urgences selon le sexe et la couleur de peau des patients.
Les hommes blancs sont-ils mieux pris en charge que les femmes noires ? L’étude, réalisée par Guillaume Olivier, doctorant à la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, semble en tout cas le constater. Celui-ci a, avec l’aide de la Société française de médecine et l’accord du comité d’éthique du CHU de Montpellier, mené une vaste enquête auprès de 1563 médecins urgentistes français, suisses, belges et monégasques.
Huit profils de patients générés par IA pour tester les réactions des urgentistes
L’étude, publiée dans l’European Journal of Emergency Medecine, avait pour but de tester les préjugés des praticiens sondés. En s’appuyant sur une « situation clinique dont les symptômes et la gravité sont identiques chez les hommes et chez les femmes », le chercheur a demandé aux 1500 médecins urgentistes comment ils orienteraient un patient fictif dans le cadre du triage réalisé à l’entrée aux urgences.
Plus spécifiquement, plusieurs profils de patients générés par IA ont été proposés aux sondés — quatre hommes et quatre femmes avec des origines ethniques différentes. Tous souffraient d’une douleur thoracique, illustrée par une photo du patient se tenant debout, grimaçant, la main sur le thorax.
Des écarts importants selon les genres et les origines ethniques
Les résultats sont sans appel. Tout d'abord, en moyenne, 55 % des cas cliniques ont été jugés comme des « urgences vitales ». Néanmoins, les chiffres varient fortement en fonction du genre et des origines ethniques ! Ainsi, les cas considérés comme « urgences vitales » montent à 62 % pour les hommes, mais ne sont que de 42 % pour les femmes.
Même son de cloche pour les ethnies présumées des patients. Lorsque le patient est présumé orignaire du Maghreb, les répondants ont estimé à 61 % que les symptômes correspondaient à une urgence vitale. Un score légèrement supérieur par rapport au patient blanc (58 %) ou asiatique (55 %), et très supérieur aux patient noir (47 %).
De plus, des écarts significatifs s’observent si l’on se concentre sur certaines combinaisons genre/ethnie. Ainsi, le cas présenté a été jugé à 63 % comme une urgence vitale pour un homme blanc, mais à seulement 42 % pour une femme noire.
Des conséquences possibles dans des situations réelles ?
Des biais qui ne sont évidemment pas sans conséquence. « Quand on évalue qu’un cas est moins grave, on diagnostique plus tardivement », fait remarquer auprès du Midi Libre Xavier Bobbia, urgentiste au CHU de Montpellier et enseignant à la faculté de Montpellier-Nîmes.
C’est lui qui a inspiré la création de cette nouvelle enquête. « Quand des médecins sont confrontés à la même situation de nombreuses fois, ils finissent par faire des diagnostics sans se rendre compte des paramètres qu’ils prennent en considération, ce qui s’appelle le diagnostic intuitif », souligne-t-il auprès de nos confrères de Libération. « J’ai la conviction que l’on vit dans une société qui, pour des raisons historiques, a des préjugés racistes et sexistes que l’on peut voir un peu partout, reprend le praticien. Est-ce donc le cas dans l’évaluation de la gravité des malades aux urgences ? ». Une intuition qui a donc fini par être confirmée par l’analyse menée par son étudiant.
Pour Xavier Bobbia, les résultats de cette enquête doivent aider à une « prise de conscience collective », que les soignants se rendent compte qu’ils « vivent dans une société qui fait qu’ils ont des préjugés ».
Il propose d’ailleurs de s’aider d’outils d’intelligence artificielle pour les triages dans les services d’urgence, afin de rendre le processus plus précis et plus objectif. « Avec une base de données comprenant tous les éléments objectifs des gens qui viennent pour une douleur thoracique, le machine learning peut arriver à prédire quel est le pourcentage de chance que la personne fasse un infarctus ou autre », soutient-il pour conclure. Nous reviendrons très probablement prochainement sur cette étude qui suscite sans surprise différents commentaires au sein de la communauté médicale.